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MtNon classifié(e)

2021/06/28 – Mt 8, 18-22

By 2024-01-04janvier 12th, 2024No Comments

Aujourd’hui nous n’avons que cinq petits versets en guise d’évangile alors que la première lecture est très longue (Genèse 18, 16-33). Mais on ne pourrait pas dire que ces deux textes sont délimités de manière bizarre. Pour abréger la première lecture, il aurait fallu renoncer à la mise en contexte que représentent les premiers versets, ou mutiler le plaidoyer d’Abraham en faveur de Sodome et Gomorrhe. Quant à l’évangile, l’allonger n’aurait servi à rien, car chez Matthieu, ce petit texte se suffit, indépendamment de ce qui le précède et de ce qui le suit.

La première lecture porte sur l’épisode surprenant de la Genèse, où l’on voit Abraham contester Dieu et palabrer âprement pour essayer de sauver Sodome et Gomorrhe. Cette intercession nous offre une très belle leçon d’humanité, même si elle n’aboutit à rien. Abraham met sa tête sur le billot pour arracher des inconnus au péril. Les habitants de Sodome et Gomorrhe ne sont pas ses amis ou parents. Dans ce « district », il ne compte que quelques proches : son neveu Loth et sa famille qui s’en sortiront, sauf l’épouse qui eut l’infortune de se retourner pour voir ce que devenaient les villes condamnées et se retrouva figée en une statue de sel. Au tribunal du Tout-Puissant, Abraham s’empare courageusement du rôle d’avocat de la défense pour des gens indéfendables et, il ne joue pas la comédie : on sent qu’il veut vraiment leur éviter la sentence capitale. Il affronte le Seigneur qui est à la fois accusateur et juge, en sachant très bien que c’est téméraire de supposer que Dieu peut se tromper. Alors qu’à certaines occasions, Abraham manifeste une pénible couardise (il donne sa femme Sara à Pharaon en prétendant que c’est sa sœur; il cède à la pression de Sara et chasse Hagar et Ismaël les mains presque vides), cette fois, il fait preuve d’une authentique surhumanité.

La surhumanité semble être aussi ce que Jésus exige des siens dans l’évangile. Au scribe qui jure de le suivre partout, il adresse ces paroles qui éteindraient l’euphorie de n’importe qui : « Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer sa tête. » Cela veut dire : si tu décides de me suivre, ne t’attends à aucune récompense ni à aucune reconnaissance en ce monde. En fait, ce qui est « surhumain » est aussi, en un certain sens, inhumain. Personne n’accepte de gaieté de cœur que ce qu’il fait de réellement louable passe inaperçu. Nous voulons tous être applaudis, félicités et décorés pour nos bons coups ou être rémunérés pour services rendus : ce n’est que justice!

Et comme si ce n’était pas suffisant d’imposer aux disciples la condition de « sans domicile fixe », Jésus réclame d’être suivi sur le champ, sans délai, de manière intransigeante. Pourtant, le disciple qui demande d’aller d’abord enterrer son père ne cherche pas un prétexte fallacieux pour se défiler : il prend au sérieux son devoir de fils. La réponse de Jésus à cette requête est choquante : « Suis-moi et laisse les morts enterrer leurs morts. » Comment interpréter ce refus de négocier qui semble pousser le disciple à la faute en dévaluant la piété filiale? L’impatience de Jésus s’explique par l’urgence du royaume. Ses paroles traduisent la conviction que le temps est compté, et qu’il faut en tirer toutes les conséquences. Il y a quelque chose d’apocalyptique dans cet impérieux « Suis-moi » en abandonnant même ce qui, en des circonstances normales apparaîtrait comme sacré.

Pendant les années qui ont suivi la disparition de l’homme de Nazareth, ses disciples ont cru effectivement que la fin du monde et le second retour étaient proches. C’est pourquoi des décennies se sont écoulées avant qu’ils ne se décident à mettre par écrit « les paroles du Seigneur » : l’Avènement qu’ils attendaient était trop imminent. À quoi bon des rouleaux de livres sur lui? Avant que les hommes n’aient eu le temps de lire ce qu’on aura écrit, lui-même sera déjà là! Mais il n’est pas revenu, et nous avons tendance à nous démobiliser en pensant qu’il n’y a plus d’urgence. Malgré le fait que nul ne connaît le jour ou l’heure, ou plutôt à cause de cela, il vaudrait mieux entretenir la vigilance de la foi.

Jean Gobeil SJ