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Lc

2022/08/06 – Lc 9, 28b-36

By 2024-01-04No Comments

Cette fois, c’est le texte de la transfiguration que l’Église nous propose en guise d’évangile du jour. On ne saura jamais ce qui s’est réellement passé, sur une montagne non spécifiée, où Jésus se rendit en compagnie de Pierre, Jean et Jacques, car, bien évidemment, le récit de la transfiguration n’est pas un récit « historique » dans le sens contemporain du terme, ni un reportage journalistique. Mais selon moi, cela ne signifie pas que  le texte soit complètement fictif ou symbolique. Je ne suis pas suffisamment armé pour dire avec précision ce qui, dans ce texte, constituerait le noyau historique, la pépite d’or cachée dans la gangue du « merveilleux ». À vrai dire, l’exploit d’isoler du texte les élément probablement historiques ne m’intéresse que modérément.

Je parie pourtant qu’il s’est passé quelque chose sur cette montagne mystérieuse. La première lecture (Deuxième lettre de Saint Pierre) en parle  dans les mêmes termes que l’évangile. Dans les deux cas, Jésus apparaît en pleine « gloire » et une voix venue du ciel témoigne de sa grandeur : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en lui j’ai mis tout mon amour. » Ce n’est pas tellement  l’événement « épiphanique » qui retient mon attention, mais ce qui l’a provoqué : la prière de Jésus. Ce dernier n’est sûrement pas monté sur la montagne en sachant d’avance ce qui allait se produire, et il ne s’est pas fait accompagner par Pierre, Jean et Jacques pour les épater. Peut-être voulait-il simplement que ces derniers apprennent à « prier comme si tout dépendait de Dieu tout en travaillant comme si tout dépendait de nous » (pour paraphraser la devise spirituelle qu’Ignace de Loyola légua à ses fils). Mais sur ce point Jésus échoue : pendant qu’il prie, ses trois disciples sont « accablés de sommeil », exactement comme plus tard, à Gethsémani, le jour où il fut arrêté : là aussi, ils dormaient pendant qu’il affrontait dans la prière la suprême angoisse.

Je ne jetterai pas la pierre à ces disciples mous, incapables de veiller. Ils me rappellent de nombreuses situations où moi aussi, j’ai ronflé à l’heure de la prière. Car, la plupart du temps, la prière est une épreuve. Elle n’est pas seulement ennuyeuse, mais nous avons  l’impression qu’elle n’a aucune utilité, surtout dans  ce « monde sans Dieu » qu’est devenu l’Occident. La prière n’a pas d’efficacité immédiate, miraculeuse. À Gethsémani, Jésus lui-même a dû penser que sa prière était bien dérisoire. « Il disait : Abba, à toi tout est possible, écarte de moi cette coupe ». Mais le Père s’est tu et, sur la croix, avant d’expirer, Jésus posera la question : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? »

Mais le jour de la transfiguration, la prière de Jésus a produit des résultats bouleversants qui ont marqué la mémoire des apôtres de façon indélébile. Pour employer encore une fois le vocabulaire ignatien, ce que les trois disciples ont vu sur le visage de Jésus était « une consolation » tellement évidente qu’elle est devenue immédiatement contagieuse. Pierre passe du sommeil à l’extase et, comme souvent, il profère des bêtises! Ivre de Dieu, il propose de prendre Moïse et Élie en otage, c’est-à-dire de prolonger l’extase à l’infini, oubliant, comme nous tous, que l’euphorie mystique ne peut pas être permanente. Elle serait automatiquement dévaluée,  car elle représente justement un moment de grâce, se détachant d’une existence quotidienne nécessairement basse, dure, misérable. La vie de tous les jours ne se passe pas « sur la montagne », mais dans la vallée où se situe (selon les expressions de Theillard de Chardin) « le front humain » ou « la ligne des saucisses » qui exige de nous, que nous le voulions ou pas, de la sueur, des larmes et du sang.

Les mystiques, ces saisis de Dieu, insistent justement sur le fait que le prix à payer pour l’illumination est une longue traversée de « la nuit ». Mais  la nuit serait simplement insupportable si elle était sans interruption. Ce qui nous permet de tenir le coup, c’est l’irruption du divin dans le quotidien. Et ces moments de pur bonheur arrivent même à ceux qui ne reconnaissent à cette expérience aucune valeur religieuse. Mais qu’importe? L’essentiel est que ces rares moments de « transfiguration » donnent aux humains des raisons d’endurer la fatigue du chemin, et d’échapper à la tentation de se suicider.

Melchior M’Bonimpa 

 

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