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Jn

2022/05/19 – Jn 15, 9-11

By 2024-01-04No Comments

Il y a parfois des passages de l’évangile qui produisent sur moi un effet inattendu. Dans celui qu’on nous propose aujourd’hui, Jean ne raconte pas de petites histoires colorées à l’instar des autres évangélistes : pas de décor, pas d’acteurs qui jouent des rôles, pas de mise en scène. On peine à trouver un point d’appui pour une « actualisation » qui ne verse pas dans des arguties exégétiques. Jésus déroule un discours qui, à la longue, paraît répétitif et incantatoire. Et pourtant, ce discours va curieusement nous chercher, probablement grâce à son aspect mystérieux ou hors de l’ordinaire. Il a tellement servi de matière première à la liturgie que tout chrétien plus ou moins « pratiquant » le connaît par cœur.

En essayant de me concentrer pour parvenir à dire quelque chose de sensé sur ce passage, je me suis retrouvé plongé dans mon enfance, fredonnant dans ma langue maternelle, un très beau chant liturgique appris à l’école primaire, et dont le premier couplet reprend un verset de cet évangile : « Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ignore ce que fait son maître; maintenant je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître. » Je suis issu d’une « caste » de serviteurs, et c’est sans doute pourquoi je me souviens de la ferveur avec laquelle cette mélodie était chantée par les assemblées célébrantes qui ont marqué ma jeunesse. Cette mélodie, je l’entendais aussi en des circonstances qui n’avaient rien à voir avec le culte du dimanche : les femmes la chantaient en travaillant aux champs, toutes seules, sans chorale ni maître de chant; les enfants l’entonnaient pour se distraire pendant qu’ils gardaient les vaches. Dans ce contexte précis, la phrase « Je ne vous appelle plus serviteurs » recelait, pour le peuple qui sue, la promesse d’une libération attendue depuis des siècles.

Je me suis laissé prendre au jeu de la mémoire musicale en fouillant dans mes souvenirs afin d’y retrouver, dans toutes les langues que je connais, les mélodies reprenant le « mantra » chrétien par excellence qui revient en divers versets de ce passage: « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis… Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres. » J’ai été surpris de dénombrer au moins six mélodies, inventées par des croyants de diverses tribus de la terre auxquelles je pense avec gratitude parce que j’ai trouvé refuge chez elles, temporairement ou durablement; et parce qu’elles m’ont invité à leurs fêtes de la foi.

Il y a, dans l’évangile de Jean, quelque chose d’obsédant : un rythme, une insistance et une répétition de certains thèmes clé, un peu comme des vagues qui reviennent échouer sur une plage, inlassablement. Ce qui peut paraître abscons dans le discours du quatrième évangile nous rejoint par une porte secrète : il se laisse capter par les antennes du sentiment, habituellement inhibées, atrophiées, mais jamais annihilées par la dictature de la raison.

« Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous partiez, que vous donniez du fruit, et que votre fruit demeure. » Ailleurs, il dit : « Si le grain ne meurt, il reste seul, mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. » De nouveau, je me retrouve dans ces métaphores grâce à mes origines : je suis né au sein d’un peuple de jardiniers qui courtisent la terre à chaque saison pour en tirer leur subsistance. Jésus parle leur langage en puisant ses images dans un univers qu’ils connaissent : « porter du fruit » comme l’amandier, le bananier, l’avocatier, le mandarinier, le cocotier… Le fruit que les disciples devaient porter, c’est la mission de planter l’Église en partageant avec tous les peuples de la terre leur expérience du Dieu de Jésus-Christ, le verbe fait chair, mis à mort et ressuscité.

Melchior Mbonimpa

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