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2023/12/19 – Lc 1, 5-25

Au temps d’Hérode le Grand, Zacharie, un prêtre de la descendance d’Aaron, remplit son tour de service sacerdotal au temple. Au moment de la prière du soir, il entre dans le Saint, la première partie du temple, pour faire brûler de l’encens. L’ange Gabriel lui apparaît pour lui annoncer qu’il aura un fils qu’il nommera Jean. Sa naissance sera une cause d’allégresse. L’esprit du Seigneur l’accompagnera et il aura la puissance du prophète Élie pour préparer au Seigneur un peuple capable de l’accueillir. A cause de son âge et de la stérilité d’Élisabeth, Zacharie a des doutes. L’ange se nomme et dit qu’il a été envoyé par Dieu pour annoncer-cette-bonne-nouvelle (“évangéliser”). A cause de son doute, Zacharie devra rester muet. Le peuple qui attend dehors comprend que Zacharie a eu une vision. Quelque temps plus tard, Élisabeth devint enceinte. Elle loue le Seigneur pour lui avoir accordé cette grâce.

Parmi les thèmes qui reviennent dans l’évangile de l’enfance, il y a d’abord celui du temple. Il commence ici; il reviendra pour la présentation de Jésus au temple et plus tard pour le recouvrement de Jésus au temple. Le prophète Malachie avait annoncé que le Seigneur viendrait dans son temple à un moment décisif. Ce que tout l’évangile de l’enfance suggère, c’est qu’il y a maintenant une nouvelle présence de Dieu au milieu de son peuple.

Un second thème est celui de la prière qui revient à travers tout l’évangile de Luc. Il est celui qui mentionne le plus souvent la prière de Jésus avant les moments importants. La première parole de l’ange à Zacharie est que sa prière (de demande) a été exaucée. Pendant la vision de Zacharie, toute l’assemblée du peuple est en prière devant le temple. Ceci représente l’attente d’Israël comme pour le vieillard Syméon qui accueille Jésus lors de la Présentation au temple: on le décrit comme celui qui attendait la consolation d’Israël. La vision de Zacharie est donc la réponse à cette prière d’Israël: le Seigneur est venu dans son temple.

Le thème, sans doute le plus évident, est celui de la joie et l’allégresse. Les hymnes de louange et d’action de grâce d’Élisabeth, de Marie, de Zacharie, du vieillard Syméon sont des hymnes de joie devant l’action de Dieu. Ici, l’ange a annoncé l’allégresse et la joie et il a parlé de la bonne nouvelle qu’il apportait en employant le mot évangéliser.

Il ne faut pas oublier le thème de l’Esprit Saint. Il est le signe de la nouvelle présence de Dieu. Jean Baptiste sera rempli de l’Esprit Saint, dit l’ange. Il deviendra très important dans l’Annonciation à Marie et, de Jean Baptiste,  il se communiquera à sa mère pour son action de grâce.

La présence de Dieu, une nouvelle présence, est accompagnée de son action. C’est lui qui donnera à Zacharie le fils qu’il ne pouvait avoir. C’est pour cette raison que c’est aussi lui qui donne le nom comme il le fera pour le fils de Marie. Ce don et cette bonne nouvelle n’est pas seulement pour Zacharie et pour le peuple d’Israël. C’est la bonne nouvelle que nous recevons, nous aussi: Dieu est venu parmi nous.

Jean Gobeil SJ                                 

 

2023/12/18 – Mt 1, 18-24

Au cœur de l’évangile d’aujourd’hui, il y a la question de la maternité virginale. Marie, fiancée à Joseph, se trouve enceinte avant la consommation du mariage. Contrarié mais incapable de méchanceté, Joseph décide de la répudier en secret. Mais il est averti en songe qu’elle est grosse des œuvres du Saint-Esprit, et que l’enfant sauvera son peuple de ses péchés. Joseph reçoit l’ordre de prendre Marie chez-lui, et il s’exécute.

Il est bien évident que la maternité virginale est une impossibilité biologique. Mais comment alors interpréter ce texte? Une première solution est d’y voir un mystère, précisément le mystère de l’incarnation, qui n’a besoin d’aucune explication : il faut y croire et c’est tout! C’est la position de la majorité des chrétiens, curieusement suivis en cela par les musulmans qui, eux aussi, ne voient aucun problème à propos de la maternité virginale de Myriam. Aux mécréants qui rejettent ce dogme, le Coran pose une question: pourquoi Dieu qui a créé Adam à partir de rien (sans père ni mère) serait-il incapable de créer Issa (Jésus) à partir d’une mère mais sans père? En Islam, Myriam est d’ailleurs vénérée comme l’une des quatre « Femmes parfaites » ou « Dames du Paradis ».

Bien évidemment, théologiens et exégètes contemporains ne se contentent pas d’avaliser cette position qui ressemble à une démission de l’intelligence. Un illustre prédécesseur, Thomas d’Aquin, a affirmé que l’objet de leur métier, la théologie, est « la foi en quête d’intelligence ». Ils tentent donc de donner à la question de la maternité virginale des interprétations intelligentes. La plupart du temps, leur érudition va chercher dans l’Ancien Testament des « précédents » leur permettant de situer ce texte dans le « genre littéraire » des naissances miraculeuses. Mais l’Ancien Testament ne parle pas vraiment de maternité virginale. On peut y trouver des récits de naissances anormales dont le parfait exemple serait celui de Sara qui accouche d’Isaac après avoir dépassé depuis longtemps l’âge de la ménopause. Mais Isaac est fils d’Abraham!

En fait, le discours sur la maternité virginale n’a pas de racines bibliques et n’a rien de typiquement chrétien. L’histoire des religions montre que le recours à ce concept déborde le christianisme dans l’espace et dans le temps. On le retrouve notamment dans la religion de l’Égypte et de l’Inde antiques et dans les religions premières. Les exégètes ont raison de chercher le sens de ce concept en le situant dans « un genre littéraire ». Mais je trouve plus éclairant de sortir du judéo-christianisme pour le rattacher au genre littéraire que l’histoire des religions désigne par le terme « mythe » : une histoire sacrée qui raconte les origines, la création, la naissance du monde, y compris la naissance des dieux. Le texte proposé à notre réflexion parle exactement de cela : la naissance de Dieu.

Une certaine apologétique pourrait attaquer cette interprétation qui relativise la supériorité du christianisme. Mais l’une des tâches qui s’impose à notre époque est de construire des ponts qui relient les humains plutôt que des murs qui les séparent. En rattachant la version chrétienne de la maternité virginale aux mythes de la naissance divine, on relie les chrétiens à l’humanité croyante. La foi en quête d’intelligence établit ainsi une passerelle entre ceux et celles que divers fanatismes opposent en des conflits d’une violence souvent inouïe.

Melchior M’Bonimpa

 

2023/12/16 – Mt 17, 10-13

Les disciples interrogent Jésus sur ce que disent les scribes à propos du prophète Élie supposé revenir avant le Messie. Jésus déclare qu’il est déjà venu et qu’il n’a pas été reconnu par les scribes et que le Fils de l’homme aussi va souffrir par eux. Les disciples comprennent que Jésus parle de Jean Baptiste.

La première lecture tirée du livre du Siracide rappelle les hauts faits du prophète Élie. Son rôle a été important dans les débuts de l’histoire d’Israël dans la Terre Promise. C’était le moment où Israël passait du nomadisme dans le désert à la vie sédentaire. Il avait dû emprunter au populations locales les techniques de la culture du sol et la tentation était grande d’adopter en même temps les divinités qui étaient les assurances pour la pluie, comme Baal, ou pour la fertilité des troupeaux, comme Astarté. Le rôle d’Élie fut de rappeler que Yahvé, le Dieu de l’histoire qui les avait délivrés d’Égypte et accompagnés au désert, était aussi le Maître de la pluie et de la fertilité. Après ses luttes, Élie avait été emporté au ciel sous les yeux de son disciple Élisée. Pour cette raison on croyait qu’il reviendrait un jour.

Au temps de Jésus, on trouve, dans les écrits apocryphes qui parlent de la venue du Messie, la croyance qu’Élie précédera cette venue. En parlant des scribes, c’est à ces écrits que font allusion les disciples.

Mais pour Jésus, c’est Jean Baptiste qui a rempli le rôle de préparer la venue du Messie. Plut tôt (Mt.11,2), des disciples de Jean Baptiste étaient venus questionner Jésus. A la suite de cela, Jésus avait  rendu témoignage au Précurseur. En allant à Jean Baptiste, les gens ne sont pas allés voir un roseau agité par le vent. Il ne sont pas allés voir un personnage mondain comme ceux qui sont dans les palais. Jésus dit à ses auditeurs qu’ils ont raison de le considérer comme un prophète. Il est même plus qu’un prophète.

Il est le messager envoyé pour préparer la route devant celui qui apporte le Royaume de Dieu..   (Mal.3,1)

Jésus avait ensuite ajouté quelque chose qui associait Jean Baptiste à la vie du Christ : Jean mène une vie austère au désert et l’on dit: “Il est un possédé!” Le Fils de l’homme mange et boit et l’on dit: “Voilà un glouton et un ivrogne!” Comme le Christ, Jean Baptiste a été attaqué et rejeté par les autorités religieuses et, en fin de compte, il a été exécuté à cause de sa prédication. Son témoignage a été jusque là.

Or, dans notre texte aujourd’hui, Jésus fait encore allusion à ce parallèle entre la vie de Jean Baptiste et la sienne : Au lieu de reconnaître Jean Baptiste, ils lui ont fait tout ce qu’ils ont voulu. Le Fils de l’homme, lui aussi, va souffrir par eux.

Il semble donc que, pour Jésus, la grandeur de Jean Baptiste n’est pas seulement d’avoir annoncé en paroles la venue du Messie mais d’avoir, comme lui, porter sa croix pour être fidèle à son témoignage.

Jean Gobeil SJ 

2023/12/15 – Mt 11, 16-19

Jésus prend une comparaison pour illustrer le refus de la bonne nouvelle. Il y a des enfants qui refusent de participer à un jeu joyeux et de danser au son de la flûte. Les mêmes enfants refusent de participer à un jeu triste où il faut mimer le deuil. Il en a été de même pour Jean Baptiste et Jésus. Jean baptiste menait une vie austère et avait un message sévère: on l’a refusé en prétextant qu’il était possédé. Jésus, lui, mange et boit avec ceux qui l’invitent, et on le refuse en prétextant qu’il est un glouton. Pourtant, c’était la sagesse de Dieu qui se révélait par ses deux envoyés.

Tout cet épisode a commencé par les disciples de Jean Baptiste qui sont venus demander à Jésus s’il fallait reconnaître en lui celui qu’on attendait. Jésus a répondu en citant ses oeuvres: des guérisons et des libérations, qui réalisaient la description d’un messie que donnait le prophète Isaïe. C’était là que se reconnaissait la sagesse de Dieu pour ceux qui étaient prêts à le recevoir.

Après le départ de ces disciples, Jésus avait loué Jean Baptiste devant la foule. Maintenant, Jean Baptiste était en prison et il allait être exécuté. Le précurseur aurait le même sort que celui qu’il annonçait. Cela nous donne un sens possible de la phrase mystérieuse qui suit : Depuis les jours de Jean le Baptiste jusqu’à présent le Royaume des Cieux souffre violence, et des violents s’en emparent.    (Mt.11,12)

Les adversaires de Jésus comme ceux de Jean Baptiste non seulement rejettent l’annonce du Royaume mais encore ils sont violents et ils réussiront à faire disparaître Jésus aussi bien que Jean Baptiste.

Mais en agissant ainsi, ils ne voient pas qu’ils rejettent la sagesse de Dieu qui se manifestait à travers leur message. C’est ce que veut illustrer notre passage aujourd’hui.

Cette génération, dit Jésus, c’est-à-dire ceux qui refusent le message de Jean Baptiste et celui de Jésus, ressemblent à des gamins capricieux qui refusent de participer à des jeux en donnant comme prétexte que ce qui est gai est trop gai et que ce qui est triste est trop triste. Pour qui refuse, tout prétexte est bon même si les prétextes sont contradictoires. Quand on a décidé de refuser, on n’a pas besoin de la logique.

Jésus applique l’exemple à cette génération. Jean Baptiste menait une vie très austère: il était l’homme du désert. Il dérangeait en prêchant la conversion du coeur en préparation de la venue du Royaume de Dieu. On l’a refusé et on s’est justifié en prétextant qu’il était possédé. Jésus vit avec tout le monde; il ne demande pas de jeûnes de ses disciples comme Jean Baptiste et  il accepte les invitations à manger même avec des pécheurs. On refuse son message en prétextant qu’il est un glouton. Et pourtant, c’était la sagesse de Dieu qui agissait et qui parlait à travers Jean Baptiste et à travers le message de Jésus. C’est ce qu’on refuse.

Et le résultat est bien visible: quand on est refuse d’écouter la sagesse de Dieu, on est à l’aise avec les contradictions et l’absurdité.

Jean Gobeil SJ  

2023/12/14 – Mt 11, 11- 15

Le texte de l’évangile vient après la visite des disciples de Jean-Baptiste. A la suite de cela, Jésus a rendu témoignage au Précurseur. Les gens ne sont pas allés voir un roseau agité par le vent. Ils ne sont pas allés voir un personnage mondain comme ceux qui sont dans les palais. Jésus dit à ses auditeurs qu’ils ont raison de le considérer comme un prophète. Il est même plus qu’un prophète. Il est le messager envoyé pour préparer la route devant celui qui apporte le Royaume de Dieu, et ce messager n’est pas un roseau: il n’est pas faible et il restera fidèle dans l’épreuve.  (Mal.3,1) Sa grandeur est donc d’être à la charnière entre l’Ancienne Alliance et la Nouvelle Alliance.

.Mais avec la venue du Royaume les critères humains sont renversés et ce sont les petits, les humbles,  qui sont privilégiés: le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui.

Le texte qui suit est un texte difficile parce qu’il peut avoir plus qu’un sens.

Depuis Jean-Baptiste jusqu’à maintenant, le Royaume des cieux subit la violence et des violents cherchent à s’en emparer.

Ici, à cause de la liturgie qui a utilisé le texte d’Isaïe pour donner un certain éclairage au texte évangélique, la violence peut être prise dans un sens positif pour signifier que ceux qui s’emparent du Royaume doivent le faire au prix des plus durs renoncements.

L’antienne de la communion nous indique quelle doit être la réponse à l’invitation du Christ:

Si quelqu’un veut marcher à ma suite, dit le Seigneur, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive.  (Mt.16,24)

Jean Gobeil SJ 

 

 

2023/12/13 – Mt 11, 28-30

Venez à moi, moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos. Oui, mon joug est facile à porter et mon fardeau, léger.

Le joug de la Loi est une expression connue dans l’Ancien Testament pour exprimer l’obligation de la Loi. La figure n’est pas nécessairement péjorative. Il suffit de relire l’Éloge de la Loi que fait le psaume 119 qui parle des commandements comme d’une source de délices (verset 47), ou comme une expression de l’amour de Dieu :

De ton amour, Yahvé, la terre est pleine,

apprends-moi tes volontés.  (verset 64)

ou comme encore d’une expression de la sollicitude de Dieu:

Une lampe sur mes pas, ta parole,

une lumière sur ma route.  (verset 105)

Mais quand Jésus parle d’un fardeau qui accable, il vise d’abord le fardeau imposé par les interprétations des Pharisiens qui font de la Loi une question d’exactitude méticuleuse et de comptabilité minutieuse à assurer à tout prix.  C’est ce qu’illustreront les épisodes qui suivent notre texte.

Le joug que Jésus offre évoque l’engagement dans la Nouvelle Alliance, l’entrée dans le Royaume. Il n’est pas un joug de domination puisqu’il ajoute:

Car je suis doux et humble de coeur,

ce qui est la définition des Pauvres ou des Petits de Yahvé dans l’Ancien Testament.

Mais le fardeau peut avoir un sens plus général: le fardeau de la misère humaine. Un peu plus tôt, Matthieu disait de Jésus qui venait de parcourir villes et villages:

A la vue des foules, il en eut pitié, car ces gens étaient las et prostrés comme des brebis qui n’ont pas de pasteur.

(Matthieu 9,36)

Le joug qui est le sien est donc une réponse à cette misère et un appel à venir recevoir la Vie.

 Jean Gobeil SJ 

2023/12/12 – Mt 18, 12-14

Jésus prend un exemple de la vie courante. Si quelqu’un a perdu une brebis, il laisse là le troupeau pour aller à sa recherche. Cette brebis perdue devient plus importante que le reste du troupeau et lorsqu’elle est retrouvée elle cause plus de joie que les 99 brebis du troupeau. Jésus fait l’application de cette conduite à celle du Père: il ne veut pas qu’un seul de ces petits soit perdu.

Ce qui frappe d’abord c’est la disproportion entre une brebis et les 99 autres. Ce n’est pas un récit imaginaire. C’est la façon normale de procéder pour un berger qui découvre qu’il lui manque une brebis. Un cas semblable est même passé à l’histoire. En 1947, un berger dans le secteur de Jéricho laisse son troupeau à la fin de la journée pour chercher la brebis qui manque. Au pied des falaises de la Mer Morte, il inspecte les trous dans lesquels une brebis pourrait rester prisonnière. Il commence à faire noir. Dans un trou dont il ne peut pas voir le fond, il jette une roche pour voir s’il n’y aurait pas une réaction de la brebis. Au lieu de cela, il entend un fracas de poterie cassée.  Effrayé, il se sauve mais revient le lendemain avec un copain. Au fond du trou qui est en fait une caverne, il découvre une collection de jarres contenant des rouleaux de parchemins. C’était la première découverte d’une cachette de manuscrits: les manuscrits de la Mer Morte reliés à la communauté de Qumran qui était active au temps de Jésus.

La disproportion devient très importante quand Jésus applique l’exemple du berger au Père qui est dans les cieux. Non seulement ceux qui sont perdus sont importants pour lui mais encore c’est lui qui prend l’initiative d’aller à leur recherche. C’est l’écho d’une parole de Jésus dans l’évangile de Luc : Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu.  (Luc 19,10)

Il y a donc d’abord une perspective universaliste dans ce récit. Tous ceux qui sont perdus sont importants aux yeux de Dieu. Mais cette perspective a des retombées au niveau de la communauté.  Celle-ci ne doit pas exclure personne: elle doit rester ouverte à ceux que Dieu cherchent et veut sauver. Mais il y aussi dans la communauté des petits qui sont plus faibles que le reste du troupeau. Peut-être n’ont-ils pas de statut social comme des richesses ou de l’importance; peut-être aussi n’ont-ils pas beaucoup de connaissance. Saint Paul connaît de ces petits dans ses communautés; c’est pour eux qu’il est prêt à renoncer à des pratiques bien innocentes si elles peuvent les scandaliser ou leur nuire. « C’est mon droit » est une formule magique de nos jours. Mais le droit individuel n’est pas la première préoccupation d’un disciple du Christ. Pour quelqu’un dont l’idéal est de servir, le droit n’a jamais préséance sur les besoins des autres. Matthieu voit certainement cet aspect important pour sa communauté. Il a placé ce récit au milieu d’un ensemble d’instructions de Jésus qui s’adressaient à ses disciples mais visaient en même temps les communautés futures. Elles peuvent certainement nous être utiles encore aujourd’hui.

Jean Gobeil SJ

2023/12/11 – Lc 5, 17-26

Il n’y a rien de plus misérable pour un conférencier que de se retrouver devant une salle presque vide ou encore, face à une assistance médiocre qui ne réagit pas à ses propos ou pose des questions hors-sujet. Ce n’est pas le cas dans l’évangile que nous sommes invités à méditer aujourd’hui. Jésus fait salle comble et attire un auditoire de qualité. Nous ne sommes pas en présence d’un obscur conférencier ou d’un petit bricoleur, mais d’un maître précédé par sa renommée.

Je n’ai pas résisté à la tentation de comparer ce texte aux récits parallèles chez Matthieu et Marc. Matthieu abrège l’histoire et n’en retient que l’essentiel. C’est donc plus intéressant de comparer les versions de Marc et de Luc. Elles sont plus élaborées et à peu près équivalentes en termes de longueur et de contenu. Pourtant, celle de Luc a quelque chose de spécial dans sa manière de gonfler l’assistance. C’est vrai que Marc insiste aussi sur l’importance du nombre de ceux qui se sont rassemblés pour entendre Jésus annoncer la parole. Mais chez Marc, la foule provient d’un attroupement spontané : « …on apprit qu’il était dans la maison. Et tant de monde s’y rassembla qu’il n’y avait plus de place, pas même devant la porte. »

Chez Luc, la foule n’est pas constituée uniquement des voisins curieux ou des habitants de l’entourage immédiat de « la maison ». Dans l’assistance, il y a « des pharisiens et des docteurs de la loi venus de tous les villages de Galilée et de Judée ainsi que de Jérusalem ». Le nombre des témoins n’est donc pas le seul élément qui souligne l’importance de l’événement. Il y a aussi le fait qu’on trouve parmi ces témoins des représentants de l’élite d’Israël, venus des quatre coins du pays. Luc sous-entend donc que Jésus n’est pas un simple charlatan qui impressionnerait uniquement un public d’ignorants ou d’insignifiants. Il en impose même aux savants venus exprès pour tenter de le confondre, bien que dans cet évangile, les pharisiens et docteurs de la loi n’expriment pas ouvertement leurs objections.

Et justement, que dire du fond de l’histoire elle-même? Des gens portant un paralysé sur une civière ne parviennent pas à l’amener jusqu’à Jésus à cause de la foule. Ils décident alors de le faire passer par le toit en enlevant des tuiles. « Voyant leur foi, il dit, tes péchés te sont pardonnés. »  Le paralysé et ses courageux porteurs ont dû être sidérés et déçus par cette déclaration qui ne semble avoir aucun rapport avec le but visé par leur démarche. Quant aux pharisiens présents, même s’ils ne disent rien, ils sont scandalisés par ces propos qui  semblent nettement blasphématoires.

On a l’impression que Jésus se plaît à créer le malaise en imposant une mise en attente du paralysé et en se montrant provoquant et prétentieux pour irriter les docteurs de la loi. À vrai dire, ce qui caractérise l’attitude de Jésus ici, c’est son humilité. Cela peut passer inaperçu, mais Luc insiste sur le fait que Jésus n’est qu’un  lieutenant, un intermédiaire  ou un instrument : « …et la puissance du Seigneur était à l’œuvre pour lui faire opérer des guérisons. » Le pouvoir de pardonner les péchés et le pouvoir de guérir sont liés en amont : Jésus les tient de son Père, et il veut que tout le monde le sache. Le dénouement montre qu’il réussit son coup. Quand, sur l’ordre de Jésus, le paralysé se lève, prend sa civière et s’en va chez lui,  tous, y compris les pharisiens, « rendent gloire à Dieu ».

Melchior Mbonimpa

 

 

2023/12/09 – Mt 9, 35 – 10, 1.6-8

Un sommaire de la mission de Jésus introduit le passage que nous propose aujourd’hui la liturgie. Trois traits caractérisent le ministère du Christ: enseigner, proclamer la Bonne Nouvelle du Règne de Dieu et guérir toute maladie (9,35). Ce sommaire répète celui de 4,23, qui introduisait le Sermon sur la montagne (chap. 5–7) et la série de dix miracles qui suivent le Sermon (de 8,1 à 9,34).  Cette répétition du même sommaire, au début et à la fin, est une indication de l’évangéliste pour montrer l’unité contenue entre ces deux résumés. Matthieu affirme de cette manière que la mission de Jésus, telle qu’il la décrit dans cette section allant de 4, 23 à 9, 34 se prolongera maintenant dans celle de ses disciples. Ce rappel en effet du résumé du ministère de Jésus introduit l’envoi en mission des disciples qui va suivre.

Jésus a pu atteindre une nombre limité d’auditeurs durant son bref ministère, mais il confie à ses disciples de poursuivre sa mission, avec les mêmes traits caractéristiques que la sienne. Ses disciples immédiats représentent tous ceux qui croiront en lui et à son Évangile jusqu’à la fin de l’histoire. Ils auront la même dignité et la même responsabilité de répandre partout la Bonne Nouvelle du salut et de la vie éternelle. Matthieu met ainsi en relief sa préoccupation de rattacher étroitement l’Église au Christ. La mission des disciples et de tous ceux et celles qui suivront s’enracine dans la mission même de Jésus.

Jésus ordonne aux douze disciples d’aller seulement vers les brebis perdues du peuple d’Israël (10, 5s). Mais cette mission limitée prépare et préfigure la mission universelle que le Ressuscité enjoindra à tous les chrétiens: Allez vers toutes les nations (Mt 28, 19).

Priez pour les vocations!

          Les foules qui suivent Jésus subissent la misère et la souffrance. Ces foules abattues, qui peinent dans les ténèbres de ce monde, se retrouvent à toutes les époques. Leur désarroi provient de ce qu’elles n’ont personne pour les guider, pour leur offrir la lumière, pour les rassembler et pour faire jaillir en elles l’espérance, en les remettant sur la voie qui mène à leur Seigneur et Père. Des gourous surgissent, qui prétendent parler au nom de Dieu, comme les faux prophètes de l’Ancien Testament qui faisaient miroiter les illusions menant au désespoir.

Mais les vrais pasteurs, c’est Dieu qui les choisit et qui les envoie paître son troupeau. Il est futile de mettre notre confiance dans nos moyens humains pour susciter des pasteurs. Les aumônes pour des séminaristes sont certes des actions admirables, mais nos gestes porteront des fruits, si nous prions le Seigneur qui, seul, peut créer des vocations.

Il ne faudrait pas, cependant, restreindre notre prière aux seules vocations sacerdotales et religieuses. On a trop souvent limité nos demandes à ces types de vocations, pour leur remettre nos propres obligations missionnaires. Tout chrétien est missionnaire. On a oublié que les vocations particulières au sacerdoce et à la vie religieuse ne fleurissent qu’au milieu des vocations de tous les chrétiens. En nous créant, le Seigneur a inséré en chacun et chacune de nous une mission particulière. La nôtre n’est pas celle du voisin, comme notre figure se distingue de toutes les autres. Pour être fidèle à l’intention de notre Créateur, il nous faut entendre sa voix et découvrir la mission qui nous est propre. L’ensemble des chrétiens fidèles à leur vocation particulière constituera une Église fervente, dans laquelle « le Maître de la moisson » choisira des ouvriers pour les associer d’une manière spéciale à son oeuvre d’évangélisation. Les vocations sacerdotales et religieuses ne surgissent pas au milieu d’un champ stérile, où la foi se réduit à celle du consommateur, celui qui regarde les autres travailler, sans s’engager dans la mission particulière à laquelle le Maître l’appelle.

Pourquoi les douze?

Nombreux étaient les disciples qui suivaient Jésus. Pourquoi ne les a-t-il pas tous envoyés en mission? Luc (10, 1-12) rapporte que, après la mission des douze, Jésus mandata 72 disciples pour étendre et prolonger son propre ministère. Pourquoi cette insistance ici sur les seuls douze?

Leur nombre est significatif, car il manifeste la continuité du peuple choisi et dirigé par Dieu, depuis la nation aux douze patriarches, constituée par douze tribus dans le Premier Testament. Ceux que le Christ a choisi et mandaté pour cette mission spéciale sont intentionnellement douze pour montrer que c’est toujours le même peuple de Dieu qui se prolonge dans l’Église. Cette continuité du peuple élu dans l’histoire, malgré ses rivalités, ses divisions et ses infidélités, demeure toujours le peuple prédestiné par Dieu, dont la fidélité à ses promesses assure la marche vers la Terre promise.

Les disciples que le Christ envoie sont des Galiléens simples, illettrés, qui n’ont aucun talent humain pour accomplir la mission que leur Maître leur confie. Le succès qu’ils obtiendront proviendra de leur foi et de la vive conviction que l’Esprit Saint leur accordera. Ces disciples nous représentent et leur mission préfigure celle des  tous les chrétiens. Nous n’avons pas le droit de conserver pour nous-mêmes la lumière et la vie de l’Évangile, que nous avons reçu gratuitement. L’apôtre Paul s’écrie « Malheur à moi si je ne proclame pas l’Évangile » (1 Cor 9,16). C’est aussi notre « malheur », la malédiction, la séparation du Seigneur, source de la résurrection, si nous demeurons passifs et consommateurs, sans le souci de répandre autour de nous l’amour et la vie.

Jean-Louis D’Aragon SJ

2023/12/08 – Lc 1, 26-38 – Immaculée Conception

Pourquoi l’annonciation faite à Marie est-elle aussi importante ? C’est que l’incarnation du Fils de Dieu, venant partager complètement notre condition humaine, commence avec ce premier instant de sa conception. Il n’a pas commencé son existence comme un adulte, ni même comme l’enfant de Noël, mais de la manière la plus humble, la plus fragile, dans le sein de la Vierge Marie. Il s’est abaissé à commencer son existence comme nous tous, il a débuté comme un foetus à peine perceptible. Les chrétiens célèbrent ce moment unique dans l’histoire, Dieu qui vient parmi nous, le Sauveur qui se fait l’un des nôtres.

L’incarnation de Dieu constitue le coeur de notre foi chrétienne, qui la distingue des autres religions monothéistes, le Judaïsme et l’Islam. Pour nos frères juifs et musulmans, Dieu est l’être transcendant, le Tout autre, le Tout-Puissant, qui domine et régit l’univers. Il assure l’ordre de l’univers qu’il a créé et il veille sur chacun de nous, mais de haut et de loin. Pour la foi chrétienne, Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne soit pas perdu, mais qu’il ait la vie éternelle (Jean 3, 16). Nous étions perdus dans notre misère, en raison de notre défiance et de notre séparation de Dieu, incapables de nous sauver nous-mêmes. Pour venir à notre secours, le Seigneur n’intervient pas de l’extérieur, de loin, il se compromet personnellement, en s’insérant dans le tissu humain de notre histoire, en vivant jusqu’au bout notre aventure humaine pour lui donner un sens de vie.

L’ange du Seigneur

Pour annoncer l’intervention centrale de l’histoire humaine, Dieu envoie son messager, qui, cette fois, est identifié par son nom, Gabriel, le héros de Dieu. Pour ne pas attirer indûment l’attention sur le messager, l’ange du Seigneur est très rarement nommé dans la Bible. Son message s’adresse à une jeune femme, ignorée de son milieu, dans une modeste localité et dans une province méprisée. La puissance divine peut se manifester dans une personne pauvre, qui ne peut offrir que l’ouverture de son coeur. Dieu est avec elle, selon la traditionnelle assurance qu’il donne à celui ou à celle qui reçoit une mission impossible à remplir. Le Seigneur est avec toi, il te comble de ses faveurs.

L’irruption de Dieu, du mystère, attire et, en même temps, effraie Marie, qui prend conscience de son indignité et de sa bassesse. C’est la crainte de Dieu, la réaction régulière d’attrait et de recul face à l’au-delà mystérieux; c’est la fascination et, en même temps, le sentiments d’indignité devant la présence divine. Aussi Gabriel rassure Marie, car le Seigneur de la paix ne veut jamais nous effrayer: Sois sans crainte.

La mission de Marie consiste à s’ouvrir au Fils du Très-Haut, pour lui permettre de s’insérer dans le tissu de l’histoire humaine. Les titres de ce fils relèvent du mystère et éblouissent Marie. Elle ne comprend pas ce déroulement de l’avenir que Dieu lui propose par son ange. Il en est toujours ainsi des interpellations du Seigneur. Il ne s’agit pas de comprendre pour accepter, comme si on adhérait à un calcul logique et raisonnable. La seule réponse à Dieu, c’est la foi qui permet de comprendre plus tard le mystère. Marie devient notre modèle par excellence par son accueil simple, mais sans réticence: Fiat, en latin, qu’il en soit ainsi !

La condition du salut de l’humanité

La condition essentielle pour accueillir le salut de Dieu, c’est la disponibilité. Dans son amour respectueux, le Seigneur ne s’impose pas et ne nous oblige pas à accepter ses dons. L’annonce de l’ange Gabriel à Marie résume les promesses que Dieu avait proclamées à son peuple par les prophètes. Au nom de notre humanité, la Sainte Vierge a acquiescé au projet de Dieu, même si elle ne comprenait pas ce qu’il lui proposait. Par sa foi, elle faisait confiance au Seigneur. Au contraire d’Ève, qui s’était défiée du Créateur, Marie se confie et se livre totalement au projet mystérieux de Dieu: Que tout se passe pour moi comme tu l’as dit. 

La venue du Fils de Dieu dans notre monde pour nous sauver était devenue possible par ce oui  de Marie. Par son accueil de la Parole, elle s’unit à son Fils, qui avait la mission de rétablir la communion de notre humanité révoltée avec Dieu, son Père.

Fécondité de la foi

La question de Marie à l’ange Gabriel ne signifie pas qu’elle doute de la promesse de Dieu. Sa foi n’exclut ni la prudence, ni l’intelligence. Marie ne met pas en doute la promesse de Dieu comme Zacharie, mais elle veut savoir comment se comporter devant cette demande du Seigneur. Dieu, par son ange, lui donne un signe, sans que Marie l’ait demandé : même âgée et stérile, sa cousine Élisabeth attend un enfant, contrairement à tout espoir humain. Dieu nous donne de lui-même des signes pour se révéler et nous faire mieux comprendre le mystère de son projet de salut.

Par suite de son consentement et de son obéissance, Marie pourra offrir au monde son Libérateur, tout en demeurant vierge. Rien n’est impossible à Dieu. Pour celle qui croit et aime, tout devient possible dans un émerveillement sans cesse renouvelé. Marie est une pauvre jeune fille de quatorze ans environ, vierge, et pourtant elle donnera la vie au Sauveur du monde, parce qu’elle est entièrement disponible à l’intervention du Seigneur. Par son accueil, elle contribue au premier instant de notre rédemption. Gabriel lui promet que, grâce à son oui, Dieu instaurera son règne de paix et de joie.

Conclusion

Notre histoire humaine se déroule dans un combat incessant entre le bien et le mal, entre le bonheur et le malheur, entre la vie et la mort. La condition essentielle de notre salut et de notre victoire, c’est de mettre en pratique l’exemple de Marie et son enseignement aux serviteurs de Cana, qui contribuèrent par leur obéissance au miracle du changement de l’eau en vin : Faites tout ce qu’il pourra bien vous dire. (Jn 2,5)

Jean-Louis D’Aragon SJ