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2023/04/07 – Jn 18, 1 – 19, 42

By 2024-01-04janvier 14th, 2024No Comments

La Passion de notre Seigneur Jésus Christ selon saint Jean (18,1 – 19,42)

Selon la perspective de l’évangéliste Jean, on devrait donner à ce récit le titre suivant : Le Christ glorifié dans son sacrifice. Quatre scènes structurent ce récit : Jésus se livre à ses adversaires au jardin ; le procès juif ; le procès ro¬main ; le sacrifice suprême sur la croix.

Les silences du quatrième Évangile

Pour comprendre l’interprétation de l’évangéliste, relevons d’abord ses nombreuses omissions d’incidents ou de détails rapportés par les trois évangiles qui le précèdent.

Au jardin, Jésus ne subit aucune angoisse, il ne supplie pas son Père, il ne vient pas vers ses disciples endormis pour qu’ils prient avec lui, il ne re¬proche pas à ses adversaires de l’arrêter en secret. Enfin, Jean ne conclut pas ce récit avec la fuite des disciples.

Après l’arrestation de Jésus, Jean relate, comme les trois évangiles précédents, la comparution devant les autorités juives. Au lieu d’être confronté à tout le Sanhédrin, Jésus se trouve devant le grand prêtre seul. Aucun témoin se ne présente pour évoquer la prophétie de Jésus sur la des¬truction du Temple. Le grand prêtre ne formule qu’une question générale sur les disciples de Jésus et sur son enseignement, mais sans aucune accusation. Il n’adjure pas solennellement Jésus de répondre s’il est le Messie ou non. La comparution se termine sans l’accusation de blasphème et sans verdict de condamnation à mort.

Avec l’exécution de Jésus, on relève de nouveau une série d’omissions. Jean ne dit rien sur les moqueries, les insultes et les manifestations de sympa¬thie envers Jésus. Il n’est plus question de Simon, qui aide Jésus à porter sa croix. Lorsque Jésus est en croix, ni les soldats, ni les passants, ni les grands prêtres, ni l’un des crucifiés avec lui ne l’insultent. La dernière parole de Jésus, inspirée du psaume 22, est omise : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Pourquoi une telle série d’omissions ? Jean veut éliminer tout ce qui montrerait Jésus humilié et dominé par ses adversaires, qui représentent le monde. La passion de Jésus n’est pas une tragédie menant au désespoir ; elle marque plutôt la victoire du Christ, sa « glorification », selon l’interprétation de l’évangéliste.

Les additions

Pour confirmer et expliciter ce but, Jean ajoute certains indices et insiste sur des détails déjà mentionnés dans les autres évangiles. Jésus avait déjà répété à plusieurs reprises qu’il désirait accomplir parfaitement la volonté de son Père : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son oeuvre ». (4,34) Juste à la fin de son ministère public, Jésus éprouvait la même tentation qu’au jardin de Gethsémani, mais elle se terminait par sa disponibilité : « Mon âme est troublée, et que dirai-je ? Père, sauve-moi de cette heure ? Mais c’est précisément pour cette heure que je suis venu. Père, glorifie ton nom. » (12, 27s)

Lorsque ses adversaires hésitent à l’arrêter, Jésus se livre lui-même et réprimande Pierre qui s’oppose au dessein de Dieu (18,6-11). Sur le chemin de l’exécution, Jean ne parle pas de Simon de Cyrène ; il dit plutôt que c’est Jésus lui-même qui porte sa croix (19,17). Jésus expire seulement après avoir constaté que la volonté de son Père est entièrement accomplie (19,28-30).

Pour que cette obéissance soit parfaite, il faut que Jésus soit pleinement conscient de tout ce qu’il accepte. Aussi l’évangéliste affirme expressément, à plusieurs reprises la connaissance exacte de Jésus concernant les événements qui l’attendent (18,4; 19,28). La connaissance de Jésus est si précise que ses prédictions s’accomplissent comme celles de l’Écriture (18,9.32).

Durant sa passion, le Christ domine sans cesse ses adversaires. Les autres évangiles présentaient Jésus silencieux, qui accomplissait ainsi la pro¬phétie d’Isaïe 53,7. Le 4e Évangile, au contraire, montre Jésus parlant et dominant la discussion à la cour juive et à la cour romaine. En réalité, il n’est pas l’opprimé, mais le vainqueur.

Au jardin, les gardes ne l’arrêtent pas, mais il se livre lui-même, exi¬geant qu’on n’importune pas ses disciples (18,8). Le grand prêtre et le garde se laissent réprimander par Jésus (18,20s). Pilate ressent une impression pro¬fonde devant ce roi, dont la royauté n’est pas de ce monde (19,8-12). Dans la description de Jésus en croix, l’évangéliste élague toute trace de souffrance, physique ou morale, car, pour lui, le crucifié est le Fils exalté et glorifié dont la mort consiste à monter vers son Père. Aussi le corps glorieux de Jésus reçoit les honneurs d’une inhumation complète dans un tombeau neuf (19,38-40).

Trois traits majeurs ressortent donc des précédentes observations. Jésus ne s’adresse plus aux Juifs, parce qu’ils représentent le monde, qui a définitivement refusé le message et la personne du Fils de Dieu. Jésus se montre parfaitement obéissant à la volonté de son Père. Mais l’évangéliste veut montrer avant tout que Jésus est victorieux à travers l’humiliation de sa mort.

Sens de la Passion selon Jean

Qu’on le veuille on non, la mort est une obsession chez tous les humains. La majorité des gens évitent d’y penser et même écartent les signes qui annoncent cette fin de leur existence. À titre de personnes conscientes et libres, elles devraient pourtant envisager ce terme qui donne un sens à toute leur existence. En effet cette fin est également le but vers lequel convergent tous les moments qui précèdent et qui leur donne une signification. Si on n’y découvrait au¬cun sens, on serait réduit à conclure que l’existence humaine est une farce tra¬gique.

Pour un chrétien, le Christ en croix révèle que la mort peut être source de vie. La mort, comme toute épreuve qui est une mort partielle, est une tentation qui provoque deux réactions contraires : la révolte ou l’accepta¬tion. La révolte détruit la personne, car sa volonté s’oppose à la réalité bru¬tale qui s’impose à elle. Jésus, au contraire, assume librement et consciem¬ment cette « coupe » qui lui vient de son Père. Il l’assume dans un amour qui le remplit de confiance. Il rétablit de la sorte la communication vitale avec Dieu, que le premier péché et tout péché par la suite avait dé-truite. Tout péché, de sa nature, est un acte de défiance et de refus de Dieu.

Mais comment l’évangéliste peut-il présenter Jésus durant sa passion comme le Christ triomphant ? Est-ce seulement une fiction provenant d’un rêve ? Pour comprendre l’interprétation de Jean, il faut distinguer entre l’ap¬parence extérieure et la réalité intérieure. On a répété à juste titre que « l’es¬sentiel est invisible ». Les conditions extérieures d’une existence humaine ne permettent pas d’évaluer le degré du bonheur dont jouit une personne ou du malheur qui l’accable.

Dans certains milieux religieux, comme au Sri Lanka, les fidèles se soumettent d’eux-mêmes à l’épreuve du feu. En marchant nu-pieds sur les braises, plusieurs se brûlent, alors que les autres traversent l’épreuve sans in¬convénient. Pourquoi cette différence face au même test? Les premiers n’ont pas la force morale pour dominer ce défi, tandis que les autres ont la foi qui domine même le feu.
L’évangéliste Jean voit toute la passion à la lumière du coeur de Jésus. En offrant par amour, dans une parfaite confiance, toute sa personne à son Père, Jésus vit en communion intime avec son Seigneur. Associant sa liberté à celle de Dieu, il domine tous ceux qui semblent l’écraser et il est glorieu¬sement vainqueur de la mort.

Jean-Louis D’Aragon SJ