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Lc

2022/10/31 – Lc 14, 12-14

By 2024-01-04No Comments

Aux nombreux barbecues que nous nous offrons en été, l’évangile d’aujourd’hui nous conseille d’inviter, non pas des amis, des parents et de riches voisins qui pourront à leur tour nous rendre la pareille, mais plutôt des pauvres, des estropiés, des boiteux et des aveugles incapables de renvoyer l’ascenseur. Ce texte très bref surprend parce qu’il souligne ce qui passe souvent inaperçu : les relations sociales normales ressemblent à un investissement. D’y penser, même l’amour des parents pour leurs enfants n’échappe pas complètement au calcul. Les parents acceptent des sacrifices, parfois à la limite de l’impossible, mais, dans toutes les cultures, on attend des enfants qu’ils prennent soin de leurs vieux parents : une sorte de remboursement de la dette.

Même dans cet évangile, l’abnégation demandée n’est pas totale. Une récompense est promise, bien qu’il faille attendre le jugement dernier pour la toucher : « …en effet, cela te sera rendu à la résurrection des justes. » Remarquons en passant que l’encouragement à la générosité n’est pas ce qui fait du christianisme une religion unique en son genre. S’il fallait ramener tout l’enseignement du bouddhisme à un seul mot clé, ce serait le mot compassion. Et l’obligation de l’aumône est l’un des cinq piliers de l’islam qui proclame que tous les biens appartiennent à Allah, et que personne n’a le droit d’en user et d’en abuser pendant que d’autres crèvent de faim. Cela dit, il semble que les religions ne croient pas que la nature humaine soit capable d’une abnégation absolue. La vertu paye en fin de compte, en ce monde ou dans l’autre. Selon le christianisme et l’islam, ce que nous aurons donné aux pauvres sans espoir de retour nous sera rendu au dernier jour. Et selon le bouddhisme, notre compassion hâtera notre accès au Nirvana, à la cessation des réincarnations qui sont des rechutes dans la souffrance, dans le désastre.

Il faut chercher longtemps avant de trouver dans les textes sacrés des diverses traditions spirituelles de l’humanité de rares passages qui laissent entrevoir la possibilité, chez l’être humain, d’une générosité inconditionnée et sans limites. C’est le cas dans le bouddhisme Mahayana (grand véhicule) qui a inventé la notion du boddhisatva : un être qui a réussi à sortir de la roue des réincarnations, mais qui choisit de renoncer à la paix définitive tant qu’il y aura encore des humains piégés dans l’affreux processus des renaissances. Le boddhisatva s’engage donc dans un bénévolat infini dont il n’espère rien de plus que ce qu’il a déjà obtenu. La théologie chrétienne contient une théorie qui n’est jamais devenue très populaire mais qui entrouvre aussi la porte à une générosité sans comptabilité des coûts et bénéfices. C’est la théorie du jour de l’apocatastase ou de la réconciliation finale. Selon Origène, ce jour-là, Lucifer lui-même deviendra ami de Dieu. Cela veut dire que tout le monde sera proclamé juste. Dans ce cas, ma générosité actuelle ne m’assurerait rien que d’autres, y compris les méchants, n’auront pas à la fin des temps. En islam, c’est Rabi’a, une femme mystique, poétesse de la divinité, qui a proposé une vision de la vertu « qui n’espère aucune récompense et ne craint aucun châtiment ». Elle mit en scène sa vision de l’amour pur de façon saisissante : un jour, des soufis rencontrèrent Rab’ia qui courait avec une torche enflammée dans une main et un récipient d’eau dans l’autre. Ils lui demandèrent : « Où vas-tu, ô dame du monde futur? » Elle répondit : « Je vais incendier le paradis et éteindre l’enfer… »

Melchior M’Bonimpa

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