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2024/02/29 – Lc 16, 19-31

Parabole du riche qui faisait des festins tandis qu’à sa porte Lazare, un pauvre, couvert de plaies, n’avait rien à manger. Le pauvre mourut. Ce furent les anges qui l’emportèrent auprès d’Abraham. Le riche mourut; on l’enterra. Au séjour des morts, il est dans un lieu de torture d’où il voit Lazare près d’Abraham. Il supplie Abraham d’envoyer Lazare lui porter de l’eau mais c’est impossible. Leurs sorts respectifs sont inchangeables. Le riche demande qu’on avertisse ses frères. Abraham répond que pour cela ils ont Moïse et les prophètes: si ceux-ci sont insuffisants, même un ressuscité ne pourrait les convaincre.

Une parabole n’est pas un exposé pour répondre à toutes les questions. C’est une manière d’illustrer un point précis, ce qu’on appelle la pointe de la parabole et c’est ce que fait la première partie du récit.

Lazare est un pauvre, couvert de plaies, et affamé. Il n’a personne pour l’aider: il n’y a que les chiens qui s’occupent de lui. Il meurt seul: il n’y a personne pour lui faire une sépulture. Avec sa mort, il y a un renversement de situation. Ce sont les anges, des messagers de Dieu, qui s’occupent de sa sépulture et l’emmènent dans le sein d’Abraham. C’est une expression pour désigner une place d’honneur près d’Abraham comme dans l’intimité d’un repas, comme dans le festin messianique pour décrire ceux qui sont venus de loin pour entrer dans le Royaume de Dieu (Matthieu 8,11).

Le riche vit dans le luxe. Il a des banquets somptueux. Il n’est dérangé par rien, surtout pas par Lazare qui est à sa porte. Lorsqu’il meurt, il y a bien des gens pour assurer sa sépulture. Mais maintenant, il y un renversement de situation. Il est maintenant dans les souffrances. Il est dans un lieu de chaleur et de soif, comme le désert que connaissent bien les auditeurs de Jésus. Il n’y a personne qui peut l’aider à cause du grand abîme qui sépare la situation de Lazare de celle du riche. Cet abîme entre les deux représente le fait que leur situation est irréversible. C’est là la pointe de cette partie du texte: l’urgence, maintenant, d’entrer dans le Royaume. Jésus vient de dire qu’il faut s’employer de toute sa force à entrer dans le Royaume (16,16). Il a déclaré aussi, ce qui a fait rire les Pharisiens, que l’argent devait servir à se faire des amis qui nous accueilleraient dans le monde éternel (16,9).

Seconde partie du récit: le riche comprend maintenant l’urgence à se préparer avant la mort et veut faire avertir ses frères. Abraham dit qu’ils ont ce que le riche n’a pas considéré durant sa vie: Moïse et les prophètes.

Dieu s’occupera du pauvre dont personne ne s’occupe parce que, pour Dieu, il est important. Mais pour le riche qui ne s’est pas préoccupé du pauvre à sa porte durant sa vie, il sera trop tard: il a manqué sa vie. Il y a donc pour tous urgence à écouter la parole de Dieu : Tu n’endurciras pas ton coeur ni ne fermeras ta main à ton frère pauvre, mais tu lui ouvriras ta main et tu lui prêteras ce qui lui manque. … Quand tu lui donnes, tu dois lui donner de bon cœur. (Deutéronome 15,7-8.10)

Jean Gobeil SJ

2024/02/28 – Mt 20, 17-28

Jésus se prépare à monter à Jérusalem. Il avertit ses disciples qu’il sera arrêté, condamné, livré aux païens, crucifié et qu’il ressuscitera le troisième jour. C’est la troisième annonce de la Passion. La mère de Jacques et Jean demande à Jésus que ses fils siègent l’un à sa droite et l’autre à sa gauche dans son Royaume. Jésus s’adresse aux deux apôtres et leur demandent s’ils savent ce qu’ils demandent et s’ils sont prêts à boire à sa coupe. Ils affirment pouvoir le faire. Jésus confirme qu’ils auront à le faire mais la récompense, c’est au Père à la donner. Les onze sont indignés. Jésus leur dit que les grands de la terre font sentir leur pouvoir mais qu’il ne doit pas en être ainsi pour eux. Celui qui veut être grand doit se faire le serviteur des autres. Pour sa part, le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie pour les autres.

Jésus est de l’autre côté du Jourdain, probablement à l’est de Jéricho. (Jéricho est à 1300 pieds sous le niveau de la mer et Jérusalem est à 2400 pieds d’altitude, La montée est donc de 3,700 pieds ou 1200 mètres.)

Il se prépare à monter de là à Jérusalem qui représente l’affrontement final avec les autorités. Il fait la troisième annonce de la Passion pour prévenir ses disciples que c’est de cette façon que se termine la carrière du Messie. Mais les disciples ont encore une image triomphale du Messie comme le montre la scène suivante.

Jésus avait surnommé les fils de Zébédée, Jacques et Jean,  Boanergès c’est-à-dire fils du tonnerre (Marc 3,17). C’est probablement à la suite d’un incident où ils avaient demandé à Jésus s’ils pouvaient ordonner à un feu du ciel de tomber sur un village samaritain qui venait de refuser de les recevoir. Jésus les avait réprimandés à cette occasion. (Luc 9,54)

Ils sont évidemment de ceux qui croient que le pouvoir doit se faire sentir et ils croient aussi que c’est le genre de royaume que le Christ veut instaurer.

Les autres disciples ne sont pas différents. Ils sont indignés de s’être faits damer le pion par la mère de Jacques et Jean. Ils ont la même attente qu’eux.

La réponse de Jésus est non seulement un avertissement pour ceux qui sont en autorité dans la communauté mais c’est aussi la révélation d’un trait important de la personnalité et du rôle du Christ. Il n’est pas venu pour dominer ni pour être servi mais pour servir. Il réalise la prophétie d’Isaïe à propos d’un serviteur de Dieu qui donne sa vie pour justifier une multitude (Isaïe 53,10).

Jésus répétera plus tard à ses disciples : Le plus grand parmi vous sera votre serviteur.  (Matthieu23,11)

Jean Gobeil SJ 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                             

2024/02/27 – Mt 23, 1-12

Jésus s’adresse à la foule et à ses disciples. Les scribes et les Pharisiens, en tant qu’occupant la chaire de Moïse, c’est-à-dire en tant que transmettant les paroles de Dieu, doivent être écoutés. Il faut observer ce qu’ils disent mais non pas ce qu’ils font. En outre, leurs interprétations des paroles de Dieu ne sont que de pesants fardeaux qu’ils imposent aux gens et qui servent à assurer leur autorité. Leurs pratiques de piété sont faites pour être vus et ils tiennent aux titres et aux places honorifiques. Suit un enseignement qui n’est pas pour la foule mais pour les disciples. Ils ne doivent pas se faire donner des titres d’honneur comme Rabbi, Père (Abba), Maître. Les fonctions qu’ils occupent doivent être des services et non des postes d’honneur.

Les scribes et les Pharisiens sont nommés ensemble parce qu’ils sont ordinairement des adversaires de Jésus. Les scribes sont ceux des Pharisiens qui sont considérés comme des experts des Écritures, c’est-à-dire la Loi et les Prophètes. Ainsi, en transmettant les paroles de Moïse ils transmettent la Parole de Dieu: c’est cela occuper la chaire de Moïse. Jésus respecte cette Parole. Il recommande donc d’écouter et d’observer ce que disent les scribes.

Mais il ne faut pas prendre comme modèles à imiter  leur manière de faire. Il avait déjà attaqué leurs interprétations de la Loi qui leur servaient à éviter d’observer des commandements importants (15,5).

Il ajoute ici que ces interprétations qu’ils imposent aux gens servent à assurer leur autorité. Pour cultiver cette autorité, ils ont des pratiques ostentatoires de piété: de gros phylactères et des longues franges à leur manteau. Les phylactères sont des étuis contenant un texte de la Loi qu’on portait sur le front et sur le bras au moment de la prière (Deutéronome 6,8). Les franges, nouées d’une façon spéciale, représentaient les Lois et identifiaient le porteur comme observateur de la Loi et membre du peuple de Dieu (Nombres 15,38). Ils réclamaient des places d’honneur et des salutations spéciales.

Le sermon sur la montagne avait déjà dit que les pratiques de piété, pour être authentiques, devaient être faites pour Dieu et non pour la galerie.

Il y a une rupture au verset 8: Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi… Le Vous représente les disciples et non plus la foule. Matthieu a senti le besoin de faire un rappel à sa communauté. Il a donc pris des paroles de Jésus qui étaient dans un autre contexte pour les grouper ici. Ce qui est visé ce sont des titres honorifiques: Rabbi, Père, Maître. On doit éviter les titres honorifiques. Les seuls titres justifiables dans les communautés chrétiennes primitives seront de titres de fonction: Episcope (surveillant), anciens (presbytres), diacres et diaconesse, comme plus tard lecteur, portier. Ces titres de fonction représentent des services. Le service est la seule chose qu’un chrétien doit chercher, c’est ce que rappelle le titre du pape qui fait précéder sa signature de deux lettres: SS c’est-à-dire Serviteur des serviteurs (Servus servorum). Jésus termine en rappelant : Le plus grand parmi vous sera votre serviteur.

Jean Gobeil SJ 

 

2024/02/26 – Lc 6, 36-38

Dans ce bref  passage, il y a une phrase qui me provoque depuis très longtemps : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés. » Systématiquement détournée de son sens par tous ceux qui veulent se donner raison sans discussion, cette phrase est souvent ramenée à un lieu commun parfaitement insipide. Je me souviens de la dernière fois qu’une personne me l’a servie lors d’un échange dur, mais poli, où je refusais de ratifier son point de vue qui me semblait saugrenu et irrationnel : « Il ne faut pas juger! Tu es théologien, mais tu oublies facilement que Jésus a dit : Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés. »

Ce n’était pas la première fois qu’on mobilisait cet argument d’autorité pour tenter de m’imposer le silence, et c’était une fois de trop. Je n’ai pas réussi à me contrôler. Je suis sorti de mes gonds et j’ai rétorqué : « Je suis payé pour juger. Quand je corrige les travaux de mes étudiants, je juge. Quand je participe à un comité d’embauche, je juge. Quand je siège sur un comité d’évaluation d’une thèse, je juge. Quand je vote sur une motion lors d’une réunion où le consensus est impossible,  je juge. Quand j’entre dans l’isoloir pour donner ma voix à un candidat aux élections, je juge. Dis-moi : le jour où un chauffard te rentrera dedans après avoir brûlé un feu rouge, exigeras-tu qu’il répare ta voiture ou appliqueras-tu la maxime de ne pas juger? »

Après un silence embarrassé, j’ai compris que j’étais allé trop loin et que j’avais littéralement assommé mon interlocuteur. Je me suis excusé, et j’ai tenté de livrer plus calmement mon interprétation de la phrase de l’Évangile. Il ne s’agit pas d’une interdiction d’évaluer les choses objectivement et de donner son point de vue. Il ne s’agit même pas d’une interdiction de condamner des actes, et même des personnes clairement répréhensibles. Jésus n’a pas voulu dire qu’il fallait envoyer tous les magistrats au chômage. Par cette seule phrase, il n’a pas déclaré caducs « la loi et les prophètes ».

« Ne jugez pas » veut dire : n’usurpez pas les prérogatives de Dieu. Lui seul sonde les reins et les cœurs. Lui seul peut se prévaloir d’un point de vue absolu. Nous avons à juger et nous ne pouvons pas nous en passer. Mais les plus honnêtes, les plus sérieux et les plus intelligents de nos jugements demeurent relatifs parce qu’ils sont liés à nos limites, à notre finitude. Cependant, cette finitude n’est pas un alibi qui rendrait acceptable l’irresponsabilité ou la lâcheté impliquée dans ces mots, « ne jugez pas », quand on les prend au premier degré, sans interprétation. Souvent, même dans le doute, il n’est ni possible, ni moralement soutenable de s’abstenir.

Pour faire justice au reste du texte, disons qu’il s’agit d’une exhortation qui nous propose un horizon utopique. Personne d’entre nous ne peut avoir l’outrecuidance de se croire aussi miséricordieux que Dieu. Personne ne peut donner ou pardonner comme Dieu lui-même. Le but du texte n’est pourtant pas de nous décourager, mais simplement de disqualifier l’existence paresseuse, car nous avons si facilement l’impression d’avoir assez donné, assez pardonné! L’évangile d’aujourd’hui nous engage à ne pas nous asseoir sur nos lauriers. Il nous donne une mission impossible à réaliser, rien de moins que la perfection. C’est une très bonne nouvelle : l’assurance d’un emploi permanent et à temps plein! Pourrait-on rêver de mieux à l’heure des « délocalisations » et des « suppressions d’emplois » dont les médias nous parlent chaque jour ?

Melchior M’Bonimpa

2024/02/24 – Mt 5, 43-48

Vous avez appris qu’il a été dit: Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien moi, je vous dis: Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est dans les cieux: car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous? Les publicains n’en font-ils pas autant? … Vous donc soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait.

Les antithèses précédentes commençaient par une citation de l’Ancien Testament. Celle-ci ne donne pas une citation textuelle. Le devoir d’aimer le prochain se trouve dans le Lévitique (19,16) mais le prochain est compris comme un membre de la communauté d’Israël. Pour la haine des ennemis, il faut se rappeler que les ennemis d’Israël sont considérés comme des ennemis de Dieu d’abord, ce qui explique la violence de certains psaumes. Ainsi on ne peut ni sympathiser ni pactiser avec eux. Mais la forme de haïr les ennemis peut traduire une forme hébraïque comme: Tu n’es pas tenu d’aimer tes ennemis. De toute façon, Jésus a utilisé une formule reçue qui n’a rien à voir avec l’amour des ennemis!

En réponse à cette formule, Jésus utilise la forme solennelle: Eh bien moi, je vous dis… Il affirme ainsi son autorité et souligne l’importance de ce qui va suivre.

Et Jésus déclare qu’il faut aimer ses ennemis. A moins de cela, la justice d’un disciple ne dépasserait pas ce que font régulièrement les collecteurs de taxes et les païens, les deux classes de gens religieusement les plus basses pour des Juifs.

Sur quoi se basent les exigences du Royaume de Dieu en général et en particulier celle d’aimer ses ennemis? Pour ceux qui écoutent le Sermon sur la montagne, il y a une condition requise sans laquelle les demandes du sermon restent impossibles. C’est cette condition que le Christ révèle.

Dieu est notre Père et il veut que nous soyons ses enfants. Et l’amour pour le Père est plus qu’une obéissance à des lois. Cet amour doit être une imitation de son esprit:

Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait.

Personne n’est exclu de l’offre que Dieu fait. Ceux qui croient en un Dieu Père, ne peuvent pas, eux non plus, exclure quelqu’un de l’amour. Luc a voulu préciser de quelle sorte d’amour il s’agissait. Au lieu de dire Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait, il a dit:

        Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux.   (Luc 6,36)

Jean Gobeil SJ 

2024/02/23 – Mt 5, 20-26

Les mots « loi, précepte, obligation » ne sont guère populaires de nos jours. Ils provoquent une réaction de défense, parce que nous avons l’impression qu’ils expriment des contraintes ou même qu’ils attaquent notre liberté.

Pourquoi donc la Loi occupait-elle une telle importance dans les préoccupations de l’élite et du peuple, au temps de Jésus ? Parce qu’elle manifestait la volonté de Dieu et qu’elle protégeait les Juifs contre l’idolâtrie du monde païen qui les entourait.

Cette Loi était-elle une contrainte ou bien une manifestation de bienveillance du Seigneur ? Tout dépend de l’image qu’on se fait du Dieu en qui nous croyons : soit un Maître dominateur, qui surveille et qui punit; ou bien, un Père qui regarde sans cesse les siens avec amour ? Si nous vivons sous le regard aimant de Dieu, la Loi exprime sa volonté pour éclairer la voie de la vie et du bonheur. Sans jamais nous brimer, il nous laisse libres de l’accepter ou de la refuser.

La ‘justice’, dont parle Jésus, désigne la conduite du croyant en accord avec la volonté de Dieu exprimée dans la Loi. L’ensemble de ces lignes de conduite constitue le nouveau programme de Jésus, comparé à celui de Moïse, tel que les rabbins l’enseignaient. « On vous a dit (aux assemblées de  la synagogue), mais, moi, je vous dis. »

La justice des Pharisiens et celle de Jésus

La ‘justice’ des Pharisiens, leur morale, était austère et se conformait à une série de 613  commandements, provenant de la Loi écrite et de la tradition. Cette multiplication des commandements visait à protéger le peuple élu contre les influences païennes autour de lui. Même si cet ensemble de prescriptions était pesant, il était possible de les observer, car elles concernaient la conduite extérieure des fidèles et elles étaient donc mesurables.

La ‘justice’ que proclame Jésus ne consiste pas en une nouvelle série de lois. Jésus réduit toutes les lois à une seule, celle d’aimer. Or l’amour parfait est un idéal qui devient une utopie. Il n’est pas mesurable, car il ne pourra jamais être atteint. En conséquence, le chrétien ne peut accomplir cette loi et a toujours conscience d’être pécheur, n’ayant jamais rempli cette loi de l’amour. Il demeure sans cesse dépendant de la miséricorde de Dieu. Il est donc toujours pécheur, mais pécheur pardonné.

Acte extérieur et motivation intérieure

Chacun des six exemples, que Jésus présente pour illustrer cette ‘justice’ supérieure, montre qu’il vise non seulement l’action extérieure de la personne humaine, mais surtout l’intention de celle qui agit. Toute la valeur, positive ou négative de l’action extérieure, provient de l’intention qui l’a motivée.

Le premier exemple porte sur la colère et le meurtre. Sans enlever la vie corporelle au prochain, on peut le tuer de bien des manières, par exemple en l’humiliant en parole, en l’insultant, en ternissant sa réputation,…

Défendre seulement la manifestation extérieure de la colère, c’est l’équivalent de l’intervention d’un chirurgien qui se limite à enlever une tumeur maligne, mais qui laisse intacte la racine de cette tumeur. Jésus va à la racine du meurtre, c’est-à-dire la haine, qui tend à détruire son prochain et qui produit de telles actions.

Amour et sacrifice

L’amour ne se limite pas à éviter l’agressivité à l’égard du prochain. L’amour n’est pas seulement négatif, il tend à procurer le bonheur de son frère. Aussi l’amour prend l’initiative de la réconciliation. Celui qui a l’amour dans son cœur fait les premiers pas.

Il ne faut pas s’illusionner avec des sacrifices. Qu’ils soient de n’importe quelle sorte, les sacrifices sont extérieurs à la personne qui les offre et n’ont aucune valeur, s’ils ne sont pas animés de l’intérieur par la miséricorde. Cette dénonciation des sacrifices purement extérieurs reprend les diatribes des prophètes contre l’illusion d’offrir des sacrifices pour masquer son injustice.

Conclusion

La ‘justice’ des Pharisiens apparaît comme une morale extrêmement exigeante, mais limitée et fermée. Le fidèle qui a observé tous les commandements, même les plus petits, peut se déclarer satisfait de lui-même. En contraste à cette ‘justice’ fermée, Jésus propose une ‘justice’ ouverte à l’infini, appelant le croyant à toujours progresser dans l’amour, sans qu’un terme mette fin à sa générosité.

Aussi le chrétien ressent continuellement sa pauvreté face au Seigneur qu’il aime. La célébration de l’eucharistie rappelle sans cesse qu’il doit être humble : au début, il confesse ses fautes et, même juste avant de communier, il répète : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir… » Mais la parole de grâce peut le purifier et lui donner gratuitement cette dignité.

 Jean-Louis D’Aragon SJ

2024/02/22 – Mt 16, 13-19

Dans le territoire païen de Césarée de Philippe, Jésus demande à ses disciples: Pour vous, qui suis-je? Pierre répond en son nom et au nom des Douze: Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant. Jésus déclare que cette profession de foi lui vient du Père et qu’il sera le roc sur lequel l’Église sera bâtie. Il aura le pouvoir de lier et de délier, c’est-à-dire de défendre ou de permettre.

La chaire représente l’endroit d’où se fait l’enseignement religieux. Avec l’établissement de Pierre à Rome, l’église de Rome devient la chaire de l’enseignement apostolique et le symbole de l’unité de l’Eglise. On se rappelle qu’un jour, la chaire de Jésus a été un banc où Jésus s’était assis dans la barque de Pierre pour prêcher à la foule (Luc 5). Quand Jésus a fini de parler, il dit à Pierre de s’éloigner du rivage et de jeter les filets à l’eau. C’est la pêche miraculeuse où Pierre prend conscience de la puissance du Christ et de son indignité: Eloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. Le Christ le rassure: Sois sans crainte. Et il lui révèle sa vocation: Désormais ce sont des hommes que tu prendras-vivants .

Après le discours sur le pain de vie, beaucoup des disciples de Jésus le quittent. Jésus demande aux Douze: Voulez-vous partir, vous aussi? C’est Pierre qui répond au nom des Douze et qui fait une belle profession de foi: Seigneur, à qui irions-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle. … Tu es le Saint de Dieu. (Jean 6,67-69)

La profession de foi de Pierre à Césarée de Philippe est importante dans le déroulement des synoptiques. Après les opinions des gens qui restent incertaines, on a une affirmation claire que Jésus est le Messie et Jésus accepte cette identification. Mais pour Pierre, elle n’est pas encore complète, puisqu’elle ne comprend pas la Passion.  Cela fera qu’après avoir eu le courage d’aller dans la cour du grand prêtre après l’arrestation de Jésus, il le reniera à cause d’une servante.

En dépit de cela, Jésus confirmera son poste à la tête de son troupeau en lui disant : Paix mes agneaux…. Paix mes brebis....    (Jean 21,15-17)

On voit, dans le livre des Actes,  que ce choix a été respecté dans l’église primitive et il continue de l’être dans la célébration de la fête d’aujourd’hui.

Jean Gobeil SJ 

2024/02/21 – Lc 11, 29-32

La foule s’amasse probablement à la recherche de signes spectaculaires puisque Jésus accuse cette génération de chercher des signes. Le seul signe sera la personne même de Jésus comme la personne de Jonas a été le signe pour la population de Ninive. La reine de Saba n’a pas eu besoin d’autre signe que les paroles de sagesse de Salomon et maintenant il y a ici beaucoup plus que Salomon. Les gens de Ninive se sont convertis lors de la proclamation de Jonas et il y a ici bien plus que Jonas.

Au milieu de controverses et de gens qui réclament un signe dans le ciel, un femme proclame son admiration en déclarant bienheureuse la mère de Jésus. Sans la contredire, Jésus déclare qui sont vraiment bienheureux: ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui l’observent. La grandeur de la foi est plus que la maternité charnelle.

Comme la foule s’amasse et que sont encore là ceux qui venaient de réclamer des signes dans le ciel, Jésus va dire quels sont les signes qui sont importants et quelle doit être la réponse à ces signes. Il rappelle d’abord l’exemple des gens de Ninive dans l’histoire du prophète Jonas. Les habitants de Ninive sont des Assyriens qui non seulement sont des païens mais encore un peuple très belliqueux.

Ce sont eux qui détruiront Samarie, la capitale du royaume d’Israël (royaume du nord) en 722 et feront déporter sa population. Or, le seul signe qui est donné à la population de Ninive est la parole du prophète Jonas qui annonce que Dieu, dans 40 jours,  va détruire Ninive à cause de ses fautes. Toute la population crut à la parole de Dieu et on décréta un jeûne complet du roi jusqu’aux animaux.

Devant cette réaction, Dieu se repentit du mal dont il les avait menacés, il ne le réalisa pas, au grand chagrin de Jonas de voir une belle prédiction complètement gaspillée! C’est pourtant la personne de Jonas et sa parole qui ont été le signe pour ces païens. Ils n’ont pas seulement écouté la parole mais ils ont agi à cause d’elle: ils l’ont observée. Il en sera de même pour le Fils de l’homme: c’est lui et sa parole qui sera le signe.

Il en fut de même pour la reine de Saba: Salomon et ses paroles de sagesse lui ont suffi comme signe.

Jésus déclare que la reine de Saba et les gens de Ninive se lèveront pour condamner cette génération qui n’est pas satisfaite d’un signe qui est plus grand que Jonas et plus grand que Salomon.

Jean Gobeil SJ 

 

2024/02/20 – Mt 6, 7-15

Découvrir Dieu comme Père

Nous sommes tellement habitués de dire notre Père que nous ne sommes pas toujours présents à ce que nous affirmons. Tellement habitués que nous ne saisissons plus notre audace ou notre chance inouïe. Il suffit pourtant de nous arrêter quel­que peu, de saisir notre situation et celle de Dieu, pour nous étonner de ce que nous affirmons si facilement. Comment pouvons-nous en effet pré­tendre que le Créateur des Cieux, de l’immense cosmos insaisissable, soit notre père? Et même Abba, c’est-à-­dire notre papa? Sans l’avoir vu nous pensons qu’il doit être infiniment différent de nous, lui, le Très Haut et l’Éternel. Qu’est-ce qui permet ces sentiments de proximité, d’amour et de confiance?

Lorsque nous réfléchissons au-delà de notre manière coutumière de nous adresser à Dieu comme à notre Père, nous voilà plongés dans le plus grand des étonnements. Nous découvrons que notre audace repose sur l’histoire de Dieu qui se dit à nous en raison de Jésus. Aucun humain n’oserait s’adres­ser à Dieu ainsi si Jésus n’était pas venu parmi nous. Aucun humain ne pourrait vivre avec Dieu une relation toute filiale si Jésus lui-même ne nous avait ouvert cette voie bien inatten­due, mais qui comble nos cœurs et fonde notre espérance la plus inespé­rée. Le Dieu de notre foi est révélé en Jésus Christ?

Le Fils qui révèle le Père

L’émerveillement est que par pure bonté, Dieu crée des êtres capables de penser et d’aimer, des êtres porteurs de liberté et d’aspira­tions. Il va jusqu’à établir avec eux une Alliance et dans sa tendresse et sa compassion il se soucie d’eux. À la plénitude des temps, c’est son Fils lui­-même qu’il leur envoie. Quel don! N’est-ce pas Dieu qui se donne lui­-même à ceux qu’il a créés? Ce don nous manifeste déjà un Dieu d’Amour, qui se fait présence directe et immédiate aux humains, en prenant leur propre condition.

L’Emmanuel, Dieu parmi nous, tel est ce Fils, rien de moins. Il nous révèle Dieu en étant le Fils qui est toute relation à son Père et toute image de lui. Il nous parle de lui et de son royaume pour l’humanité.

Nul ne connaît qui est le Père si ce n’est le Fils et celui à qui le Père donne de le connaître (Luc 10.22).

Nul n’a jamais vu Dieu; le Fils uni­que qui est tourné vers le sein du Père, lui, l’a fait connaître (Jean 1.18).

Jésus reçoit tout (Jean 17.7-8) de celui qu’il appelle son Père (Luc 2.49; Jean 8.19; 14.23; 15.9,10,15,23,24; 20.17), et il lui remet tout, en faisant de sa vie une offrande totale, une obéissance parfaite (Jean 4.34;6.57). Il tient de lui son être (Jean 5.26) et sa mission (Jn 3.16; 5.24; 8.42; 16.5,28; 17.18,21,23), son enseignement (Jean 8.28;12.49-50;14.11; 17.6 et 9-10), son pouvoir (Jean 17.2) et son oeuvre (Jean 5.19), comme il le déclare. Le Père le confirme comme Fils bien-aimé à son baptême et à la Transfiguration et surtout par sa résurrection. Il vit une relation unique à ce Père lorsqu’il se retire à l’écart pour le prier. Entre le Père et lui il y a une telle unité que Jésus déclare qu’ils sont un (Jean 10.30; 17.22-23). Il est dans le Père et le Père est en lui (Jean 14.10-11; 17.21). Le Père, nul ne l’a vu, si ce n’est le Fils; celui qui a vu ce Fils a vu le Père (Jean 14.9). Tel Fils, tel Père, pourrions-nous dire, tant l’un est l’image parfaite de l’autre. Et ce Fils est libre et il libère. Le Fils qui aime, qui voit le fond des cœurs, ne condamne pas, mais il redonne dignité et goût de vivre. Il se lie d’ami­tié et il va jusqu’au plus grand amour, qui est de donner sa vie pour ceux qu’il aime (Jean 15.13). Regarder Jésus, le découvrir, c’est voir Dieu.

Jésus nous révèle ce Père tout au long de son enseignement. Dieu a tant aimé le monde qu’il nous a en­voyé son Fils unique (Jean 3.16). C’est le Père prodigue d’amour (Luc 15.11-32), se réjouissant du pécheur qui se con­vertit (Luc 15.7-10), ayant compas­sion pour le pauvre et le petit comme aussi pour le miséreux. En Jésus nous sommes devenus, nous qui avons cru en lui, des enfants de Dieu (Jean 1.12; 1 Jean 3.1-2). Jésus déclare: Vous donc, priez ainsi: Notre Père… (Matt 6.9). À Marie de Magdala il enjoint: va trouver mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père qui est votre Père, mon Dieu qui est votre Dieu (Jean 20.17).

Jésus nous révèle que Dieu est « le Père » et qu’il est Amour (1 Jean 4.8). Il ne veut qu’aucun des siens ne se perde, mais que tous soient de son Royaume de justice et d’amour; c’est pour ce dessein de son cœur qu’il envoie son Fils et qu’il fera le don de son Esprit. De telles richesses sont à accueillir et à comprendre: elles ne sont pas de simples idées ou connaissances, mais le visage de Dieu qu’on ne peut saisir véritablement que dans des relations de confiance et d’amour.

L’Ancien Testament montre Dieu comme Père (2 Sam 7.12­14; És 63.15-16; 64.7; Ps 89.27; 103.13), il est tendresse et pardon (Ex 34.6; Nomb 14.18; És 1.18; Ps 51.3-4; 103.1,3,8-14), il a un cœur et des entrailles de mère (És 42.14; 49.15,­16; 66.13). Au buisson ardent. Il se révèle à Moïse, loin de toute image trop concrète, comme Je suis celui qui est (Ex 3,14), nom que les juifs évitent par respect de prononcer. Parmi les très nombreux noms de Dieu dits en second, celui de l’époux tient, dans le contexte de l’Alliance, une place privilégiée pour évoquer de manière imagée les rapports de Dieu avec son peuple (l’épouse). Le nom de Père est aussi une transposition pour dire que Dieu s’est choisi un peuple (Israël), qu’il en est l’éducateur comme aussi son roi (David). Ce n’est qu’en Jésus que la paternité de Dieu prend son sens le plus strict, le plus riche et le plus total, puisqu’il est ce Fils unique issu du Père. Il est le Fils bien­-aimé en qui il a mis toute sa complai­sance; c’est en ce même Jésus, en nous assimilant à lui par la foi et le baptême et en participant à sa na­ture, que nous devenons des enfants de Dieu qui peuvent dire Notre Père.

La voie indiquée par Jean

… l’amour vient de Dieu, et quiconque aime est né de Dieu et parvient à la connaissance de Dieu. Qui n’aime pas n’a pas découvert Dieu, puisque Dieu est amour (1 Jean 4.7-8).

On ne peut indiquer plus clairement la voie pour parvenir à la connais­sance de Dieu: son amour en nos cœurs. Pour nous dire toutes les richesses de l’amour, nous nous reportons parti­culièrement aux béatitudes chez Matthieu (5.1-12), à la parabole de l’enfant prodigue chez Luc (15.11­32), au discours d’adieu de Jésus chez Jean (chap. 14-16) et à sa prière (chap. 17), à l’hymne à la charité chez Paul (1 Cor 13.1-13). Nous pensons aux attitudes et gestes de Jésus. Nous y trouvons le visage et l’expression de Dieu.

Une expérience privilégiée

Il y a dans l’amour humain une expé­rience privilégiée pour rejoindre le cœur de Dieu: c’est l’expérience de la maternité et de la paternité. Lorsque nous aimons, l’autre existe vraiment pour nous; il nous est cher et précieux, il compte à nos yeux, nous sommes attachés à lui, et dans le souci que nous avons de lui nous donnons beaucoup de nous-mêmes. Toute distance disparaît et une grande proximité s’établit dans notre cœur. Mais est-on plus près d’un être que de son enfant; est-on jamais plus attaché à quelqu’un qu’à l’être qui est né de soi, dont on a désiré la venue et à qui on a tout donné depuis la naissance? Y a-t-il tragédie plus grande, et plus longue à porter, que de perdre un enfant?

Qui n’a pas vu, près d’une pouponnière ou à la maison, des mères et des pères tout transformés de joie à la venue de leur enfant? Peu après la naissance de Raphaël, je demandais à son père ce qu’il éprouvait. Richard me dit : quand j’ai le petit sur moi, il vient chercher très profond dans mon cœur. Pierre Soutot, un philosophe français, témoignait un jour de sa conversion; c’est lorsqu’il est devenu père qu’il a vu jaillir en lui des sources jusque-là inconnues d’amour qu’il a cru en Dieu. Et nous devons penser que ce qui est dit de la mater­nité et de la paternité selon la chair vaut aussi, toutes proportions gar­dées, pour d’autres formes de ces expériences si riches et si totales.

N’oublions pas l’autre versant de la relation, ce qu’un enfant peut vivre et ressentir vis-à-vis sa mère et son père. L’expérience n’est certes pas identique chez les uns et chez les autres mais elle a chez tous des effets prolongés, positifs ou négatifs. La place que des parents tiennent dans le cœur de leurs enfants et, à l’opposé, les recherches et comportements que leur absence peut causer témoignent de tout ce qu’on a à rece­voir d’une mère et d’un père, et de tout ce qu’on peut attendre avec cer­titude de notre Père des Cieux, en infiniment plus grand. S’il y a des temps d’incompréhension, si un enfant a de la difficulté à saisir ce qui se passe chez ses parents et parfois à croire en leur amour, rien n’est définitivement joué: pendant un temps on voit ses parents de l’exté­rieur mais un jour tout change lors­qu’on devient soi-même parent. Tout alors s’éclaire à nouveau parce qu’on saisit de l’intérieur ce qu’il y a dans le cœur d’une mère et dans celui d’un père. Et par une grâce inattendue, certaines personnes se donnent alors à elles-mêmes les parents qu’elles n’ont pas eus, en l’étant pour d’autres.

L’Esprit nous fait dire « Père »

C’est une chose belle et louable de comprendre des paroles et des textes inspirés, c’en est une tout autre de se les approprier, de les comprendre de l’intérieur et de les vivre comme Jésus lui-même. Et ainsi d’entrer dans la vie relationnelle qu’est la Trinité.

Pourrions-nous en vérité, et non en mots seulement, dire Père, mon Père, notre Père, si l’Esprit de Jésus ne nous habitait pas? Si en nous inspi­rant des sentiments filiaux il ne nous donnait pas aussi la très grande audace de considérer le Créateur des Cieux, le Très Haut, le Trois fois Saint comme notre Père?

Nous trouvons ici l’action de l’Esprit: il ne nous apporte pas un évan­gile nouveau mais il nous fait comprendre et vivre ce que Jésus nous a enseigné (Jean 14.26), et il nous conduit à la vérité totale (Jean 16.13,­14), c’est-à-dire à la plénitude de sens et de vie. Parce qu’il est le même Esprit qui animait Jésus dans sa vie et sa mission, il est le seul qui peut nous conformer, nous identifier à notre Sauveur, au Fils Unique de Dieu, à notre Frère.

Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle (Apoc 21,1)

Les trois premières demandes

La fin des deux guerres mondiales, puis celle de la Guerre froide suivie de la chute du mur de Berlin, ont à chaque fois suscité d’im­menses espoirs… jamais réalisés car l’être humain a trouvé d’autres moyens de prolonger les conflits ou d’inventer de nouveaux prétextes à se battre. Mais ce n’est pas seulement au siè­cle dernier que l’humanité a rêvé et espéré que la paix et l’harmonie régneraient dans notre monde. Huit siècles avant Jésus, le prophète Ésaïe (2.4s) voyait les nations réunies dans la ville du Seigneur, Jérusalem, détruisant tou­tes les armes et marchant ensemble dans la lumière du Seigneur. Tous ces rêves et toutes ces visions de bonheur, Jésus les reprend dans la prière qu’il nous enseigne. Le pre­mier groupe de trois demandes oriente notre regard vers la réalisation défini­tive du plan que Dieu a conçu pour que l’amour et la vie règnent dans notre monde.

Ces trois demandes sont parallèles et leur contenu est semblable. Les deux premières s’apparentent étroitement à une prière qui terminait chaque cérémonie à la sy­nagogue. Une vision semblable domine les de­mandes de cette prière juive et du Notre Père, celle de la fin de l’histoire que le Seigneur couronnera. De part et d’autre, on implore la venue de l’heure où le nom profané de Dieu sera sanc­tifié et son royaume établi pour tou­jours: Le royaume du monde est maintenant à notre Seigneur et à son Christ; il règnera pour les siè­cles des siècles (Apoc 11.15). C’est l’équivalent de la très ancienne suppli­que de l’Église exprimée en araméen, Maranatha (1 Cor 16.22), et en grec, Viens, Seigneur Jésus (Apoc 22.20).

Que ton nom soit sanctifié !

La sainteté désigne d’abord le fait d’être séparé. Dieu est saint, parce qu’une distance infinie le sé­pare de tout ce qui existe. La sancti­fication du nom, qui représente la personne de Dieu, est un thème fami­lier à l’Ancien Testament. Quand il promet la restauration à son peuple exilé, le Seigneur affirme qu’il sanctifie son nom: Je sanctifierai mon grand nom qui a été profané parmi les nations au milieu desquelles vous l’avez profané (Éz 36.23). Dieu sanctifie son nom par la mani­festation de sa puissance et de sa gloire, qui le révèle comme le seul vrai Dieu, à l’encontre des idoles des na­tions. Les membres du peuple élu sancti­fient, de leur côté, le nom de Dieu en le reconnaissant comme leur seul Dieu et en se conduisant comme le peuple qui lui est consacré. En pratique, ils reconnaissent, par un culte exclusif et par l’observance de sa loi, le lien vital qui les rattache à leur Seigneur.

Cette première demande est donc une supplication à Dieu de se mani­fester dans le monde comme le seul Seigneur, afin que les humains lui consacrent leur personne. Cette de­mande concerne le moment présent, qui est imparfait, mais en progrès. Elle vise surtout la réalisation défini­tive et parfaite, vers laquelle tend l’histoire du salut.

Que ton règne vienne !

Cette deuxième demande reprend avec le thème du règne le même objet que la précédente et selon la même perspective. La représentation d’un dieu, vénéré comme leur roi, se retrouve chez tous les peuples orientaux. Israël a tou­jours exalté la royauté de Yahvé, dont le roi terrestre est seulement le re­présentant. Lorsque cette image visi­ble de Dieu disparaît après l’exil à Babylone, Israël développe sa conviction que son seul roi est son Seigneur. Le peuple reporte toute son espérance sur Dieu, le sup­pliant d’établir rapidement son règne.

Rien d’étonnant dans ce contexte que la venue du Royaume soit devenue le thème central de la prédication de Jésus. En effet, les deux premiers évangélistes résument son ministère de la manière suivante: Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche (Marc 1.15; Matt 4.17). Mais Jésus, tout en recourant au thème du Royaume, en corrige et complète la doctrine, la débarrassant de toute limite étroitement nationaliste.

Deux aspects du Royaume éclairent la portée du Notre Père: le Royaume est déjà présent aujourd’hui et il est un don de Dieu. Le Christ affirme que, avec sa venue, le Royaume est main­tenant en voie de réalisation. Il est à la fois présent et futur. Cette tension de l’espérance chrétienne vers le futur est partout sous-jacente dans la prière du Seigneur. Le Royaume est un don gratuit du Père: N’aie pas peur, petit troupeau! car il a plu à votre Père de vous donner le Royaume (Luc 12.32). C’est Dieu lui-même qui l’instaurera, comme il le veut et quand il le veut. L’Église et les chrétiens ne peuvent que le désirer et s’y préparer par la prière, la conver­sion et la foi vigilante.

Que ta volonté soit faite !

Nous sommes nombreux à trouver que cette demande du Notre Père est la plus difficile à prononcer et à accep­ter. La crainte nous envahit, nous avons peur que Dieu exige le sacrifice de ce qui nous est le plus cher. Souvent nous savons déjà ce qu’il demandera. Pourquoi avoir peur de la volonté de Dieu? Parce que nous n’avons pas confiance qu’il veut notre bonheur mieux que nous-mêmes.

La volonté de Dieu ne désigne pas ici l’ensemble de ses commandements, mais le décret éternel concernant le salut de son peuple. Ce décret préexiste déjà au ciel. Les chrétiens demandent à Dieu de l’accomplir sur terre exacte­ment comme le modèle céleste.

En général, Que ta volonté soit faite exprime d’ailleurs non un sou­hait, mais un décret de Dieu se réa­lisant même contre la volonté humaine, qui accepte de s’effacer devant la décision de Dieu.

Au jardin de l’agonie, lorsque Jésus revient prier une seconde fois, il s’écrie: Mon Père, si cette coupe ne peut pas être enlevée sans que je la boive, que ta volonté soit faite! (Matt 26.42) Au moment de la crise suprême, qui marque l’accomplisse­ment du plan divin de salut, le Christ s’exprime exactement comme dans le Notre Père: il soumet sa volonté d’homme et se conforme au décret de son Père.

Quand nous avons l’illusion de bâtir notre avenir uniquement par nos pro­pres talents, nous finissons par trou­ver le vide. Chacun de nous ressent en son cœur un désir de joie et un appétit de vie sans fin, qui dépasse complètement notre faiblesse. Nous sommes tous radicalement pauvres face à nos rêves. Pour apaiser notre désespérance et pour combler nos rêves, Jésus nous a enseigné qu’il faut lever les yeux vers le ciel et prier Dieu, en croyant à son amour de Père. La foi nous assure qu’il établira son règne de vie et de bonheur, car il sera tout en tous (1 Cor 15.28).

Donne-nous aujourd’hui…et notre pain éternel

La supplique en titre té­moigne de l’importance du pain quotidien. Importance non seulement de cet aliment propre à assouvir la faim de nos estomacs, importance non seule­ment du symbole des biens temporels indispensables ou utiles à notre bien­-être ici-bas, mais surtout importance du symbole de la Nourriture divine.

Plus que du pain

Oui, le pain demandé dans le Pater c’est bien davantage que du pain, c’est le…

symbole de l’aliment de base indispensable et préalable à ce qui le garnira, l’accompagnera, c’est aussi tout ce qui permettra au corps de se fortifier et de se développer harmo­nieusement et en santé: Mettre du beurre sur son pain.

symbole des biens communs, universellement répandus sous une multitude de formes, des biens abondants qui devraient être peu coûteux et accessibles à tous et partout dans le monde, sans égard à la fortune: Pour une bouchée de pain.

symbole des travaux plus éreintants que gratifiants, des tâches pénibles requises pour gagner dé­cemment sa vie et celle des siens: Gagner son pain à la sueur de son front.

symbole de la patience et de l’humilité nécessaire pour accom­plir les tâches les plus modestes et les moins rémunératrices, la patience en attendant d’accéder aux échelons de la réussite et à une certaine prospé­rité: Manger d’abord son pain noir.

symbole des activités parfois accaparantes de la vie, des services bénévoles qui nous sont demandés et qu’un cœur généreux nous invite à accomplir sans compter au profit de nos semblables: Avoir du pain sur la planche.

symbole des précieuses riches­ses, des innombrables biens mis par la Providence à notre portée et que nous sommes invités à utiliser avec reconnaissance et modération, et à partager en toute justice: Bon comme du bon pain.

symbole du détachement, de la frugalité, de l’aptitude à se contenter du nécessaire pour mieux partager avec les moins bien nantis, pour se consacrer avec une plus grande ap­plication à l’essentiel: Manger son pain sec.

Pourquoi se gêner ?

En fait, quand nous demandons à Notre Père de nous donner notre pain quotidien, c’est beaucoup de choses. C’est tout le nécessaire, l’utile et même l’agréable pour une vie dé­cente.

Quand, après avoir reconnu, salué, vénéré, souhaité l’extension de Son règne et l’accomplissement de Sa volonté, nous adressons à Dieu cette requête, nous faisons confiance à notre Père des cieux. Et, tant qu’à faire, à un Père en qui nous avons pleine confiance, pourquoi ne pas tout demander justement?

N’est-ce pas Jésus lui-même qui nous invite à parler ainsi, à prier ainsi son Père, Notre Père?

Et si j’ai assez de foi pour croire que mon Père sait mieux que moi ce dont j’ai besoin… pourquoi serais-je mal­heureux, déçu? Pourquoi perdrais-je confiance s’il ne m’accorde pas tout, tout de suite? Un Père éternel peut parfois décevoir des attentes tempo­relles. Mais les autres? Ma foi, mon espérance et Son Amour m’assurent et me disent: jamais!

Un Père aimant d’un amour infini, absolu, un Père juste et bon, un Père créateur du céleste banquet où toutes faims et soifs seront rassasiées ne peut refuser le nécessaire à un de ses en­fants qui le lui demande avec ferveur, confiance et amour.

Le pain, ça se partage

Le Pain éternel est fait pour être partagé. Et plus il y aura de convives à en demander, plus il y en aura de ce Pain. Jamais de pénurie à craindre, jamais de rationnement, ja­mais de récoltes compromettant les stocks.

Mais l’autre pain, celui de croûte et de mie, celui que symbolisent les innom­brables biens matériels si utiles, si agréables, si abondants…

Oui, il y a surabondance de produc­tion. Mais hélas, il y a problème de distribu­tion, il y a injustice dans le partage, il y a abus et gaspillage pour une mino­rité de privilégiés, il y a privation et di­sette pour une majorité d’affamés.

Ce n’est pas le Notre Père qui fait défaut, ce n’est pas le Pater qui est incomplet. Y ajouterions-nous une strophe pour demander de donner du pain à ceux qui n’en ont pas, si nous n’acceptons pas de diminuer notre propre ration pour mieux la partager, rien n’y fera.

Un père sensé, toujours prêt à répondre à nos demandes légitimes et à nos besoins profonds, fut-il Notre Père, est justifié d’hésiter et même de rejeter des requêtes purement égoïstes. Il sait bien, Lui, que des enfants trop gavés oublient parfois de bien se nour­rir aux véritables sources d’aliments vivifiants pour l’âme et le corps, et en oublient le goût et les bienfaits.

Notre Père nous aime infiniment. Il ne nous refusera rien du nécessaire. Pour le superflu, nous aurions avan­tage à mieux partager avant de de­mander encore. Notre Père pourrait bien dans ce cas faire la sourde oreille à notre égo­ïsme. Pas un père sensé n’agirait autre­ment. À plus forte raison Notre Père.

Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons

Chaque jour, des milliers de fidèles font la de­mande de pardon de la prière du Notre Père: Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. Mais savent-ils bien ce qu’elle signifie? Une petite enquête m’a révélé que plusieurs priants du Notre Père font une mauvaise interpréta­tion de la sollicitation de pardon. Ce court article désire d’abord élucider la confusion qui se glisse dans la requête de pardon, puis d’en présenter toute l’ampleur et la beauté.

L’interprétation erronée du pardon

Je fus étonné lors de mon enquête­ de découvrir que plus de qua­tre croyants sur cinq mettaient un lien de causalité entre le pardon et nos pardons. Pour eux, la formule de la demande de pardon se lirait ainsi: Pardonne-nous nos offenses parce que nous aussi nous pardonnons à ceux… ou encoredans la me­sure où nous aussi pardonnons à ceux…

Une telle interprétation crée des pro­blèmes de nature théologique et spi­rituelle. D’abord, elle semble subor­donner le pardon de Dieu à nos pau­vres pardons humains. Ceux-ci deviendraient ainsi la mesure du sien. Quelle erreur sur Dieu de croire qu’il doit limiter sa miséricorde à nos balbutiements de pardon! Ce serait contredire saint Jean qui affirme clairement: Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils (1 Jean 4.10-11). En effet, c’est Dieu qui nous a aimés le premier, et non l’inverse. Aussi, son amour totalement gratuit n’a pas de limites en lui-même. Le seul obstacle possi­ble à l’action de l’amour divin se situe dans notre tragique capacité de fermer notre cœur à son amour infini.

Jésus Christ nous a lancé une invitation radicale à pardonner au prochain. Mais le pardon est beau­coup plus qu’un simple devoir moral ou un commandement. L’apôtre Pierre en bon moraliste, avait un jour demandé à Jésus si on devait pardon­ner jusqu’à sept fois à un offenseur. Vous connaissez la réponse de Jésus: Non pas sept fois, mais soixante-­dix fois sept fois (Matt 18.21). Pour le Seigneur, le pardon, loin d’être une affaire de comptabilité, est une atti­tude fondamentale et constante pro­pre au chrétien. Il s’agit de rester constamment fi­dèle à l’amour du prochain, quelle que soit sa faute, comme Dieu nous demeure fidèle malgré nos fautes.

Nous arroger le pouvoir de pardon­ner, même en puisant dans toute la générosité de notre cœur, serait con­damner nos tentatives de pardon à un échec permanent. En plus du poids de la blessure occasionnée par l’of­fense, nous serions écrasés par une tâche impossible à réaliser. Nous se­rions accablés d’un perpétuel senti­ment de culpabilité et, par suite, de peur. Nous serions dans la crainte que Dieu ne puisse pas nous pardon­ner en retour. Mal comprendre la demande de par­don du Notre Père engendre, chez nombre de croyants, des difficultés énormes: ils se sentent incapables de pardonner et, par conséquent, se sentent dans une situation de non­pardon vis-à-vis d’un Dieu qui exige­rait un pardon immédiat et parfait en tout temps.

L’affirmation de sa pauvreté à pardonner

La vraie signification de la requête de pardon du Notre Père consiste à de­mander le pardon de Dieu afin que nous, à notre tour, puissions faire comme lui. Selon des exégètes, on pourrait ainsi lire cette sollicitation: Pardonne-nous nos offenses comme nous aussi, nous sommes en train de pardonner à ceux… C’est en fait dire à la fois notre volonté de pardonner et notre incapacité de le faire. Nous rejoignons ainsi la pensée de saint Paul lorsqu’il affirme que notre capacité de pardonner vient du fait que Dieu a fait les premiers pas: Le Seigneur vous a pardonné, faites de même à votre tour (Col 13.3), ou encore: Suppor­tez-vous les uns les autres… vous pardonnant mutuellement comme Dieu vous a pardonné dans le Christ (Éph 4.32). Sans la force du pardon de Dieu à notre égard, nous sommes impuissants à pardonner à notre tour. Nos pardons humains ne sont en fait que l’écho de la voix de Dieu qui nous pardonne en premier lieu.

Ainsi comprise, la demande de par­don prend une tout autre allure: elle devient d’abord un acte de soumis­sion à l’exigence chrétienne du pardon que nous pourrions expri­mer ainsi: Je me mets en situation de pardonner; je désire agir en fils et pardonner comme Toi, mon Père. Je suis ouvert à la démarche de pardonner soixante-dix fois sept fois comme me le demande ton Fils Jésus Christ. L’important n’est donc pas d’avoir réussi à tout prix à pardonner comme d’être en cheminement de pardon. Notre de­mande de pardon se transforme alors en une déclaration de notre volonté de pardonner et de notre pauvreté à réussir. Nous savons trop bien notre incapacité de pardonner comme le dit le proverbe: Se venger est humain, pardonner est divin. Malgré notre envie de nous venger, malgré nos res­sentiments, malgré la souffrance due à l’offense, nous croyons à l’amour et au pardon de Dieu; ce qui nous rend capables de pardonner à notre tour.

La gratuité du pardon de Dieu

Peut-être que la grande difficulté à pardonner vient de notre manque de foi dans la gratuité de l’amour divin. Nos expériences humaines d’amour nous ont appris que, souvent, nous devons payer pour l’amour reçu de nos parents, de nos éducateurs ou de nos amis. Aussi, nous avons déve­loppé l’attitude de vouloir gagner nos pardons par des prières, des sacrifices, des renoncements, des humiliations, etc. Pourtant la moti­vation fondamentale de pardonner vient du fait que nous puissions nous laisser aimer malgré la conscience de toutes nos fautes, nos laideurs, nos limites humaines. Croire à l’amour inconditionnel de Dieu qui nous a pardonné sur la croix: Pardonnez-­leur car ils ne savent pas ce qu’ils font, c’est se rendre capable d’une pareille générosité envers ceux qui nous ont offensés.

 Ne nous soumets pas à la tentation

Prise à contresens, cette demande peut choquer. Certains pourraient en effet y voir l’image d’un Dieu qui nous teste 19 en plaçant des tentations sur notre chemin. Des tentations qui seraient des sortes d’épreuves pour mesurer notre obéissance et vérifier si nous sommes assez fidèles pour résister. Une telle interprétation reflète une méconnaissance du sens biblique de la tentation.

L’étude des textes sacrés permet de faire ressortir certains aspects fondamentaux de la tentation:

  • elle est permise par Dieu comme une lutte contre le mal, mais elle (la tentation) ne vient jamais de Dieu;
  • elle est l’occasion de faire un choix libre;

* le salut de l’homme dépend de sa libre réponse devant la tentation.

La tentation, lieu d’exercice de la liberté

Dans la Bible, la tentation est présentée, non comme un piège tendu par Dieu, mais comme le lieu d’apprentissage de la liberté de l’être humain. Dieu permet la tentation afin d’offrir l’occasion à l’homme d’exercer sa liberté. Sans la tentation, l’homme n’aurait pas à choisir et son amour pour Dieu serait un amour imposé, ce qui constitue une contradiction fondamentale. Dans son amour infini, Dieu respecte notre liberté, et cette liberté implique la possibilité de choisir à l’encontre de son amour. C’est d’ailleurs une des exigences les plus difficiles de l’amour, celle d’accepter que celui ou celle qu’on aime choisisse de s’éloigner de l’amour qui lui est offert.

Au début de la Genèse, Adam et Ève sont soumis, dès leur création, à la tentation (Gen 3.1-8). Dieu accepte que ses créatures aient la liberté de faire le bon comme le mauvais choix. Mais le texte nous montre clairement que ce n’est pas lui qui provoque cette tentation: Il(le serpent) dit à la femme… (3.1).

Pour nous, chrétiens et chrétiennes d’aujourd’hui

Si la tentation est souvent perçue comme une difficulté, nous pouvons aussi la voir comme un moment privilégié de choix. C’est l’occasion de vérifier et de démontrer notre préférence pour Dieu. Choisir d’aimer demande toujours des renoncements, la tentation est, en fait, l’occasion de prouver notre amour.

Dans l’évangile, la tentation est présente dès le début de la vie publique de Jésus: Alors Jésus fut conduit au désert par l’Esprit, pour être tenté par le diable (Matt 4.1). L’Esprit envoie Jésus lutter contre le mal. Le rejet des tentations constitue une victoire sur les forces qui détruisent l’homme et elle permet à Jésus de confirmer son choix fondamental: ne pas s’imposer par la puissance ou le merveilleux, mais obéir humblement à Dieu et tout attendre de lui.

On constate ici encore que, même si cette lutte contre la tentation est permise par le Père, la tentation elle-même ne vient pas de Dieu. Dans sa première épître, Jacques est on ne peut plus clair sur ce point: Que nul, quand il est tenté, ne dise: Ma tentation vient de Dieu. Car Dieu ne peut être tenté de faire le mal et il ne tente personne. Chacun est tenté par sa propre convoitise, qui l’entraîne et le séduit (Jac 1.13-14).

Imiter la réponse de Jésus représente un très grand défi dans une société où la recherche de la puissance et la réalisation de prodiges constituent la motivation des grands décideurs (politiciens, scientistes, administrateurs…).

Plus loin, lors de la première annonce de la Passion, on retrouve la lutte de Jésus contre la tentation. À Pierre, qui s’objecte au type de messianisme que le Père assigne à Jésus (être mis à mort et ressuscité), ce dernier répond: Passe derrière moi, Satan! Tu me fais obstacle, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes (Matt 16.23). Ici encore, l’idée de combat est très claire, de même que celle du choix. Jésus repousse violemment la tentation qu’il identifie au mal, personnifié par Satan, et annonce clairement l’acceptation de la mission confiée par son Père.

On pourrait toutefois se demander si Jésus fait vraiment un choix ou s’il n’annonce pas plutôt un événement inéluctable. Dans trois circonstances, on découvre la confirmation que Jésus choisit vraiment sa mission: l’agonie au jardin de Gethsémani, l’arrestation et la comparution devant Pilate.

Dans sa prière à Gethsémani, Jésus affirme à deux reprises sa décision d’agir selon la volonté de son Père: …Non pas comme je le veux, mais comme toi tu le veux (Matt 26.39) et …que ta volonté soit faite (Matt 26.42). Il faut bien comprendre que ce que le Père veut, ce n’est pas la souffrance et l’exécution de Jésus, mais la poursuite de sa mission, même si celle-ci entraîne Jésus vers la fin que l’on connaît.

Lors de son arrestation, Jésus atteste encore plus clairement qu’il fait un choix, lorsqu’il dit à Pierre: Penses-tu que je ne pourrais pas faire appel à mon Père, qui me fournirait aussitôt plus de douze légions d’anges? (Matt 26.53)

Lorsqu’il paraît devant Pilate, Jésus proclame à nouveau sa ferme intention de ne pas s’imposer par la puissance: Ma royauté n’est pas de ce monde. Si ma royauté était de ce monde, mes partisans auraient combattu pour que je ne fusse pas livré aux Juifs (Jean 18.36).

Choisir de vivre selon l’évangile implique des renoncements parfois très difficiles. 11 s’agit souvent de renoncer à la satisfaction d’un désir immédiat dont la recherche nous détourne du vrai bonheur qu’on ne peut atteindre que dans l’abandon à Dieu. Abandon et renoncement ne sont pas des termes très valorisés dans notre société où l’on prône plutôt le contrôle de son environnement, la sécurité matérielle et la recherche à tout prix du plaisir personnel immédiat.

Ne nous soumets pas

Si la tentation est le lieu privilégié pour exercer notre choix de Dieu, que veut alors dire cette demande de ne pas y être soumis? N’y a-t-il pas là contradiction? Il faut bien comprendre le sens de la demande. Il s’agit, non pas de demander de ne pas être mis en situation de choisir, mais bien de nous éviter une tentation au-dessus de nos forces, qui nous amènerait à nous détourner de Dieu. Matthieu confirme cette interprétation en complétant la demande par l’ajout Mais délivre-nous du mal, ajout qui n’apparaît pas dans le texte de Luc. Soumettre n’est d’ailleurs pas la traduction la plus exacte du terme inscrit dans l’évangile. Le verbe utilisé signifie plutôt faire entrer. On comprend alors mieux le sens de la demande: plutôt que de nous faire entrer dans la tentation, comme on entrerait dans une prison, on demande à Dieu de nous libérer du mal.

Quelle tentation ?

Il ne faudrait pas croire que la demande du Notre Père porte surtout sur les petites tentations quotidiennes. Ce n’est pas pour rien que l’on dit à la tentation et non aux tentations. La tentation dont il est question ici ne réfère pas à un ensemble de préceptes ou de règles imposées auxquelles on serait tenté de se soustraire, mais à un choix fondamental qui détermine l’orientation de tout le vécu; vivre en s’abandonnant à la volonté de Dieu (qui est le bonheur de l’homme) ou s’éloigner de lui pour ne s’en remettre qu’aux forces matérielles.

La faute de nos premiers parents n’en fut pas une de gourmandise ou même de désobéissance; elle consistait plutôt à refuser de s’en remettre à Dieu pour savoir ce qui est bon ou mauvais pour l’homme. De même le refus de Jésus ne porte pas d’abord sur la satisfaction de besoins physiques fondamentaux (la faim), pas plus que sur le plaisir de détenir des biens matériels ou une certaine puissance; ce que Jésus refuse, c’est de soumettre son destin et sa mission à ces éléments. La demande du Notre Père porte sur la tentation fondamentale à laquelle furent soumis Adam et Ève, le peuple Juif et Jésus, et à laquelle nous sommes, à notre tour, soumis constamment: s’éloigner de Dieu pour asservir notre vie aux faux dieux de la consommation effrénée, de la soif du pouvoir et de la richesse.

Une réponse qui détermine le salut

Dans chacun des épisodes cités, la réponse à la tentation est présentée comme déterminante pour le salut de l’humanité. Le choix fait par Adam et Ève entraîne un bris dans leur relation d’amour avec Dieu, l’homme et la femme se cachèrent, et la Genèse indique les conséquences pour toute l’humanité: douleur, convoitise, relation dominants-dominés, brisure de l’harmonie avec la nature, adversité, peine et fatigue. Les choix de Jésus, au contraire, procurent le salut de l’humanité.

Cette dynamique se vérifie dans toute l’Histoire Sainte: chaque fois que les Juifs s’éloignent de Yahvé et choisissent d’autres dieux, il s’ensuit une série de malheurs. Un retour vers Yahvé amène la fin de leurs déboires et l’accomplissement des promesses de celui-ci.

De plus en plus, on se rend compte que les valeurs prônées dans notre monde aboutissent à un sentiment de vide et de déception. Nos sociétés contemporaines ont surtout misé sur la science, la technologie et la capacité de l’homme à se donner seul le bonheur.

Malgré ses progrès prodigieux, la science n’a que peu contribué à la diminution de l’ensemble des souffrances humaines. Si elle a permis d’expliquer le comment des choses, elle n’a pu apporter de réponses aux questions sur le sens de la vie. Pour ce qui est du progrès technologique, on a longtemps cru qu’il améliorerait le sort de l’humanité; on constate, de plus en plus, qu’il ne profite, en fait, qu’à une partie privilégiée de la population et qu’il contribue dans bien des cas à accentuer l’écart entre les démunis et les nantis.

De plus, même ceux qui profitent des progrès de la science et de la technologie se rendent compte que ceux-ci n’augmentent que leur confort quotidien, mais n’apportent pas la joie de vivre. Quant à la capacité pour l’humanité de créer elle-même son bonheur, il suffit d’observer autour de soi pour constater que le véritable bonheur de vivre est souvent absent et qu’il ne découle jamais essentiellement de réalisations matérielles.

Ces échecs, ces déceptions, et le vide qui en découle, illustrent ce que devient la destinée de l’homme lorsqu’il succombe à la tentation de s’en remettre à ses seules forces. Dans ce contexte, les chrétiens et chrétiennes sont appelés à démontrer, par leur témoignage dans leur milieu, que l’avenir heureux de tout être humain, de toute société et de l’humanité dans son ensemble dépend de la capacité de se détourner de cette tentation pour s’en remettre au plan de Dieu.

Les armes de Jésus contre la tentation

Le récit de la tentation au désert nous indique un premier moyen utilisé par Jésus pour lutter contre la tentation. Il s’agit de la parole de Dieu. En effet à chaque tentation, Jésus répond par une citation biblique: Il est écrit…

 Une seconde arme est mentionnée dans le récit de l’agonie au jardin de Gethsémani. Il s’agit de la prière: Priez pour ne pas tomber au pouvoir de la tentation (Luc 22, 40ss).

Ces récits nous font voir que la seule façon de lutter efficacement contre la tentation est de se tourner vers Dieu, soit en écoutant sa parole, soit en s’adressant à lui pour le prier.

La lecture de la Bible et la prière ne devraient pas être perçues comme des obligations imposées pour mériter le salut, mais comme un moyen de nous prémunir contre la tentation qui risque de nous faire quitter le chemin du vrai bonheur. Nous devons nous rappeler qu’avec la tentation, Dieu donnera le moyen d’en sortir et la force de la supporter (1 Cor 10.13); à nous de décider d’utiliser ou non ce moyen.

Jean-Louis D’Aragon SJ

2024/02/19 – Mt 25, 31-46

Ce texte trace une fresque du jugement dernier. Le Fils de l’homme vient dans sa gloire, avec la cour des anges. Devant son trône de gloire, sont assemblées toutes les nations. Il rassemble les élus à sa droite et renvoi à sa gauche les réprouvés. Le Roi, c’est-à-dire le Fils de l’homme dans sa gloire, invite les élus à recevoir en héritage le royaume préparé pour eux depuis la création du monde parce qu’ils lui ont donné à manger quand il avait faim, à boire quand il avait soif, l’ont vêtu ou visité quand il était dans le besoin. C’est la surprise pour les élus. Le Roi explique que les oeuvres de miséricorde qu’ils ont faites pour les autres c’est à Lui qu’ils les ont faites. Les réprouvés, eux, n’ont rien fait de ces oeuvres de miséricorde pour Lui et sont donc rejetés pour l’éternité.

Le Sermon sur la montagne s’était terminé par la recommandation de Jésus sur la nécessité de faire passer dans ses actions ce sermon: Ce n’est pas en me disant, Seigneur! Seigneur! qu’on entrera dans le Royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est dans les Cieux. (Mt.7,21) Tout le chapitre 25 de l’évangile de Matthieu est une exhortation sur le même sujet.

Il commence par la parabole des dix vierges qui sont invitées à un repas de noces le soir, avec leurs lampes. Celles qui sont vigilantes se pourvoient d’huile et elles ont des lampes allumées quand arrive l’époux, tandis que les autres, avec leurs lampes éteintes, se voient refuser l’entrée. La recommandation aux auditeurs est de veiller pour être prêts. Veiller pour être prêt, c’est agir.

La parabole suivante illustre cette prévoyance que tout disciple doit avoir: c’est la parabole des talents. Matthieu qui, selon la tradition, est le même que l’apôtre qui était un collecteur d’impôts, a retenu cette parabole du monde des affaires (notez la mention des banquiers). Un talent est une grosse somme d’argent: elle équivaut à 15 ans de salaire pour un ouvrier. Au moment de s’absenter, un maître confit des talents à ses serviteurs selon la capacité de chacun. Deux des serviteurs s’empressent aussitôt d’investir ce qu’ils ont reçu pour le faire profiter. Le troisième, lui, cache le talent qu’il a reçu. Au retour du maître, les deux premiers sont loués. Ils recevront encore plus mais surtout ils sont invités à entrer dans la joie de leur Seigneur, ce qui, pour des oreilles chrétiennes, représente le festin dans le Royaume des Cieux dont Jésus a déjà parlé (8,11). Quant à celui qui avait caché son talent, on lui enlève ce talent et il est jeté dehors. L’application est évidente: tout disciple est un gérant de ce qu’il a reçu de Dieu: il doit le faire profiter.

Comment faire profiter ce qu’on a reçu de Dieu? La réponse est notre texte aujourd’hui. Il y avait déjà des listes des oeuvres de miséricorde dans l’Ancien Testament. Dans Isaïe, Dieu préfère ces oeuvres plutôt que le jeûne (Is.58,7). Il y en a une qui est mentionnée ici mais qui n’est pas mentionnée dans ces listes de l’Ancien Testament: la visite aux prisonniers. Les chrétiens connaissent maintenant la prison, comme les persécutions.

Devant la déclaration de Jésus à ceux qui sont à sa droite qu’Ils lui ont donné à manger quand il avait faim et à boire quand il avait soif, qu’ils l’ont accueilli quand il était un étranger, qu’ils l’ont vêtu quand il était nu, visité quand il était malade ou en prison, les élus sont surpris et demandent quand cela est-il arrivé. Cette surprise est importante dans le texte car elle suggère que c’est seulement dans la gloire finale que les élus peuvent comprendre la profondeur de la solidarité du Christ avec les malheureux, d’où l’importance pour ses disciples d’avoir un amour réel pour le prochain et une charité vraiment agissante.

Jean Gobeil SJ