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2023/12/02 – Lc 21, 34-36

Jésus multiplie les avertissements et les exhortations relatives à la venue du Fils de l’homme. La rencontre de ce personnage venant du ciel est à ses yeux d’une importance décisive. Jésus veut tellement notre bonheur qu’il répète à satiété ses conseils de prudence et de vigilance, comme des parents qui désirent de tout coeur que leur enfant soit heureux.

Le Christ craint pour nous l’usure du temps, qui enlève progressivement l’élan de la ferveur et qui nous enlise dans la routine. Rien de nouveau chaque jour, puisque nous répétons les mêmes gestes, sans ouverture sur l’avenir! Nous perdons de vue le but vers lequel toute notre existence devrait tendre. Nous en arrivons à l’impression de piétiner sur place, sans le ressort d’une vive espérance.

Ne pas se noyer dans le présent!

Dans l’Évangile d’aujourd’hui, Jésus craint pour nous les plaisirs immédiats qui risquent de nous noyer dans le présent et qui accaparent toutes nos énergies pour nous enlever tout espoir dans l’avenir. Ils sont bien connus tous ces faux plaisirs, qui dansent autour de nous pour nous étourdir et nous alourdir: la recherche insatiable de l’argent, les jouissances sexuelles jusqu’à la débauche, la drogue et la boisson pour rêver d’une autre existence, en nous aliénant à nous-mêmes. Toutes ces fausses joies débouchent sur la déception et sur la tristesse, quand ce n’est pas le désespoir.

Peut-on rappeler la fable des trois démons comparaissant devant leur chef, pour lui expliquer le plan que chacun d’eux a imaginé afin d’entraîner les humains dans l’illusion, vers la ruine, le désespoir et la mort. Le premier a centré toute sa stratégie sur un slogan: “Dieu n’existe pas, vous avez toute liberté pour faire ce que vous voulez.” Mais Lucifer secoue la tête: “Ton plan ne réussira pas. Les chefs communistes en Russie ont propagé pendant des années une telle propagande et n’ont pas réussi. Dieu éclate tellement dans toute la création qu’il est impossible de nier son existence.”

Le second diable pense tromper les humains en les convainquant que leurs actions n’ont aucune conséquence, qu’ils peuvent agir selon leurs goûts, car il n’y a pas ni jugement, ni enfer. “L’homme est libre!” Mais son chef demeure sceptique: “Tu oublies que chaque être humain a une conscience qui le juge et dont le remords le torture. Un début de jugement et d’enfer existe déjà sur terre.”

Le troisième propose un projet qui semble, au premier abord, insignifiant et inefficace. “Moi, je vais leur dire et les convaincre qu’ils ont tout le temps, qu’ils doivent vivre et jouir dans le présent, le seul moment qu’ils possèdent vraiment. Pourquoi se torturer pour un avenir dont ils ne savent rien?”  Le chef des démons esquisse un sourire sadique, en approuvant ce plan: “Toi, tu réussiras. Les humains vont se relâcher et profiter de la vie, jusqu’à perdre toute leur énergie vers le vrai bonheur.”

 “Soyez vigilants!”

À l’encontre de ce programme diabolique, Jésus s’écrie: “Restez éveillés et priez en tout temps.” Nous sommes des êtres humains, ne vivant pas dans les rêves du sommeil, mais éveillés, libres et responsables, pour progresser dans l’espérance de la venue du Fils de l’homme, dont l’amour nous attend. Pour persévérer dans cette veille qui semble sans fin, le secours du Seigneur est absolument nécessaire. La communion dans la prière procure la force de surnager et d’avancer vers la rencontre bienheureuse de Celui qui nous a créés pour l’aimer.

 Quel bonheur!

La première lecture d’aujourd’hui (Apoc 22,1-7) nous décrit, en traits éblouissants, cette rencontre dans la béatitude. Dieu et l’Agneau sont l’unique source de l’eau qui donne la vie. Ceux et celles qui auront part à ce monde nouveau ne subiront ni souffrance, ni maladie, ni mort. Le trône, lieu de la présence de Dieu, remplace maintenant le temple. Le service liturgique évoque la communion intime des saints et des saintes avec Dieu et le Christ. La vision de Dieu, suprême bonheur, comblera les élus. Marqués au front, ils lui appartiennent de façon définitive, dans un règne sans fin.

À travers la voix de l’ange, le Christ répète le thème central de toutes les visions de l’Apocalypse: sa venue imminente. Dans sa prière de tous les instants, le chrétien répète : Marana tha, “Viens, Seigneur.”

 Jean-Louis D’Aragon SJ

2023/12/01 – Lc 21, 29-33

Pourquoi Jésus insiste-t-il si souvent sur la fin des temps et sur sa venue? Le terme de tout mouvement est le moment suprême, celui qui donne un sens à tout ce qui précède, soit, négativement, le vide et la ruine de ce qu’on pensait avoir réalisé, ou, positivement, le couronnement d’une histoire qui atteint son plein épanouissement. Le Christ annonce ici la Pâques ultime, le passage éblouissant du monde présent à l’ère de l’au-delà.

À l’époque de l’Exode, Dieu avait appelé son peuple à quitter l’esclavage en Égypte pour passer à la liberté, d’abandonner la mort pour aller vers la vie de la Terre promise. Cette “Pâque” était la préfiguration du passage que le Christ nous invite à franchir pour quitter ce monde de misère pour celui de la vie éternelle, qu’il nous invite à partager avec lui.

L’avenir demeure toujours l’inconnu qui inquiète ou même qui fait peur. Il suscite l’effroi, parce qu’on se regarde, pour estimer que nous n’avons pas la force pour dominer une situation nouvelle. Au contraire de cette réaction apeurée, Jésus nous enseigne la confiance et l’espérance. Pour la personne croyante, qui regarde avec foi son Seigneur et non pas elle-même, l’avenir n’est plus source de peur, mais d’espoir.

 Jésus et les premiers chrétiens

      Jésus aborde la dernière semaine de sa mission terrestre, qui culminera le vendredi suivant. Ce n’est ni l’angoisse, ni le doute qui l’agitent, mais c’est avec un regard de confiance et de sérénité qu’il aborde ce moment crucial. Son attitude héroïque devient l’exemple et la source de la persévérance des premiers chrétiens. Ils forment un groupe peu nombreux, pauvre, qui subit la persécution des Juifs et des Romains. Cette persécution s’étendra sur près de trois siècles, durant lesquels l’Église n’aura pas le droit légalement d’exister. Pour les Juifs devenus chrétiens, leur patrie, la Palestine, Jérusalem leur capitale, et le Temple, le sanctuaire sacré, ne sont plus que des ruines. Tout paraît susciter le désespoir.

 L’enseignement de Jésus

      La destruction du monde présent prélude à la naissance d’un monde nouveau. Jésus nous exhorte à ne pas nous installer dans le présent de l’esclavage. Un regard lucide sur les conditions dans notre monde nous révèle combien nous sommes esclaves, dépendant de la boisson, de la drogue, du plaisir sexuel,… La destruction de ce monde marque le début de notre salut, l’aurore du Règne de Dieu. Créés pour la liberté, nous devons couper les liens qui nous retiennent prisonniers, qui nous aliènent et qui nous empêchent d’être nous-mêmes.

L’espérance se ravive à la vue des bougeons de cette vie nouvelle. Jésus offre l’exemple du figuier. Toute la nature qui fleurit, au printemps, annonce la splendeur de l’été. La venue du Seigneur apportera cette explosion de lumière, de liberté et de vie. Pour y prendre part, il faut toujours être prêts, guetter l’aurore avec confiance et raviver sans cesse notre espérance.

 Jean-Louis D’Aragon SJ

2023/11/30 – Mt 4, 18-22

         Nous célébrons aujourd’hui la mémoire d’un apôtre, l’un des Douze qui rappellent et continuent le même peuple élu par Dieu, peuple descendant des douze patriarches et constitué par douze tribus. Ce groupe des Douze, que le Christ a choisi pour être ses témoins oculaires privilégiés, sont au point de départ de la tradition chrétienne.

           André, associé à son frère Simon, surnommé Pierre par Jésus, devint le premier disciple de Jésus (Jn 1,40). La tradition chrétienne l’a vénéré, en particulier l’Église de Constantinople et l’Église d’Écosse, qui l’ont choisi comme leur patron.

           Le Seigneur, dans l’histoire ancienne, a fait toujours les premiers pas pour instaurer un dialogue avec celui qu’il a choisi. Comme il est l’Amour, il interpelle et fait le premier geste, prenant  le risque d’essuyer un refus. Présent dans son Fils Jésus, Dieu manifeste toujours le même amour qui prévient et qui se compromet. En appelant des disciples, Dieu nous invite à réaliser des rêves qui dépassent tous nos petits projets, limités, mais qui ne visent que l’immédiat.

           L’appel de Jésus à deux groupes de frères se répète dans deux scènes parallèles, avec la même invitation et la même réponse. Suivre le Christ comprend d’abord une conversion, le renoncement à tout le passé. Dans le cas des deux groupes de frères, ceux-ci quittent immédiatement leur métier et, dans le second exemple, il laisse même leur père. Ce qu’ils quittent n’est nullement mauvais, mais ce passé n’entre plus dans la vocation qu’ils reçoivent. Pour devenir disciple du Christ, il faut marcher dans ses pas, délaissant tout ce qui se trouve en arrière ou en marge de cette voie vers l’avenir.

 C’est le sacrifice que le disciple consent par amour du Seigneur, croyant que Dieu lui rendra au centuple ce qu’il a abandonné: “Je vous ferai pêcheurs d’hommes.” Le Christ les prend avec leur expérience de pêcheurs, mais il élève leur identité à un niveau complètement supérieur. Dieu ne détruit nullement l’identité, le caractère, qu’il nous a donné, mais il le transfigure dans un registre jusque-là inconnu. Jésus ne fait pas simplement un jeu de mots, mais il exprime cette vérité que son appel modifiera totalement l’avenir de ses disciples, tout en conservant leur personnalité avec ses traits distinctifs.

           L’appel du Seigneur s’adresse à toute personne, qu’il a créée pour devenir son témoin dans l’histoire humaine. Tout être humain, créé par Dieu, entend son appel, il reçoit une vocation, celle du don de soi-même. Chaque personne n’est pas un numéro dans une série, mais il est un être unique, dont l’identité constitue sa richesse. En l’appelant, le Seigneur ne détruit rien en lui, au contraire. Il l’appelle à suivre son Fils dans une voie supérieure, qui comblera son désir de vie sans limites.

 Jean-Louis D’Aragon SJ

 

2023/11/29 – Lc 21, 12-19

Après avoir parlé de la fin du monde qui sera le temps de sa venue dans la gloire, Jésus parle du temps présent qui est le temps de l’Eglise. C’est un temps où le mal est encore présent et où les disciples de Jésus, à cause de leur appartenance, seront persécutés, arrêtés et amenés en jugement. Ils n’auront pas à s’inquiéter comment rendre ce témoignage. Jésus lui-même sera là pour inspirer leur langage et leur sagesse. Les contradictions et les dénonciations pourront venir de partout: à cause de leur appartenance à Jésus ils seront détestés de tous. Ils ne doivent pas s’inquiéter pour eux-mêmes mais pour obtenir la vie ils doivent continuer à persévérer.

Deux choses sont frappantes dans ce texte: la présence de Jésus et le devoir de persévérance.

Jésus avait déjà prévenu ses disciples que comme leur maître ils auraient à subir des attaques et des persécutions. Le même avertissement est donné ici mais il va plus loin que les disciples immédiats: les premiers chrétiens auront à subir la présence du mal à travers des pouvoirs religieux comme les synagogues et des pouvoirs politiques comme les rois et les gouverneurs. Mais les disciples n’auront pas à s’inquiéter pour rendre leur témoignage: le Seigneur sera présent avec eux. Cette assurance de la présence du Seigneur est d’ailleurs, dans Matthieu, la dernière parole de Jésus à ses disciples:

Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde.   (Matt.28,20)

Forts de cette présence, les disciples ont quand même le devoir de persévérer:

C’est par votre persévérance que vous obtiendrez la vie.

Nous avons déjà dit que pour Luc, le temps après la résurrection est le temps où le Règne de Dieu est déjà présent; c’est le temps de l’Eglise. C’est le temps où la patience, la persévérance et la prière  sont importantes et sont des thèmes majeurs de l’évangile de Luc.

Jean Gobeil SJ

 

2023/11/28 – Lc 21, 5-11

Ce sont probablement des disciples qui sont avec Jésus dans le temple et qui admirent la beauté des pierres et les décorations faites par les offrandes votives. Jésus annonce qu’un jour tout cela sera détruit. Les disciples demandent quand cela arrivera et quels seront les signes que le moment est proche. Jésus les prévient de ne pas se laisser tromper par ceux qui annoncent que la fin est proche. S’ils entendent parler de guerres et de soulèvements ce ne sera pas tout de suite la fin.

Jésus continue (au verset 10) en donnant une description apocalyptique de cette fin qui est la venue du jugement final de Dieu: guerre nation contre nation, tremblements de terre, épidémies, famine, et des signes terrifiants dans le ciel.

Au temps de Jésus, le temple n’était pas encore complètement fini. Les travaux avaient été commencés  46 ans plus tôt (Jean 2,20) par Hérode le Grand qui, même à l’échelle de l’empire romain,  était un grand constructeur. On peut encore voir un mur, le mur de l’ouest où les Juifs vont prier, qui soutenait l’esplanade sur laquelle était bâti le temple. Les pierres de ce mur nous font soupçonner ce que pouvait être les portiques et le sanctuaire. Parfaitement rectangulaires et polies, avec une lisière légèrement encavée comme bordure, elles pèsent au minimum 2 tonnes mais des pierres angulaires qui forment les coins vont jusqu’à 50 tonnes.

Quelle peut être la réaction des disciples quand Jésus leur déclare que, de cette construction qu’ils admirent, il ne restera pas pierre sur pierre? Ils ont dû penser qu’il fallait que ce soit la fin du monde.  On en parle et on écrit beaucoup sur cette fin du monde au temps du Christ. Il y a, dans la Bible, la conviction que Dieu conduit l’histoire vers un but bien précis où le monde ancien, le nôtre, sera remplacé par le Monde nouveau. Pour redonner du courage à ceux qui souffrent de la présence du mal, la littérature apocalyptique, abondante au temps du Christ, donnent des images symboliques de cette fin pour essayer d’en transmettre l’importance. C’est ce que fait Jésus au moment où il parle de La Fin: des guerres, des tremblements de terre, des épidémies, des famines et surtout des signes dans le ciel comme les astres qui se décrochent de la voûte céleste. Mais ce ne sont pas des informations photographiques et Jésus les a avertis: si vous voyez des guerres n’allez pas croire que La Fin est proche. Surtout n’allez pas croire ceux qui disent que le moment est arrivé.

Ainsi la destruction du temple sera une fin: ce sera la fin du culte de l’Ancien Testament. Ce ne sera pas la Fin du monde. Et dans le verset qui suit immédiatement notre texte, Jésus revient sur l’avertissement qu’il faut conserver la vigilance et la persévérance:

Mais avant tout cela, on portera la main sur vous et on vous persécutera … à cause de mon Nom. Ce sera pour vous l’occasion de rendre témoignage.    (Luc 21,12-13)

Jean Gobeil SJ

2023/11/27 – Lc 21, 1-4

Le texte proposé aujourd’hui à notre méditation est très bref: il ne comporte que quatre versets. Mais sa brièveté sert très bien le but que vise Jésus: un formidable coup de poing à ceux qui se flattent la bedaine, satisfaits du peu qu’ils font pour soulager la misère du monde. Le texte montre des riches qui versent des offrandes impressionnantes au trésor du temple. J’imagine qu’ils le font très ostensiblement pour se donner en spectacle. Puis une pauvre veuve y dépose deux piécettes, presque en se cachant.  Mais, c’est elle que Jésus élève au rang de modèle en matière de générosité, parce qu’elle a donné tout ce qu’elle avait alors que les riches n’ont pris que sur leur superflu.

Ce message est plutôt troublant si l’on tente de le replacer dans son contexte afin d’en tirer des leçons pour notre époque. Ainsi, quand j’ai appris que Bill Gates avait décidé de donner deux ou trois milliards de dollars pour la lutte contre le Sida en Afrique, ma réaction spontanée fut d’applaudir très fort en me disant: pour une fois, richesse et générosité ne s’excluent pas. Les artistes, ces fous désargentés, n’auraient produit rien de grand sans les mécènes qui, à toutes les époques, leur ont assuré le minimum vital pour leur permettre de créer des œuvres qui nous enchantent. Aujourd’hui, dans les pays développés, c’est l’État qui joue le rôle de mécène: sans subventions, nos maisons d’édition francophones, nos théâtres, nos galeries d’art ne survivraient pas. D’aucuns pourraient donc dire qu’attaquer tous les riches sans distinction, c’est jouer à l’enfant qui crache dans la soupe ou mord la main qui le nourrit.

Cela dit, l’éloge de la pauvre veuve qui offre de son indigence me rappelle une scène de mon enfance en Afrique. J’ai été témoin de la sainte colère d’un missionnaire qui hurlait: « Nous ne devons pas gaspiller l’argent des pauvres. » Je ne me souviens pas de ce qui a provoqué l’ire de ce religieux. Il y avait probablement des individus qui essayaient de lui soutirer des sous pour aller se soûler au bar. Dans le contexte, n’importe quel Blanc était considéré comme tout cousu de pistoles. De nos jours, on dirait qu’il est perçu comme un guichet automatique.

Sur le coup, je n’ai pas compris ce qu’il entendait par « l’argent des pauvres ». Longtemps après, je me suis retrouvé chez les Blancs et l’on m’a demandé d’aller prêcher dans diverses paroisses lors d’un « dimanche des missions ». C’était au Québec, dans la région du Lac Saint-Jean. Des trois paroisses où j’ai fait des sermons sur les pays de mission, je me souviens d’un seul lieu dont le nom  ne m’aurait pas étonné si je l’avais croisé dans la savane africaine: Péribonka!

Là, j’ai compris ce que le vieux missionnaire voulait dire par « l’argent des pauvres ». Les écoles, les centres de santé et toutes les « œuvres missionnaires » dont j’ai bénéficié plus que personne, étaient financés par de petits fermiers, des ouvriers et tout un tas de gagne-petit occidentaux qui, comme la veuve de cet évangile, donnaient de leur indigence lors de la quête dominicale. Plus que Bill Gates, ces pauvres qui, sans profiter d’une publicité tapageuse, aident d’autres pauvres, méritent d’être célébrés. Le missionnaire avait donc raison de s’irriter contre ceux qui le poussaient à détourner leur argent. Et Jésus a eu raison de surprendre tout le monde en accordant à la veuve une note parfaite et en collant un échec cuisant aux riches qui s’attendaient à avoir dix sur dix.

Melchior M’Bonimpa

2023/11/25 Lc 20, 27-40

Les familles des grands prêtres formaient l’élite riche et dominante de la société juive de la Palestine, au temps de Jésus. Ils contrôlaient le Temple et toutes les cérémonies qui s’y déroulaient. Ils vivaient dans le luxe et, comme tous les favorisés de ce monde, ils étaient conservateurs, voulant maintenir un état des choses qui les avantageait. Conservateurs au plan social, ils l’étaient aussi dans le domaine religieux. En conséquence, ils n’acceptaient comme Écriture inspirée et normative de leur conduite que la “Torah”, les cinq premiers livres du “Pentateuque”, attribués à Moïse. Le message des prophètes les dérangeait trop.

Dans les cinq livres attribués à Moïse, il n’est pas question de la résurrection. Aussi les Sadducéens n’admettaient pas comme une vérité la résurrection des morts ; leur espérance se limitait à l’existence présente sur terre. De fait, l’affirmation claire et explicite de la résurrection apparaît tardivement dans la Bible, seulement vers l’an 167 av. J.C., à l’époque de la persécution du roi grec Antiochus Épiphane, dans les livres de Daniel et des Maccabées.

L’argument que les Sadducéens proposent à Jésus contre la vérité de la résurrection est le même qu’ils opposaient avec succès aux Pharisiens. Leur argumentation se basait sur la loi du lévirat. Puisqu’on ne croyait pas autrefois à une survie personnelle au-delà de la mort, la prolongation de la vie dans un descendant devenait essentielle. Un enfant était signe de la bénédiction de Dieu. Mourir sans un enfant à qui on a transmis sa propre vie, c’était une malédiction. Aussi Moïse, pensait-on, avait voulu écarter cette malédiction par une fiction légale : le frère du défunt devait épouser sa veuve pour procurer un descendant à celui qui était décédé sans enfant. La vie devait continuer au-delà de chaque individu.

Un tel argument suppose que la vie au-delà de la mort prolonge tout simplement celle d’ici-bas, qu’elle est du même genre que celle de la vie présente. Les Pharisiens admettaient eux aussi que la vie de la résurrection serait de la même nature que celle que nous connaissons, même si elle serait bien supérieure. Puisque cette vie nouvelle ne devait être qu’une pure prolongation de la vie présente, ils ne pouvaient répondre à l’objection des Sadducéens contre la résurrection.

La réponse de Jésus

Jésus partage la même croyance que celle des Pharisiens concernant la résurrection, mais son argumentation est autrement plus convaincante que la leur pour réfuter les Sadducéens. Le Christ développe deux preuves pour affirmer la vérité de la résurrection.

À l’encontre des Sadducéens et des Pharisiens, Jésus affirme que la vie dans le monde à venir est tout à fait différente de l’existence que nous connaissons ici-bas. Un des buts essentiels du mariage sur terre est de perpétuer la vie par la procréation. Dans le monde de l’au-delà, les bienheureux jouissent d’une vie éternelle. Comme les justes ne meurent pas, il n’est plus nécessaire de perpétuer la vie par la procréation dans le mariage.

À part cet argument d’ordre logique ou théologique, Jésus ajoute une preuve tirée de l’Écriture, pour se conformer à la coutume de ses interlocuteurs et les réfuter sur leur propre terrain. Jésus pourrait invoquer le Livre de Daniel, qui affirme explicitement la résurrection des morts. Mais les Sadducéens n’admettent pas le Livre de Daniel comme inspiré par Dieu et normatif de leur foi. Pour se conformer aux limites imposées par ses interlocuteurs, qui ne reconnaissent que le Pentateuque, Jésus invoque donc un passage du Livre de l’Exode (3,6).

Dans la scène du buisson en flammes, le Seigneur rappelle à Moïse son Alliance avec les trois patriarches, ses ancêtres. Une alliance s’établit entre deux personnes vivantes, et non pas entre un être vivant et un mort. Dieu ne dit pas : “J’étais le Dieu d’Abraham…” mais “Je suis (présentement) le Dieu d’Abraham,” Cette affirmation divine implique que les patriarches sont toujours vivants, même s’ils ont vécu environ six siècles avant Moïse.

L’amitié de Dieu n’est pas éphémère, passagère, mais elle est fidèle et constante. Il a dit au prophète Jérémie : “Je t’aimé d’un amour éternel.” (Jér 31,3) Une telle affirmation, il la répète pour chaque personne qu’il a créée par amour. Le Livre de la Sagesse nous confirme cet amour de Dieu : “Tu aimes tout ce qui existe et tu n’as de dégoût pour rien de ce que tu as fait, car si tu avais haï quelque chose, tu ne l’aurais pas formé.” (Sag 11,24)

L’approbation des docteurs de la Loi, qui sont des Pharisiens, confirme leur foi dans la résurrection des morts, qu’ils parvenaient mal à défendre face aux Sadducéens. Ils sont pleinement d’accord avec Jésus sur la vérité de la résurrection et ils admirent les preuves qu’il développe pour la mettre en lumière.

La perspective éphémère et limitée des Sadducéens se perpétue à toutes les époques chez les gens qui réduisent leur désir de vivre à leur existence d’ici-bas et à ses plaisirs qui s’envolent en fumée. Pas d’ouverture sur l’avenir, pas d’espérance après la mort ! Les impies avouent tristement : “Notre existence s’écoule sans laisser plus de traces qu’un nuage… Notre vie est une ombre qui passe… Eh bien, jouissons donc des biens présents !” (Sagesse 2,4s)

La question fondamentale est celle-ci: “Croyons-nous à l’amour de Dieu, qui nous a créés par pure gratuité, pour nous inviter à répondre librement à son offre d’Alliance? Croyons-nous que la gloire de Dieu, c’est la personne humaine vivante et pleinement épanouie ?” (Saint Irénée)

Jean-Louis D’Aragon SJ

2023/11/24 – Lc 19, 45-48

Jésus est venu délibérément à Jérusalem, sachant qu’il affronterait les autorités suprêmes de son peuple, les grands prêtres, les anciens et les docteurs de la Loi. Il se soumettait librement à une telle épreuve, parce que Dieu, présent en lui, voulait cet affrontement et lui donnait le courage et la force pour la surmonter.

Six siècles auparavant, le Seigneur avait envoyé au Temple le prophète Jérémie pour une intervention semblable à celle du Christ Jésus. En deux passages, le Livre de Jérémie rapporte la déclaration solennelle que le prophète avait proclamée sur l’ordre du Seigneur:

La denunciation de Jérémie

“Quoi! Vous commettez des vols, des meurtres, des adultères, vous faites de faux serments, vous offrez des sacrifices à Baal, … Puis vous venez vous présenter devant moi, dans ce temple qui m’est consacré, et vous déclarez: ‘Nous voilà sauvés!’  Et cela pour continuer à commettre ces horreurs! Ce temple qui m’est consacré, le prenez-vous pour une caverne de voleurs?

“ Allez donc au lieu saint que j’avais à Silo, où se trouvait autrefois ma résidence, et regardez la ruine que j’en ai faite à cause des méfaits d’Israël, mon peuple…  Je vous l’ai dit et n’ai cessé de vous le répéter sans que vous écoutiez; je vous ai appelés sans que vous répondiez. C’est pourquoi ce temple qui m’est consacré, ce temple dans lequel vous mettez votre confiance, ce lieu que j’ai donné à vos ancêtres et à vous, je vais le traiter comme j’ai traité Silo.” (Jér 7,9-15)

Le chapitre 26 du même Livre répète cette menace, solennelle et terrible, que le Seigneur oblige Jérémie à transmettre: “Si vous n’écoutez pas, je détruirai ce temple, comme j’ai détruit celui de Silo.”  Quand Jérémie eut achevé d’annoncer aux autorités et à tout le peuple ce que le Seigneur lui avait ordonné de dire, ils se saisirent de lui en disant: “Tu mérites la mort.” Alors tous ceux qui se trouvaient au temple s’attroupèrent contre Jérémie. Les prêtres et les prophètes dirent aux notables et à la foule: “Cet homme mérite la mort.” (Jér 26,6-11)

Pour Jérémie, l’annonce de la destruction du temple en raison de sa profanation par le peuple provoque sa condamnation à mort. De la même manière, la purification du temple par Jésus convaincra les autorités juives d’éliminer celui qui les a dénoncés par son action symbolique de la réprobation divine.

Le judgment de Jésus

Entre Jérémie et Jésus, il y a une première différence: l’intervention de Jérémie se réduit à une dénonciation verbale, tandis que celle de Jésus se concrétise dans une action qui manifeste le jugement de Dieu. La seconde différence entre les deux cas consiste en ce que la menace de mort contre Jérémie ne fut pas exécutée, tandis que le complot des chefs des prêtres, des scribes et des notables produisit la condamnation et la mise en croix du Christ.

L’action de Jésus équivalait à une condamnation du rituel sacrificiel dans le temple. Les autorités approuvaient cet ordre des choses. Pourquoi Jésus condamna-t-il ce rituel par un geste violent? Quelques années auparavant, l’achat des animaux pour les sacrifices avait lieu en dehors du temple. Peu de temps avant Jésus, une entente entre les marchands et les grands prêtres avait permis d’introduire le commerce des animaux à l’intérieur du temple, une profanation que tolérait le peuple, impuissant. Les marchands, de connivence avec les grands prêtres, vendaient les animaux au double du prix à l’extérieur du temple. Mais seuls les animaux vendus dans le temple étaient acceptés pour les sacrifices.

Pour bien faire comprendre la signification de son intervention, Jésus cite deux textes prophétiques. Le premier, des années 350 av. J.C., rappelle la signification du temple: “Ma Maison est une maison de prière pour toutes les nations”, le lieu accessible à tous les peuples pour rencontrer le Seigneur. Par cette citation, Jésus proteste contre la clôture qui empêchait les païens de pénétrer dans le temple et de prier le Seigneur. Dans le second texte, évoqué plus haut, Jérémie dénonce les perversions commises dans le temple, devenu profané par ces actions ignobles: “Vous en avez fait une caverne de bandits.

Jésus obéit à la volonté de son Père, sachant que son obéissance le conduira à la croix. Convaincu que le Seigneur est présent en lui, il a le courage d’affronter les plus hautes autorités pour purifier le temple et lui rendre sa sainteté, un sanctuaire consacré à la prière, dans la communion avec Dieu. Le Christ ouvre ce lieu privilégié à toute personne, sans aucune ségrégation. L’amour universel de Dieu accueille tous les peuples.

Jean-Louis D’Aragon SJ

2023/11/23 – Lc 19-41-44

Combien de fois a-t-on présenté Dieu comme le Maître tout-puissant, dominant toutes choses et surveillant tous nos gestes pour nous punir ou nous récompenser ? Transcendant, au-delà de toute la création, Dieu serait insensible à nos misères et à nos souffrances. Il serait un Dieu impassible. Certains passages de l’Ancien Testament, repris par le Judaïsme et l’Islam, ne le décrivent-ils pas comme un Seigneur qui se venge et qui punit ! “Dieu est grand !”, s’écrient régulièrement nos amis musulmans.

Dieu qui pleure !

En contraste avec cette représentation de Dieu, son Fils Jésus, en qui il est parfaitement présent, s’apitoie et pleure sur Jérusalem et sur son peuple. Pleurer est l’expression d’une peine intense. Dieu en Jésus souffre du sort tragique qui attend le peuple qu’il a choisi. Il pleure, comme des parents inconsolables devant le tragique destiné d’un enfant qui a choisi la voie du malheur, un chemin qui mène à sa destruction.

Jésus nous a révélé que Dieu n’est pas le Maître impitoyable que nous avions caricaturé, un Baal qui exige des victimes pour apaiser sa colère. Il est l’Amour, qui se donne, qui s’implique dans notre histoire et qui est solidaire avec nous.

Un reproche dans les larmes !

Ce que Dieu a voulu accorder à ses enfants par son Fils, le Christ, c’est la paix, l’épanouissement dans l’harmonie de notre personne, en accord avec l’univers qui nous entoure et, surtout, en communion avec Celui qui nous a donné la vie. À la naissance de Jésus, la troupe nombreuse des anges louaient Dieu : “Gloire à Dieu…et paix sur la terre pour ceux qu’il aime.” (Luc 2,14)

Pour accueillir la paix, il faut s’ouvrir à la visite de Dieu, au signe de sa présence dans son Envoyé. Si ce signe nous déconcerte, il est tentant de ne pas le voir et même de l’écarter. Nous préférons notre rêve humain, un avenir facile et prestigieux, sans la croix. Le peuple, au temps de Jésus, rêvait d’un Messie libérateur, d’un chef de guerre, qui écraserait les occupants romains. Au lieu de cette figure triomphante, Jésus entre à Jérusalem en toute humilité, sur un âne, la monture des pauvres.

“Tu ne l’as pas reconnu”

Tout au long de l’histoire du salut, la visite de Dieu signifie le bonheur pour son peuple. Ce qui est terrible, c’est l’absence du Seigneur. Dans sa tristesse, Jésus reproche à Jérusalem de ne pas avoir reconnu “le moment où Dieu te visitait.” Au début et à la fin de cette scène, le même reproche revient : “Tu n’as pas reconnu” ton Dieu. Tu n’as pas reconnu son visage, qui n’était pas celui que tu voulais. Tu désirais lui imposer une figure et une intervention fulgurantes, que ton égoïsme projetait sur Lui. Au lieu de la vengeance et de la force militaire, il venait servir par amour.

En ne le reconnaissant pas, Jérusalem l’a rejeté comme un faux prophète et cloué sur une croix. Sur cette croix, Jésus, le Serviteur de Dieu, mourait nu, dans une pauvreté totale, dépourvu de toute force. C’est dans ce dénuement que son amour déployait sa toute-puissance. Ayant refusé Dieu qui se présentait dans la pauvreté et l’humilité, Jérusalem, et toute personne qui ne le reconnaît pas, se replie dans la solitude de son dénuement, victime sans protecteur des ennemis qui l’écraseront. En refusant Dieu, tel qu’il se présente, pour préférer ses rêves, Jérusalem et toute personne humaine se condamne elle-même.

À chaque étape de notre existence, nous avons à choisir : préférons-nous nos rêves, inspirés par notre étroitesse d’esprit et notre égoïsme, ou bien l’idéal de vie et de joie que le Seigneur veut pour chacun(e) de nous ? Préférons-nous nos projets superficiels et immédiats, avec leurs déformations et leurs limites, ou bien le mystère infini de Dieu, qui suscitera toujours en nous le vertige de l’émerveillement ?

Jean-Louis D’Aragon SJ

2023/11/22 – Lc 19, 11-28

Le cadre de la parabole parle d’un noble qui doit aller au loin recevoir le titre de roi. Il distribue des pièces d’or à ses serviteurs pour que, durant son absence, ils les fassent profiter. Une délégation le suit dans son voyage pour s’opposer à ce qu’il soit roi. Le noble obtient son titre et revient. Au retour, il demande des comptes à ses serviteurs. Bien qu’avec la même somme, ils aient obtenu des profits différents, ils sont loués pour ce qu’ils ont fait. Un serviteur, lui, remet la somme qu’il avait reçue sans aucun profit. Il est blâmé et l’argent lui est retiré. Quant à la délégation qui s’opposait à lui, il les fait arrêter et exécuter.

Le cadre est historique et bien connu des auditeurs. Il s’agit d’Archélaüs, fils d’Hérode le Grand. A la mort de son père, il dut aller à Rome pour faire confirmer son héritage qui était la Judée et la Samarie. Comme après la mort de son père, il avait réagi aux pétitions des Juifs en les faisant massacrer, ces derniers envoyèrent une délégation à Rome pour s’opposer à sa nomination. Rome n’accorda pas le titre de roi mais seulement celui d’ethnarque; ce qui lui donnait quand même le pouvoir. A son retour il fit exécuter ceux qui avaient participé à la délégation. C’est de lui que parle Matthieu dans l’épisode où Joseph revient d’Égypte avec l’enfant et Marie:

Apprenant qu’Archélaüs régnait sur la Judée à la place d’Hérode, son père, il craignit de s’y rendre ; il se retira dans la région de Galilée.     (Matt. 2,22)

Pourquoi Luc est-il intéressé par ces allusions à une situation historique?  Luc a déjà auparavant montré que l’histoire de Jésus faisait partie de l’histoire mondiale. Au moment de commencer la description de la vie publique de Jésus, il a pris la peine de situer ce moment dans l’histoire du monde de l’époque. Il mentionne que c’est la quinzième année de l’empereur Tibère, que Ponce Pilate est gouverneur de la Judée, Hérode (Antipas), tétrarque de Galilée, sous le pontificat d’Anne et Caïphe. Il parle aussi des autres fils d’Hérode le Grand, Philippe et Lysanias qui sont des tétrarques. Ces références ne laisseraient pas indifférents les auditeurs de Luc qui ne sont pas des Juifs.

Mais le coeur de la parabole est dans le jugement des serviteurs. Chacun a reçu le même montant, une pièce d’or, avec la prescription bien claire qu’ils doivent la faire profiter. Déjà avant la rédaction de l’évangile de Luc, Paul, dans l’épître aux Corinthiens, avait souligné que tous avaient reçu des dons de l’Esprit Saint. Ils devaient servir à l’édification de la communauté selon les capacités de celui qui les recevait. Ils n’étaient pas tous les mêmes et c’était précisément cette diversité qui contribuait à réaliser la totalité du corps de l’Église. Paul soulignait ainsi que parmi les disciples du Christ il n’y avait pas de citoyens de deuxième classe.

Luc rappelle donc, dans cette parabole, la même responsabilité de chaque chrétien de répondre aux dons qu’il a reçus selon la mesure et les moyens qui lui sont donnés.

Jean Gobeil SJ