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2021/06/19 – Mt 6, 24-34

Deux divinités se disputent le cœur de l’homme. Pourquoi s’opposent-elles entre elles? Ne serait-il pas possible de les concilier, d’établir des ponts entre chacune d’elles et de les unir? De tirer profit des deux côtés? Pourquoi cet exclusivisme, pourquoi une telle intransigeance?

Ils sont nombreux, à toutes les époques, qui ont voulu, consciemment ou non, associer ces deux divinités et être leurs serviteurs, pour retirer des dividendes des deux côtés. L’argent semble donner le plaisir et la sécurité, tout en offrant les moyens de se procurer tous les biens souhaitables. Par ailleurs, on aime se ménager la protection de cet Être suprême, Souverain de l’univers, même si le culte qu’on lui rend est formaliste, souvent sans âme.

Avec cette double allégeance, on ne se rend pas compte qu’on se divise. On devient ce qu’on aime, ce en quoi on cherche sa vie, son bonheur et sa sécurité. Si on aime deux divinités, une moitié de soi-même adhère à l’une, et l’autre moitié à la seconde. Cette division équivaut à un cancer moral, cette maladie qui mine et qui détruit. Une telle division empêche de réaliser l’unité en nous-mêmes, qui est la condition de notre épanouissement pour vivre pleinement et être heureux. Le bonheur ne fleurit que dans une personne dont tous les désirs et tous les efforts tendent vers un but unique.

Le mot qu’emploie Jésus exprime clairement cette unité de l’être humain et la nécessité d’un choix exclusif. Le terme hébreu, èbed, ou son équivalent grec, doulos, désigne non pas simplement un serviteur, mais un esclave. Dans le monde social de l’époque, la condition de l’esclave réduit un humain à ne plus être une personne, mais un objet, que son maître possède. En conséquence, son propriétaire en fait ce qu’il veut. L’esclave ne dispose pas de son existence, ni même d’aucun moment de repos ou loisir. L’esclave n’a pas choisi une telle condition, il la subit. C’est la dégradation à laquelle réduit la servitude de l’argent

Comment l’argent peut-il devenir un mammon, un dieu tyrannique qui possède son esclave? L’argent et les biens qu’il procure seraient-il mauvais? Pourtant Dieu a béni son peuple en lui accordant un pays et les richesses qu’il contient. Ces richesses sont le signe de la bénédiction de Dieu. Cependant, lorsqu’il donne à Israël la Terre qu’il lui a promise, il le prévient avec insistance: Prends bien garde d’oublier le Seigneur ton Dieu, en négligeant d’obéir à ses commandements, à ses règles et à ses lois que je te communique aujourd’hui. (Deut 8,11) L’argent est un bien donné par Dieu, mais que l’égoïsme de l’homme peut facilement utiliser pour se construire une situation confortable et se donner l’impression de la sécurité. Aussi saint Paul peut affirmer: « L’amour de l’argent est la racine de tous les maux » (1 Tim 6,10).

Ayant la fausse impression d’avoir tout ce qui lui faut pour vivre et être heureux, le riche n’a plus besoin de Dieu. Sans nier son existence, il l’oublie. Il vit comme si Dieu n’existait pas, comme le riche de la parabole qui pense avoir assuré son avenir (Luc 12,16-21), ou celui qui se noie dans les plaisirs du moment présent (Luc 16,19-31). Dans nos sociétés d’abondance, combien de nos voisins vivent dans cette insouciance et dans cette illusion?

L’argent ne suscite pas seulement un nuage d’illusions , mais il devient un tyran dont on devient prisonnier. Tout en nous rendant dépendant, il multiplie pour nous les soucis et même les angoisses. Le financier scrute à tout moment les cotes de la bourse, espérant une hausse et craignant le désastre d’une dégringolade. Le prix de l’essence grimpe et s’envole à des sommets qui menacent l’ensemble de l’économie et notre niveau de vie personnelle. Oui! vraiment les motifs d’inquiétudes sont innombrables,…quand on prétend assurer par soi-même sa sécurité. On s’est illusionné en se fiant à sa fragilité.

Pour n’importe quelle situation, Jésus nous dit d’unir notre volonté à celle de Dieu pour trouver la vraie liberté. En épousant la volonté de Dieu, on participe à sa souveraine liberté pour dominer tout ce qui nous menace. C’est ainsi que le grand prêtre d’Israël répondait au général rempli de peur pour l’avenir: « Je crains Dieu, cher Abner, et n’ai point d’autre crainte » (Racine).
Dieu nous a créés par amour, gratuitement, chacun et chacune d’entre nous. Il aurait créé des milliards d’autres êtres humains à notre place. Mais il nous a choisis personnellement. Comment ne nous donnerait-il pas ce qu’il nous faut pour entretenir et développer cette existence qu’il nous a accordée. Lorsqu’on s’inquiète de l’avenir, c’est que nous essayons de mettre notre confiance en nous-mêmes, plutôt que dans la Providence.

En servant Dieu librement, par amour et dans la confiance, nous parvenons à nous libérer de la tyrannie de l’argent. La dernière scène du film « L’avare », qui reprend la célèbre comédie de Molière, illustre cet esclavage de l’argent. L’avare avance péniblement dans le désert en traînant son sac d’or auquel il s’est attaché. L’expérience nous montre combien Jésus a raison: il faut choisir entre deux maîtres. L’argent nous fascine et nous réduit à la misère de l’esclavage. Dieu nous offre de nous libérer de tout souci, en nous associant à sa souveraine liberté.

Jean-Louis D’Aragon SJ

 

 

2021/06/18 – Mt 6, 19-23

Les conseils de la sagesse s’imposent à nous si nous désirons mener notre vie vers le succès et le bonheur. Le Sermon inaugural de Jésus, sur la montagne, présente une série de directives pour orienter sagement sa vie. Dans le présent passage de la liturgie, Jésus nous donne un avis précieux sur le véritable but de notre existence, la vraie vie, et sur la manière de voir cette vie.

Mon beau-frère avait un petit chien, nullement attrayant, mais auquel il était attaché. « Après celui-ci, je n’en aurai plus d’autre » – me disait-il – « parce que j’ai trop de peine quand il disparaît. » C’est le grand danger d’attacher son bonheur à ce qui passe. Tout est relatif et ne dure qu’un instant. Par contre, on ressent le besoin de s’attacher à quelque chose, un animal de compagnie et, encore plus, à une personne. Jésus nous enseigne que ce besoin naturel de s’attacher doit viser non ce qui passe, mais l’Absolu, qui demeure éternellement.

Jésus donne trois exemples, propres à son milieu, de biens attirants, mais fragiles, dans les domaines du vêtement, de la nourriture et de l’argent. Ce sont les biens que recherchaient les gens de cette époque, mais qui donnaient seulement l’illusion du bonheur. Les mites, la vermine (souris, rats,…) ou les voleurs montrent la précarité de ces biens qui devaient procurer le bonheur. Au début, ils procurent un plaisir, qui, malheureusement, s’affadit et s’évapore bien vite. Nous sommes tous comme les enfants qui sont éblouis au début par le jouet qu’ils reçoivent. Après quelque temps, ce même jouet ne leur dit plus rien; ils le mettent de côté.

À notre époque, ils sont nombreux ceux qui ont l’impression d’atteindre le bonheur dans le plaisir sexuel. Le coup de foudre! Mais la foudre ne dure pas et la répétition rend rapidement le plaisir banal et fade. La drogue attire de nombreux jeunes, qui pensent y trouver une évasion de notre monde grisâtre. Mais l’usage affadit l’effet. Aussi il faut augmenter les doses et en venir à la dépendance et à la destruction de soi-même, qui conduisent au désespoir et au suicide.

Lorsque saint Laurent, diacre et administrateur de l’église de Rome, fut arrêté, le juge lui ordonna de livrer les trésors de sa communauté. Laurent montra les pauvres et déclara: « Voici nos trésors! » Ayant distribué les biens de l’église aux démunis, il pouvait affirmer que les trésors de l’église avaient pris le visage de ces pauvres, devenus les témoins de la charité dont ils avaient bénéficiée. À la mort, on n’emporte aucun bien extérieur. Comme un proverbe l’exprime d’une manière imagée: « Un suaire n’a pas de poche » pour contenir un trésor terrestre. Par contre, on possède pour toujours et on emporte ce qu’on a dans le coeur, l’amour qui s’est donné dans des actions de générosité.

L’œil est la fenêtre par laquelle entre la lumière, mais il est aussi l’entrée pour pénétrer à l’intérieur de la personne que l’on examine. Une mère dit justement à son enfant qui a désobéi: « Regarde-moi dans les yeux. » Dans le regard, on peut comprendre le caractère de la personne à qui on s’adresse. Il y a des regards fuyants, il y a des regards fourbes, mais il y a des regards limpides. « L’œil clair » est celui qui ne cache rien, un regard sympathique qui s’ouvre à tous ceux qu’il rencontre. C’est le regard de la personne généreuse dans ses jugements sur les autres, de celle qui se donne pour le bonheur d’autrui.

L’œil mauvais, au contraire, est celui qui est empreint de préjugés défavorables sur les autres, qui prend plaisir à les déprécier et à les condamner. Devant le succès des autres, il éprouve de la jalousie. L’œil égoïste ne communique guère, il s’isole pour s’emmurer en lui-même. Comment alors peut-il vivre avec les autres et avec Dieu?

On devient d’une certaine manière l’objet ou la personne à qui on se livre. Aussi est-il capital de bien discerner les liens qui nous attachent, à clairement évaluer pour quoi ou pour qui on sacrifie une part de sa liberté. Le monde nous veut nous persuader de livrer notre liberté à de fausses valeurs, à nous attacher à l’argent, au plaisir, aux honneurs, tous des mirages qui fascinent, mais qui s’évaporent en nous laissant blessés au cœur. Pour ne pas subir la déception du mirage, afin de ne pas donner son cœur et son idéal à la vanité, au vide, il faut orienter toutes ses aspirations vers l’Absolu, l’unique qui ne déçoit pas.  Mais seul celui qui a « l’œil clair », qui a le regard ouvert par la foi et l’amour, peut discerner le mystère de l’Absolu et le découvrir partout et, particulièrement, en lui-même, dans son cœur.

Jean-Louis D’Aragon SJ

2021/06/17 – Mt 6, 7-15

Le sermon sur la montagne parle des trois pratiques religieuses courantes en Israël: l’aumône, la prière et le jeûne. Trois fois Jésus mentionne la condition du secret. Pour la prière, il ajoute que ce n’est pas la quantité de paroles qui fait la valeur d’une prière mais la confiance dans le Père qui connaît nos besoins. Il leur donne ensuite un modèle de prière: le Notre Père. Il insiste sur la dernière demande: une demande de pardon qui suppose qu’on pardonne aux autres.

Les disciples ont été frappés par la façon de prier de Jésus. Il s’adresse au Père en utilisant un terme de familiarité comme Abba. On a une trace de l’étonnement des disciples dans le fait que Marc, qui écrit pour des lecteurs qui ne connaissent pas l’araméen, cite la prière de Jésus à Gethsémani en gardant le mot Abba (Marc 14,36). En donnant l’exemple du Notre Père comme prière pour ses disciples, Jésus a dû employer le même mot qui surprendra Paul puisque, par deux fois, il déclare que les disciples qui prient en utilisant le mot Abba montrent ainsi la présence de l’Esprit Saint en eux (Galates 4,6; Romains 8,15). C’est donc à une intimité et une proximité avec Dieu que sont conviés les disciples par le don de cette prière.

Matthieu est toujours conscient de la dimension ecclésiale. Au lieu de commencer simplement par Père (comme dans Luc), il fait dire Notre Père: en tant que disciples du Christ, on constitue une famille et on ne prie jamais seul. Comme dira saint Augustin: S’il n’y a qu’un seul chrétien, cela veut dire qu’il n’y a plus de chrétien.

Mais en même temps qu’on s’adresse à lui de cette façon familière, il ne faut pas oublier que c’est à notre Dieu que nous parlons. C’est pour cela que Matthieu ajoute qui es aux cieux, ce qui est la façon juive d’éviter, par respect, de prononcer le nom de Dieu. C’est donc ainsi que commence cette prière: Notre Père et notre Dieu. C’est le résumé de la relation que le Christ offre à ses disciples: une vie dans l’intimité de Dieu.

C’est pour que se réalise cette vie en lui-même que celui qui prie demande: que ta volonté soit faite, que ton Règne arrive. Alors passera à travers ce disciple la sainteté de Dieu et le Nom de Dieu sera glorifié: que ton Nom soit sanctifié.

Après avoir souhaité et accepté la volonté de Dieu pour que se réalise ce grand dessein de Dieu, il est normal de demander à Dieu son aide pour chaque jour: Donne-nous notre pain de ce jour.

Conscients de notre indignité et de nos faiblesses, nous demandons à Dieu son pardon en nous rappelant sa parole que si nous voulons être pardonnés il faut être prêts à le faire pour les autres.

Très tôt, la liturgie a ajouté une conclusion au texte de Matthieu. C’est une belle doxologie, c’est-à-dire un hymne de louange à la gloire de Dieu : Car à toi appartiennent le Règne, la Puissance et la Gloire pour les siècles des siècles. Amen.

Jean Gobeil SJ

2021/06/16 – Mt 6, 1-6.16-18

L’aumône, la prière et le jeûne sont trois pratiques fondamentales de la piété juive. Elles garderont de l’importance pour les premiers chrétiens.

L’aumône était souvent considérée comme une œuvre de justice plutôt qu’une œuvre de charité: on ne donnait pas en faisant l’aumône; on s’acquittait plutôt d’une dette qui finalement était vis-à-vis de Dieu. Cette perspective de l’aumône et de l’aide à quelqu’un dans le besoin est passée dans l’Islam où elle se retrouve encore aujourd’hui. Au temps de Jésus, le nombre de gens très pauvres était particulièrement important et l’aumône représentait la seule forme d’aide sociale.
Ceux qui pouvaient faire une aumône un peu importante pouvaient en profiter pour se faire valoir: Jésus les appelle des hypocrites, ce qui vient d’un mot grec signifiant des acteurs.

A part les prières reliées au culte, les prières individuelles ont une longue tradition dans la religion juive. Le meilleur exemple sont les psaumes. Beaucoup de psaumes, au départ ont été des prières individuelles qui ont d’ailleurs souvent gardé des traces de détresse, d’impatience ou de révolte devant l’injustice de situations particulières. Les détails de la situation historique ont été perdus quand la prière individuelle a été adoptée par la communauté. Par ailleurs, différents groupes pouvaient avoir leurs propres prières. Jean Baptiste avait montré des prières à ses disciples. C’est ce qui a amené les disciples de Jésus à lui demander de leur montrer à eux aussi comment prier. Jésus lui-même a prié, dans le secret, comme il le recommande dans notre texte.

Enfin, le jeûne était une forme de piété dans les moments de deuil, dans les moments de détresse nationale ou même dans la vie courante.

Jésus donne les conditions et l’esprit qu’il faut avoir pour que ces pratiques soient vraiment religieuses. D’abord elles doivent avoir pour but uniquement Dieu. Quand elles se terminent à un avantage personnel, elles ne sont plus religieuses. Ceux qui se servent des pratiques religieuses pour eux-mêmes, Jésus les appellent des hypocrites, des acteurs.
La seconde condition est contenue dans la mention du secret: donner en secret, prier dans le secret, le Père qui est là et qui voit dans le secret. L’expression suggère une connotation d’intimité. Dans ces actions faites pour Dieu, il y a une présence de Dieu qui veut une rencontre intime, personnelle. C’est à cette présence que le juste doit chercher à s’ouvrir par ces pratiques de piétés.

Jean Gobeil SJ

2021/06/15 – Mt 5, 43-48

Vous avez appris qu’il a été dit: Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien moi, je vous dis: Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est dans les cieux: car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous? Les publicains n’en font-ils pas autant? … Vous donc soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait.

Les antithèses précédentes commençaient par une citation de l’Ancien Testament. Celle-ci ne donne pas une citation textuelle. Le devoir d’aimer le prochain se trouve dans le Lévitique (19,16) mais le prochain est compris comme un membre de la communauté d’Israël. Pour la haine des ennemis, il faut se rappeler que les ennemis d’Israël sont considérés comme des ennemis de Dieu d’abord, ce qui explique la violence de certains psaumes. Ainsi on ne peut ni sympathiser ni pactiser avec eux. Mais la forme de haïr les ennemis peut traduire une forme hébraïque comme: Tu n’es pas tenu d’aimer tes ennemis. De toute façon, Jésus a utilisé une formule reçue qui n’a rien à voir avec l’amour des ennemis!

En réponse à cette formule, Jésus utilise la forme solennelle: Eh bien moi, je vous dis… Il affirme ainsi son autorité et souligne l’importance de ce qui va suivre.

Et Jésus déclare qu’il faut aimer ses ennemis. A moins de cela, la justice d’un disciple ne dépasserait pas ce que font régulièrement les collecteurs de taxes et les païens, les deux classes de gens religieusement les plus basses pour des Juifs.

Sur quoi se basent les exigences du Royaume de Dieu en général et en particulier celle d’aimer ses ennemis? Pour ceux qui écoutent le Sermon sur la montagne, il y a une condition requise sans laquelle les demandes du sermon restent impossibles. C’est cette condition que le Christ révèle.
Dieu est notre Père et il veut que nous soyons ses enfants. Et l’amour pour le Père est plus qu’une obéissance à des lois. Cet amour doit être une imitation de son esprit:

Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait.

Personne n’est exclu de l’offre que Dieu fait. Ceux qui croient en un Dieu Père, ne peuvent pas, eux non plus, exclure quelqu’un de l’amour. Luc a voulu préciser de quelle sorte d’amour il s’agissait. Au lieu de dire Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait, il a dit : Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. (Luc 6,36)

Jean Gobeil SJ 

 

 

 

2021/06/14 – Mt 5, 38-42

Vous avez appris qu’il a été dit: Œil pour œil; dent pour dent. Moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant. Si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre. Si quelqu’un veut prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. Si quelqu’un te force à faire mille pas fais-en deux mille avec lui. Donne à qui te demande.

Œil pour œil, dent pour dent: c’est ce qu’on appelle la loi du Talion qu’on retrouve dans le code du livre de l’Exode (21,24). Par les applications concrètes qui sont données dans le livre de l’Exode, on voit clairement que cette loi visait à limiter les vengeances et les représailles en statuant que la réparation ou la punition devait être proportionnée au tort subi.

La citation de cette loi est introduite par les mots: il a été dit. Cette formule avec le verbe au passif est employée par les Juifs pour éviter de prononcer le nom de Dieu et c’est l’équivalent de: il a été dit par Dieu ou c’est une parole de Dieu. Pour Matthieu et son auditoire qui sont des judéo-chrétiens le sens est clair. A une parole de Dieu, Jésus fait plus que donner une interprétation; il y ajoute sa propre parole: “Moi, je vous dis…” Ici, comme dans les antithèses qui vont suivre, Jésus montre une autorité qui a dû faire choc et qui encore montre l’importance des exemples qu’il donne.

Le premier exemple est une insulte. Pour frapper la joue droite il faut normalement frapper du revers de la main. En disant de tendre l’autre joue, Jésus interdit les représailles. Mais il s’agit d’une orientation pour celui qui a accepté les béatitudes et se trouve personnellement lésé. Ce n’est pas une interdiction de combattre le mal et ceci n’interdit pas de s’opposer dignement à une attaque injuste, comme il le fera lui-même lorsqu’il sera frappé par un valet à son procès (Jean 18,22).

Le deuxième exemple est quelque chose d’exorbitant. Celui qui veut prendre la tunique ne pourrait pas obtenir cela dans une cour de justice juive. L’exemple, avec son tour paradoxal, veut peut-être dire: donne à qui te demande même si tu pourrais légalement refuser sa demande.

Le troisième exemple, où la distance est en mesure romaine, pourrait être une demande d’un fonctionnaire ou d’un militaire romain. Elle peut signifier qu’il ne faut pas se dérober à qui est dans le besoin.

On pourrait conclure que l’aspect paradoxal de ces demandes souligne que la justice, pour ceux qui font partie du Royaume de Dieu, dépasse la justice humaine et la légalité. Pour ceux qui ont compris que l’accès au Royaume était dû à l’amour et à la générosité de Dieu, la justice doit parfois comprendre la générosité.

Jean Gobeil SJ