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2024/02/17 – Lc 5, 27-32

Jésus voit un collecteur d’impôts du nom de Lévi assis à son bureau de publicain.  Il lui dit : Suis-moi.  Et il se mit à le suivre.  Il offrit un grand repas pour Jésus.  Il y avait de nombreux publicains comme invités et d’autres gens aussi.  Les pharisiens et les scribes protestaient auprès des disciples parce qu’ils mangeaient avec des publicains et des pécheurs.  Jésus leur répondit que ce n’était pas les gens en bonne santé qui avaient besoin du médecin, mais les malades et qu’il était venu appeler à la conversion non pas les justes mais les pécheurs.

La première partie du récit décrit l’appel d’un disciple à suivre Jésus et sa réponse est immédiat. Il se mit à le suivre.  Le temps du verbe utilisé par Luc (imparfait) indique que la réponse n’a pas été seulement l’affaire d’un moment précis, seulement à cette occasion, mais bien qu’il est devenu quelqu’un qui suivait Jésus, qui était un disciple.  Mais le point qui attire l’attention est la profession de ce Lévi : il est un collecteur de taxe.  Il est à Capharnaüm, assis à son bureau à l’extérieur, et collecte vraisemblablement des frais de douane pour les denrées qui viennent de la Syrie et pour le poisson qu’on exporte.

Les publicains, à cause de leurs contacts avec toutes sortes de gens et avec des étrangers, sont considérés comme impurs par les Pharisiens.  Ils sont mis dans le même sac que les pécheurs publics et sont en marge de la société.  Il faut éviter de les fréquenter et il n’est pas question de s’associer à eux dans une occasion aussi intime qu’un repas.  Jésus fait donc quelque chose d’exceptionnel en introduisant parmi ses disciples un publicain.

Or, pour Luc, dont les auditeurs sont des grecs, c’est-à-dire des païens convertis, ces différentes sortes de marginaux, plus ou moins exclus de la société juive, ont eu une place importante dans la vie de Jésus.  Comme les autres évangélistes, il mentionnera tous ces malades impurs que Jésus laisse approcher et même ce lépreux que Jésus touchera.  Mais il aura ces exemples qu’il est seul à mentionner.  Il y aura Zachée, de Jéricho, ce publicain très riche, qu’il fera descendre de son arbre pour aller chez lui.  Il y aura ce Samaritain que Jésus choisit comme exemple de charité dans une parabole.  Pour les Juifs, il n’y a pas de bon Samaritain : ils sont tous des hérétiques.  Il y aura ce centurion de Capharnaüm, un païen, dont le serviteur est malade.  Luc souligne qu’il doit être vraiment bon pour avoir payé pour la construction de la synagogue.  Il y a enfin une catégorie de personnes qui ne sont pas exclues de la société mais qui ne sont pas très importantes et qui ne seraient pas admises à suivre un rabbin : des femmes.  Non seulement Luc mentionne ces femmes qui suivaient Jésus mais encore il donne leurs noms et ajoutent qu’elles les assistaient de leurs biens.  Il les mentionne au Calvaire en ajoutant qu’elles avaient suivi Jésus depuis la Galiléé…comme les autres disciples.  On les retrouve à surveiller la sépulture de Jésus.  Elles seront les premières à annoncer la résurrection aux autres disciples.  Au calvaire, il y avait le bon larron à qui Jésus avait déclaré : En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis.

La seconde partie de notre texte parle de Lévi.  Il veut célébrer son appel à être disciple.  Il offre un grand festin à Jésus.  Ses invités sont évidemment des gens qu’il pouvait fréquenter : d’autres marginaux et des publicains.  C’est ce qui amène la troisième partie du texte, la controverse.

Des Pharisiens et des scribes se rendent compte que Jésus mange et boit avec des gens qu’il ne convient pas de fréquenter.  Ils protestent auprès des disciples.  Jésus lui-même leur répond d’abord en se comparant à un médecin qui va auprès des malades.  Puis il ajoute une déclaration qui révèle le cœur de sa mission : Je suis venu appeler non ps les justes mais les pécheurs pour qu’ils se convertissent.

Il répètera cela à la fin de l’épisode de Zachée, cet autre publicain chez qui il s’était invité à manger : Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. (Luc 19, 10)

Jean Gobeil SJ 

2024/02/16 – Mt 9, 14-15

Les disciples de Jean Baptiste viennent demander à Jésus pourquoi ses disciples ne jeûnent pas comme eux et comme les pharisiens. Jésus répond que sa présence a priorité sur des pratiques de pénitence. Il compare sa présence à un vin nouveau qu’il ne faut pas mettre dans des outres usagées c’est-à-dire restreindre dans des pratiques anciennes.

Il y avait des jeûnes obligatoires pour les Juifs à certains moments de l’année. Mais les Juifs pieux pouvaient aussi pratiquer des jeûnes occasionnels. En fait, le jeûne, la prière et l’aumône constituaient trois pratiques religieuses importantes: elles sont mentionnées dans le sermon sur la montagne. Les Pharisiens et les disciples de Jean avaient leurs jours de jeûne propres à leur groupe.

Les disciples de Jean Baptiste sont probablement agacés par le contraste entre la façon de vivre de Jésus et celle de leur maître. Jean Baptiste qui se présente comme un ascète sorti du désert proclame avec sévérité l’approche d’un jugement alors que Jésus et ses disciples ne refusent pas les repas qu’on leur offre. La seule chose que Jean Baptiste et Jésus ont en commun ce sont les ennemis. Jésus en fait la remarque:

Jean vient en effet, ne mangeant ni ne buvant, et l’on dit: Il est possédé. Vient le Fils de l’homme, mangeant et buvant, et l’on dit: C’est un glouton et un ivrogne, un ami des publicains. et des pécheurs.  (Matthieu,11,18-19)

On n’a pas digéré le repas chez Matthieu avec les publicains qui étaient fiers et avaient des sourires d’une oreille à l’autre. Ce Jésus n’est pas sérieux.

La présence de Jésus et les deux petites paraboles, celle de la pièce avec du tissu neuf et celle du vin nouveau dans des vieilles outres, soulignent le thème de la nouveauté. Si la nouveauté était conforme avec ce qui précédait, ce ne serait plus de la nouveauté. Les Juifs auraient dû se souvenir des façons d’agir de Dieu dans le passé. Il faisait des choix inattendus et surprenants. Au lieu de prendre l’aîné ou ceux qui sont grands et forts, il choisissait le petit dernier qui gardait les moutons et qui s’appelait David.  Dieu avait libéré les Israélites au début de leur histoire et ils s’étaient retrouvés au désert! Ils n’en demandaient pas tant: de meilleures heures de travail auraient suffi pour les contenter! Après que Dieu ait dit à Abraham: Rien n’est impossible à Dieu, on peut s’attendre à des surprises.

Si cette nouveauté s’appelle une Bonne Nouvelle, il n’y a pas de place pour la nostalgie du passé.

Jean Gobeil SJ

2024/02/15 – Lc 9, 22-25

La première lecture aujourd’hui reproduit l’exhortation divine qui conclut les cinq livres de la Loi, le Pentateuque (Deut 30, 15-20). Après avoir décrit en détail les préceptes qui expriment sa volonté, le Seigneur dit qu’il offre deux chemins à son peuple et à tout être humain : celui du bonheur et de la vie ou celui du malheur et de la mort. Les préceptes de la Loi n’ont pas pour but de condamner ou d’humilier l’homme, mais de l’éclairer sur la voie du bonheur et de la vie, en l’associant à la volonté de Dieu. Ce projet divin vise uniquement l’épanouissement et la joie de son peuple. Après avoir indiqué les deux voies possibles, le Seigneur lance cet appel d’amour : « Choisis donc la vie pour que vous viviez, toi et ta descendance, en aimant le Seigneur ton Dieu et en écoutant sa voix. »

Mais ce chemin du Seigneur paraît rebutant, alors que la désobéissance pour défendre son autonomie séduit l’humanité. C’est la tentation que le monde fait sans cesse miroiter : l’argent et les plaisirs. Telle est la voie large et facile, mais Jésus nous affirme qu’elle ne mène pas au Royaume de Dieu, elle conduit, au contraire, à sa perte celui qui la prend. Le chemin du Christ, suivant la volonté de son Père, c’est celui qui va vers la croix. Quelle stupidité apparente !

Première annonce de la Passion

Jésus prévoit et annonce ici pour la première fois la fin tragique de sa mission. Cette prédiction se situe après la proclamation de Pierre que Jésus est le Messie. Mais quel Messie ?  Un chef militaire, victorieux des Romains, celui qui libérera son peuple de l’humiliation et de la servitude ? Le Christ répondrait ainsi à l’espoir de Pierre et du peuple d’Israël. Ce serait la voie large et facile, celle que le diable proposait à Jésus dans l’ultime tentation, lorsqu’il lui offrait tous les royaumes du monde et leur gloire (Mt 4, 8-10).

Jésus est lucide et prévoit l’issue tragique de son ministère. L’exécution de Jean Baptiste lui montre le sort qui l’attend. Les autorités de Jérusalem se préoccupent et s’inquiètent à son sujet. Ils ont envoyé des docteurs de la Loi pour scruter son enseignement et pour juger ses actions. Jésus s’est montré libre à l’égard des traditions que les Pharisiens ont multipliées pour protéger le peuple des influences païennes, mais le fardeau de ces traditions étouffe les gens. Le Christ veut libérer son peuple et il critique ces traditions au point d’irriter ses adversaires, qui ne voudront pas le tolérer longtemps.

« Le Fils de l’homme » est ce personnage glorieux envoyé par Dieu pour sauver son peuple soumis à la persécution du roi Antiochus Épiphane, l’an 167 av. J.C. (Daniel, 7, 13s). Jésus s’attribue ce titre et affirme par là qu’il est le Sauveur d’Israël, l’espérance de son peuple. Mais Dieu veut sauver son peuple et toute l’humanité d’une manière déconcertante, par « la folie de la croix », dira saint Paul (1 Cor 1,18). « Les anciens, les chefs des prêtres et les docteurs de la loi », c’est-à-dire le Sanhédrin, l’autorité suprême, l’élite entière d’Israël le condamnera. Mais la mort ne sera pas l’issue finale, dans laquelle sombrerait le Christ. L’humanité pécheresse et homicide n’aura pas la victoire finale. De la mort, Dieu ramènera « le Fils de l’homme » et tous les siens dans la gloire d’une vie nouvelle.

Disciples du Fils de l’homme

Après cette annonce de sa passion, Jésus s’adresse « à tous », donc à nous aujourd’hui, et non pas seulement à ses disciples. Pour nous sauver, le Christ nous incorpore comme ses membres dans sa personne. Dans la prophétie de Daniel, c’est « le peuple saint », celui qui participe à la sainteté de Dieu, que « le Fils de l’homme » vient sauver de la persécution et de la mort.

Cette union de chacun de nous avec « le Fils de l’homme » a pour conséquence notre participation à sa destinée, à la route étroite et difficile qu’il a parcourue. La croix du Christ, au terme, signifie le dénuement complet, le renoncement à tout pour être libre d’accueillir l’amour de Dieu. Cette conversion, qui consiste à renoncer à tout ce qui nous détourne du chemin qui nous conduit vers Dieu et nous élève à Lui, se réalise peu à peu, « chaque jour ». C’est la croix qu’il faut porter sans cesse jusqu’au don total et final de soi-même, pour répondre à l’amour divin.

Jésus remet sous nos yeux les deux voies qui s’offre à chacun(e) de nous. « Sauver sa vie », c’est se cramponner à ce qu’on pense posséder présentement, aux biens qu’on accumule pour s’enfermer dans une apparente sécurité. C’est se contenter des plaisirs superficiels, de tout ce qui passe si vite, que la mort montrera comme vanité et fumée. Se replier sur soi-même, penser « sauver sa vie », c’est la perdre. Cultiver l’égoïsme. C’est s’enfermer dans sa solitude, dans une sclérose qui aboutit à la mort définitive. À François Xavier qui cultivait l’ambition de devenir un éminent universitaire, Ignace de Loyola répétait souvent l’avertissement du Christ : « Que sert à l’homme de gagner le monde entier, s’il se perd lui-même? » Ce rappel salutaire qui provoqua la conversion de François !

Nous sommes des pèlerins sur cette terre, des voyageurs, qui ne peuvent ni s’arrêter, ni s’installer, ni surtout se noyer dans la vie présente. Que nous le voulions ou non, le temps nous entraîne, nous avançons sans souvent nous en rendre compte. Serait-il sage de marcher sans connaître la fin du voyage et, surtout, sans prévoir le but de notre pèlerinage ?

Jean-Louis D’Aragon SJ

2024/02/14 – Mt 6, 1-6.16-18

.Si vous voulez vivre comme des justes, évitez d’agir devant les hommes pour vous faire remarquer… Ainsi quand tu fais l’aumône, ne fais pas sonner de la trompette devant toi. …Mais toi quand tu fais l’aumône que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret; ton Père voit ce que tu fais en secret; il te le revaudra. … Et quand vous priez, ne soyez pas comme ceux qui se donnent en spectacle.   Mais toi, quand tu pries, retire-toi au fond de ta maison, et prie ton Père qui est présent dans le secret; ton Père voit ce que tu fais dans le secret; il te le revaudra. … Et quand vous jeûnez, ne prenez pas un air abattu, comme ceux qui se donnent en spectacle. … Mais toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage; ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent dans le secret; ton Père voit ce que tu fais en secret; il te le revaudra.

L’aumône, la prière et le jeûne sont trois pratiques fondamentales de la piété juive. Elles garderont de l’importance pour les premiers chrétiens.

L’aumône était souvent considérée comme une oeuvre de justice plutôt qu’une oeuvre de charité: on ne donnait pas en faisant l’aumône; on s’acquittait plutôt d’une dette qui finalement était vis-à-vis de Dieu. Cette perspective de l’aumône et de l’aide à quelqu’un dans le besoin est passée dans l’Islam où elle se retrouve encore aujourd’hui. Au temps de Jésus, le nombre de gens très pauvres était particulièrement important et l’aumône représentait la seule forme d’aide sociale.

Ceux qui pouvaient faire une aumône un peu importante pouvaient en profiter pour se faire valoir: Jésus les appelle des hypocrites, ce qui vient d’un mot grec signifiant des acteurs.

A part les prières reliées au culte, les prières individuelles ont une longue tradition dans la religion juive. Le meilleur exemple sont les psaumes. Beaucoup des psaumes, au départ ont été des prières individuelles qui ont d’ailleurs souvent gardé des traces de détresse, d’impatience ou de révolte devant l’injustice de situations particulières. Les détails de la situation historique ont été perdus quand la prière individuelle a été adoptée par la communauté. Par ailleurs, différents groupes pouvaient avoir leurs propres prières. Jean Baptiste avait montré des prières à ses disciples. C’est ce qui a amené les disciples de Jésus à lui demander de leur montrer à eux aussi comment prier. Jésus lui-même a prié, dans le secret, comme il le recommande dans notre texte.

Enfin, le jeûne était une forme de piété dans les moments de deuil, dans les moments de détresse nationale ou même dans la vie courante.

Jésus donne les conditions et l’esprit qu’il faut avoir pour que ces pratiques soient vraiment religieuses. D’abord elles doivent avoir pour but uniquement Dieu. Quand elles se terminent à un avantage personnel, elles ne sont plus religieuses. Ceux qui se servent des pratiques religieuses pour eux-mêmes, Jésus les appelle des hupocritès, des acteurs.

La seconde condition est contenue dans la mention du secret: donner en secret, prier dans le secret, le Père qui est là et qui voit dans le secret. L’expression suggère une connotation d’intimité. Dans ces actions faites pour Dieu, il y a une présence de Dieu qui veut une rencontre intime, personnelle. C’est à cette présence que le juste doit chercher à s’ouvrir par ces pratiques de piété.

Jean Gobeil SJ 

2024/02/13 – Mc 8, 14-21

Les disciples n’ont avec eux qu’un seul pain dans la barque. Jésus leur dit de prendre garde au levain des pharisiens. Mais les disciples discutent sur leur manque de pain. Jésus leur reproche de ne pas comprendre, de ne pas voir, de ne pas entendre. Il leur rappelle les restes de la première multiplication des pains puis de la seconde. Puis il leur demande s’ils comprennent.

La première multiplication des pains avait été suivie d’un renvoi de la foule puis d’une discussion avec les Pharisiens et des scribes venus de Jérusalem sur les pratiques de purification avant les repas. La seconde multiplication des pains est suivie d’une confrontation avec les Pharisiens qui réclament un signe venant du ciel. Pour eux, il ne s’agit pas de croire au Messie mais bien d’avoir un genre de preuve qui les dispenserait de la foi. Le Messie doit être imposé de force par Dieu. Ce n’est peut-être pas par hasard que Marc montre cette absence de foi: les chrétiens persécutés peuvent être tentés de réclamer de Dieu un triomphateur sur les forces du mal.

Les Pharisiens réclament donc un signe dans le ciel. Jésus les laisse là et va continuer sa mission ailleurs. C’est alors qu’il prévient les disciples de se méfier du levain des Pharisiens. Matthieu ajoutera, à la fin, l’explication du levain: il ne s’agit pas du levain avec lequel on fait le pain mais de l’enseignement des Pharisiens. La figure du levain est celle de quelque chose qui peut être bon pour faire lever la pâte mais qui peut aussi être nocif comme une source de corruption.

Marc n’explique pas. Les disciples devraient voir dans les multiplications des pains le signe d’autre chose que le pain matériel et cesser de se préoccuper avec le seul pain matériel qu’ils ont. Il se concentre donc sur les apostrophes de Jésus à ses disciples pour leur reprocher de ne pas voir, de ne pas comprendre, de n’avoir pas d’oreilles pour entendre. Cela rappelle les paroles de Dieu devant le cœur endurci de son peuple.

Marc traite durement les disciples dans son évangile. Jésus leur répète qu’ils n’ont pas de foi, qu’ils sont lents à croire. Cela tient peut-être à la source que Marc avait: si Pierre est la source on peut comprendre qu’il ne devait pas être tenté de se valoriser ou de valoriser les disciples. Mais cela peut faire partie de l’intention de Marc: il veut réveiller la foi de ses auditeurs. Il veut leur rappeler que la foi n’est pas une chose facile. Croire, c’est accepter et accueillir quelqu’un. Accepter quelqu’un, c’est accepter qu’il soit différent, qu’il ait des idées qui ne sont pas les nôtres. C’est accepter une personne avec sa zone du mystère qui lui est propre. Accueillir, c’est respecter ces différences; c’est ne pas essayer de limiter l’autre à la dimension de ses désirs propres ou de ses besoins. Croire, c’est une dimension qui n’est jamais terminée.

Jean Gobeil SJ 

2024/02/12 – Mc 8, 11-13

Ce passage de Marc à propos des pharisiens qui exigent « un signe venu du ciel » est repris au moins deux fois par chacun des autres synoptiques (Matthieu et Luc). Alors que chez Marc, Jésus se contente d’opposer une fin de non recevoir à la requête des pharisiens, on constate que chez les deux autres, il saute sur l’occasion pour se lancer dans une féroce diatribe contre « cette génération ». Chez Matthieu, par deux fois, Jésus qualifie cette génération de «mauvaise et adultère ». Chez Luc, il parle de « génération mauvaise » et de « génération pervertie ».

Ce n’est pas difficile de saisir ce qui enrage Jésus. C’est la mauvaise foi des pharisiens qui le met hors de lui. Mais on peut se demander si leur refuser le signe qu’ils réclamaient n’a pas été une mauvaise stratégie. Il me semble qu’à sa place, j’aurais profité de l’occasion pour les confondre une fois pour toutes, en produisant effectivement un signe, un acte de puissance. Par exemple, en les foudroyant pour leur administrer le genre de traitement que subira Paul de Tarse sur « le chemin de Damas ».

Au lieu de cela, Jésus les plante là et s’en va. En fait, il les laisse triompher, car, de sa réaction, ils ne peuvent tirer qu’une seule conclusion : il est incapable de produire « la preuve » que nous lui demandons. Les évangiles n’insistent pas sur cet aspect : l’impossibilité de relever le défi est une occasion d’humiliation pour Jésus. « Et, les quittant, il remonta dans la barque et il partit pour l’autre rive. » Humainement, cette phrase signifierait qu’il a fui, la queue entre les pattes. Jésus est parti frustré, blessé de n’avoir pas pu remettre ces hypocrites à leur place.

Mais pourquoi a-t-il accepté cette humiliation? Jésus n’a peut-être pas réagi ainsi parce qu’il « ne voulait pas » relever le défi, mais réellement, parce qu’il « ne pouvait pas ». C’est un peu comme pour les fameuses « tentations » au désert. Jésus n’a pas refusé d’obéir à Satan parce qu’il ne voulait pas céder aux tentations, mais parce qu’il ne pouvait pas. Si on explique le « refus » de Jésus par une volonté surhumaine, ou une absence de désir, on annule le côté « passion » ou « épreuve » d’une telle expérience et, on dévalue du même coup, le prix exorbitant que le « Premier-né » a dû payer pour que nous soyons fils et filles du même Père.

Je crois que comme nous, Jésus aurait bien voulu faire taire les pharisiens en leur prouvant sa puissance. Il aurait bien voulu sauter du pinacle du temple ou transformer des pierres en pain, pour confondre Satan… Mais il ne le pouvait pas, pour la simple raison qu’il n’opérait pas dans l’ordre des preuves et des démonstrations, mais dans l’ordre de l’amour. Le Fils d’Amour n’était pas capable d’un tel « détournement » des biens du salut: les signes venus du ciel étaient destinés à manifester la miséricorde du Père envers les pauvres et les tout petits. Les signes du ciel ne pouvaient pas servir dans une compétition pour la puissance opposant l’individu Jésus aux « sages » et aux « savants ». Le piège était justement de l’attirer hors jeu, de le pousser à mettre son « Ego » en avant, à se glorifier…

Il ne le pouvait pas. Mais ce n’était pas faute de désir. La morsure du désir était là. C’est elle qui a inscrit l’épreuve dans la vie du Fils de l’homme, jusqu’à la croix, jusqu’au bout. Sinon que signifierait cette prière à Gethsémani (lieu du pressoir): « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? » (Mt, 27, 46), ou encore : « Abba, à toi, tout est possible, écarte de moi cette coupe! Pourtant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Mc 14,36). Comme nous tous, Jésus « avait envie » de ne pas subir une mort atroce, mais il a bu la coupe, jusqu’à la lie. Voilà pourquoi, quand la vie nous impose des choix impossibles, nous pouvons toujours nous tourner vers le Calvaire, vers Getshémani et faire appel à la solidarité de celui qui nous a précédés : « C’est toi qui souffres sur nos croix » jusqu’à la consommation des siècles.

Melchior M’Bonimpa

2024/02/10 – Mc 8, 1-10

Ce récit peut sembler une répétition du miracle de la multiplication des pains décrite en 6, 35-44. Une série de différences entre ces deux passages montrent toutefois que ce nouveau récit de la multiplication des pains n’est pas un simple doublet, mais que l’évangéliste a voulu donner à ce miracle une nouvelle interprétation et une dimension particulière.

Relevons ces différences apparemment minimes. La foule que Jésus nourrit compte 4,000 personnes, au lieu de 5,000 dans le récit précédent. Cette foule se trouve avec Jésus depuis trois jours. Les disciples savent le nombre de pains dont ils disposent. Jésus rend grâce à Dieu pour les pains et une seconde fois pour les poissons. Les disciples ramassent les restes dans sept corbeilles, au lieu de douze. Il est évident que ces différences ont une valeur symbolique dont il faut chercher le sens.

Le contexte nous permet de découvrir la signification que Marc a voulu donner à ce nouveau récit de la multiplication des pains. Il décrit deux miracles que Jésus accomplit dans des territoires païens, juste avant notre récit. Il guérit à distance la fille d’une syro-phénicienne, qui était possédée d’esprit mauvais (7, 24-30). Toujours en terrain païen, mais à l’est du lac de Galilée, dans la Décapole, il guérit un homme sourd et muet (7, 31-37). À la suite de ces deux signes en faveur de païens, Jésus nourrit une foule avec le pain qu’on donne aux enfants, selon la supplication de la femme cananéenne (7, 28).

Dans les deux récits, la foule que Jésus nourrit se trouve dans le désert de notre monde et le langage du Christ rappelle celui du repas eucharistique. À la place des cinq pains et des deux poissons, les disciples ont sept pains et ils recueillent à la fin sept corbeilles de restes. Cette répétition du chiffre sept suggère la totalité – tel est le sens général du chiffre sept – des dons eucharistiques offerts aux païens, à égalité avec ceux offerts aux Juifs en 6, 35-44. Dans le Royaume qu’instaure le Christ, aucun privilège n’existe, aucune ségrégation, tous sont invités et sont égaux. Jésus offre le salut et la vie à tous, sans distinction de race ou de rang social, car l’amour de Dieu s’étend à toute personne qu’il a créée.

Jésus manifeste cet amour divin par sa compassion pour cette foule païenne qui n’a rien mangé depuis trois jours. Il ne veut pas les renvoyer à jeun dans leur foyer, car ces gens pourraient défaillir en chemin. Il ne se contente pas de leur enseigner la vérité, mais il révèle l’amour de Dieu en offrant à cette humanité perdue dans le désert la nourriture qui procure la vie. Cette compassion de Jésus se prolonge comme tout naturellement dans les siens qui ont le devoir de venir au secours des pauvres et des déshérités avec qui le Seigneur s’identifie, « C’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40).

La situation de cette foule de 4,000 païens qui n’ont rien mangé depuis trois jours pose un immense défi à Jésus. Il peut bien avouer qu’il « a pitié de ces gens », mais comment montrer sa compassion ? Ce défi, il le partage avec ses disciples, qui en mesure toute l’ampleur : « Dans cet endroit désert, où pourrait-on trouver de quoi les faire manger à leur faim? » Sans être interpellés par des défis de cette ampleur, nous faisons face parfois à des demandes ou à des besoins qui semblent nous dépasser ou peut-être nous déranger. Nous sommes facilement tentés de démissionner ou de nous défiler, de nous dire que la situation nous dépasse et que nous n’y pouvons rien. Si Mère Térésa avait abdiqué devant la misère immense de Calcutta, sa communauté pour les miséreux de l’Inde et du monde n’aurait pas vu le jour.

Jean-Louis D’Aragon SJ

2024/02/09 – Mc 7, 31-37

Jésus part du territoire de Tyr et Sidon, un territoire païen, pour aller dans le territoire de la Décapole, un autre territoire païen. On lui amène un sourd qui a en outre des difficultés à parler. Jésus se retire loin de la foule avec l’infirme. Il lui touche les oreilles et, avec de la salive, lui touche la langue. Il dit ensuite: Ouvre-toi. Aussitôt, l’infirme est guéri. Jésus recommande le silence mais les gens sont frappées et proclament sa puissance.

Avec ce second miracle en territoire païen, on ne peut éviter la conclusion que la mission du Christ en s’adressant d’abord à Israël n’exclut pas les non-juifs. C’est une conclusion qui n’échapperait pas à l’auditoire non-juif de Marc. Mais ce récit semble avoir plusieurs aspects qui auraient frappé une communauté dont la foi était ébranlée par les dangers d’une persécution.

Les traits particuliers du récit sont les suivants: difficulté d’entendre, difficulté de langage, la parole du Christ, Ouvre-toi, et l’absence des disciples.

Les auditeurs de Marc peuvent reconnaître dans le personnage du sourd-bègue un modèle de leurs difficultés: eux aussi ont des difficultés à comprendre la présence du mal; eux aussi ont des difficultés, des craintes à proclamer la Bonne Nouvelle dans un milieu qui leur est hostile. Ils ont besoin de quelqu’un qui leur ouvre les oreilles pour comprendre et qui leur donne le langage nécessaire pour proclamer.

Au moment de toucher la langue, Jésus pousse un soupir comme pour souligner la difficulté de la tâche et lorsqu’il dit Effata, Ouvre-toi, c’est une parole qui s’adresse au sourd-bègue, à tous les auditeurs de Marc à Rome, et à toutes les futures disciples. Quels qu’ils soient, ils sont appelés à se joindre à cette foule des gens qui proclamaient sa puissance et qui croyaient que cette puissance était capable de se manifester dans leur faiblesse.

Jean Gobeil SJ

 

 

2024/02/08 – Mc 7, 24-30

Jésus est sorti de la Galilée pour aller dans la Syro-Phénicie, le sud du Liban actuel, un territoire païen. Une femme vient lui demander d’expulser un démon hors de sa fille. Jésus s’objecte. Sa mission est d’abord auprès d’Israël, ce qu’il appelle donner le pain aux enfants. Il ne convient pas de jeter le pain aux petits chiens, c’est-à-dire aux païens. La femme utilise la même figure: mais les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table. Jésus réagit immédiatement à la foi de cette femme:  A cause de cette parole. Il lui déclare: Va: le démon est sorti de ta fille. Lorsqu’elle rentre chez elle, elle trouve sa fille guérie.

La mission de Jésus est d’abord auprès d’Israël. L’adverbe indique une priorité de temps, non une priorité d’importance ni une exclusion des non-juifs. C’est la première phase de la proclamation de la venue du Règne de Dieu comme nous le voyons aussi dans l’envoi des Douze en mission: ils ne doivent aller ni vers les Samaritains ni vers les païens mais bien vers les brebis perdues de la maison d’Israël.   (Mt.10,6)

On peut alors se demander qu’est-ce que Jésus va faire en Syro-Phénicie et ensuite dans le territoire de la Décapole: ce sont des territoires païens. La seule chose que Marc nous dit c’est que Jésus ne voulait pas qu’on sache qu’il était là mais qu’il ne réussit pas à passer inaperçu. On peut donc facilement supposer que Jésus voulait laisser l’enthousiasme dangereux des foules se calmer en Galilée. Mais il y avait peut-être aussi un danger du côté d’Hérode Antipas, tétrarque de Galilée. Hérode avait fait arrêter Jean Baptiste. C’est après cette arrestation que Jésus s’était éloigné du Jourdain. Hérode, après un certain temps, a fait exécuter Jean Baptiste. Marc a déjà mentionné (7,14) que la renommée de Jésus était parvenue aux oreilles d’Hérode (6,14) et l’inquiétait. C’est peut-être à ce moment que, selon Luc, quelques Pharisiens avaient averti Jésus: Pars d’ici, car Hérode veut te tuer. (Luc13,31) Jésus voulait peut-être éviter une arrestation prématurée.

Il y a donc pour Jésus deux raisons possibles d’éviter de faire un miracle pour cette Cananéenne, comme Matthieu l’appelle: une païenne et en outre une ennemie traditionnelle d’Israël.

La réponse de Jésus, en dépit du d’abord, a une rudesse certaine. Mais elle est peut-être une sorte de provocation, d’ouverture pour voir sa foi. Or elle se sert de la même figure pour faire un acte de foi splendide. Jésus a parlé du pain pour les enfants d’Israël. Elle, elle parle de la guérison de sa fille comme n’étant qu’une miette de pain pour Jésus. Devant cette sorte de foi, Jésus répond tout de suite:

A cause de cette parole, va; le démon est sorti de ta fille.

Jean Gobeil SJ

2024/02/07 – Mc 7, 14-23

Notre texte continue l’épisode où des autorités des Pharisiens étaient venues de Jérusalem pour faire une vérification officieuse de Jésus. On avait alors remarqué que les disciples de Jésus négligeaient l’observance des prescriptions sur la pureté rituelle. Pour parler de cette question, Jésus en profite pour parler à la foule et déclarer que ce qui rend impur ne provient pas des contacts extérieurs mais vient de l’intérieur, du cœur. Les disciples sont perplexes, ce qui surprend désagréablement Jésus. Pour eux il ajoute que ce qui vient de l’extérieur va dans l’estomac et non pas dans le cœur. Et Marc, le narrateur, en tire la conclusion importante: Ainsi, Jésus déclarait purs tous les aliments. Jésus continue: Toutes les mauvaises actions qui rendent impur commencent dans l’intention du cœur.

Une tradition veut que Marc ait été l’interprète de Pierre. Ainsi, quand il arrête le récit pour souligner clairement que Jésus déclarait purs tous les aliments, il reflète un problème des premiers chrétiens qui avait affecté Pierre sérieusement. Quand celui-ci avait baptisé Corneille, un centurion romain, il avait dû justifier sa conduite devant la communauté de Jérusalem parce qu’il était allé manger chez un païen. Pierre avait alors rapporté la vision qu’il avait eue dans laquelle Dieu lui disait de ne pas déclarer impures des choses qu’il avait créées. On avait alors accepté cela mais seulement à titre d’exception, semble-t-il, et non pas comme une norme puisque le problème avait resurgi à Antioche lorsqu’on avait commencé à admettre des grecs dans la communauté. Des gens venus de Jérusalem avaient réclamé qu’ils soient circoncis. Paul et Barnabé avaient dû aller défendre la liberté des convertis au concile de Jérusalem qui avait tranché en leur faveur. Dans l’épître aux Galates, Paul se vante d’avoir blâmé Pierre qui était maintenant rendu à Antioche et qui mangeait avec les Judéo-chrétiens plutôt qu’avec les grecs convertis. Comme Paul ne mentionne pas le résultat de cette remontrance, il semble bien qu’il n’a pas gagné le point. On pense d’ailleurs que c’est à cause de Pierre que l’église d’Antioche n’a pas éclaté en deux églises distinctes.

Un autre point qui fait penser aux souvenirs de Pierre est la façon dont sont décrits les disciples comme ici. Ainsi, vous aussi, vous êtes incapables de comprendre? Ne voyez-vous pas... C’est Jésus qui parle aux disciples. Ils sont lents à comprendre et Jésus leur reproche leur manque de foi; plus respectueux, les autres évangiles parleront de leur peu de foi. On comprend que Pierre n’avait aucune raison de se vanter ou de vanter les disciples. Mais ce point intéressait Marc qui s’adressait à une communauté qui avait des difficultés et qui vivait probablement une persécution à Rome. Ce pouvait être un encouragement sérieux pour eux que même les disciples qui vivaient avec Jésus avaient eu des difficultés. … Ce point reste valide pour tous les temps de l’Église.

Jean Gobeil SJ