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Jn

2021/03/29 – Jn 12, 1-11

By 2024-01-04janvier 12th, 2024No Comments

Les textes de ce lundi font sentir que nous amorçons la montée vers Pâques. En première lecture, nous avons l’un de ces bijoux du « Second Ésaïe » qu’on a appelé « les chants du serviteur souffrant ». Et je constate que ce sera la même chose mardi et mercredi de cette semaine sainte. Et l’Évangile de Jean précise que l’événement de « l’onction à Béthanie se produit « six jours avant la Pâque ».

Nous avons ici l’un des rares textes de Jean qui est concordant avec les trois autres évangiles, grosso modo. Jean est le seul à identifier la merveilleuse femme qui verse sur Jésus un parfum de grand prix. Les synoptiques ne donnent aucun nom de cette actrice : ils désignent une femme sans nom. Jean donne des précisions : il s’agit de Marie, sœur de Marthe et de Lazare, celui que Jésus avait ressuscité d’entre les morts. Par contre, Jean ne localise pas en détail le lieu où se produit la scène : il indique uniquement la ville ou le village, Béthanie, et l’on pourrait croire que l’événement a lieu dans la maison de ces trois amis de Jésus, d’autant plus que « Marthe faisait le service ». Marc et Matthieu situent la scène chez « Simon le lépreux », tandis que Luc, nettement plus « créatif » que Matthieu qui se contente de copier Marc, nous transporte dans la maison d’un pharisien assez ouvert pour inviter Jésus à dîner. Ce notable est pourtant choqué de voir son hôte se laisser oindre par une « pécheresse ».

Luc est le seul des évangélistes à identifier cette audacieuse « Marie » à Madeleine, la pécheresse que les best-sellers de la littérature actuelle nous présentent comme « l’épouse de Jésus ». Mais chacune des quatre versions de l’épisode souligne le non-conformisme de Marie. Elle brave les interdits. Elle n’a cure du qu’en dira-t-on. Elle déverse un parfum de trois cents pièces sur la tête de Jésus (selon Marc et Matthieu) ou sur ses pieds (selon Luc et Jean). Quelle que soit la partie exacte du corps de Jésus qui bénéficie de cette coûteuse onction, la réaction des témoins de la scène est la même : une indignation vertueuse. Si on actualisait l’épisode, je me vois parfaitement parmi ceux qui seraient scandalisés, exactement comme Judas dans l’évangile de Jean : un parfum de « trois cents dollars » gaspillés d’un seul coup alors qu’il y a des sans-abri qui meurent de faim!

Face à cette situation, un Jésus embarrassé se lance dans des justifications de ce geste extravagant, sans parvenir à être convaincant d’autant plus qu’il en est le bénéficiaire. Et le croyant que je suis se retrouve face à cette question embêtante : pourquoi les évangélistes, et tous les quatre, n’ont pas vu qu’avec un minimum de bon sens, n’importe qui donnerait raison à ceux qui ont trouvé cette onction déplacée et scandaleuse? La réponse à cette question est probablement très simple : c’est arrivé ainsi! Il est très probable que l’unanimité des évangélistes signifie que l’épisode s’est effectivement produit. Et dans ce cas, la première chose à admirer chez eux est le courage de la vérité.

Mais ensuite, il faudrait reconnaître que la critique sociale que formule Jésus par le biais de la justification du geste de Marie n’est pas nulle, ni caduque. Car enfin, n’y a-t-il pas hypocrisie à s’indigner qu’une femme gaspille trois cents dollars pour exprimer son amour, alors que nous nous taisons dans toutes les langues quand nos gouvernements, même élus démocratiquement, dépensent des millions, des milliards, pour tuer gratuitement de pauvres hères qui n’ont rien fait pour que le monde soit si mal fichu?

Quand Jésus dit : « Les pauvres, vous les aurez toujours », il ne faut pas y voir l’énoncé d’un simple état de fait. C’est une mise en garde, une mise en cause du « monde » dans le sens johannique du terme. Le sens de cette phrase est : « Vous vous arrangerez toujours pour fabriquer des pauvres. » Ce n’est donc pas une question de fatalité : notre responsabilité ou plutôt, notre irresponsabilité y est pour quelque chose. Toutes les trois secondes, un enfant meurt de malnutrition dans le monde. Et pourtant, la production alimentaire mondiale peut nourrir le double de la population planétaire actuelle.

Melchior M’Bonimpa