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2023/02/20 – Mc 9, 14-29

Jésus trouve ses disciples en train de discuter avec des scribes, entourés d’une grande foule. On saura plus loin la cause de cette discussion, mais le passage n’en dit pas la teneur. Pourtant, ce serait important d’avoir une idée du contenu de cette discussion, car, apparemment, c’est ce contenu qui met Jésus en colère quand il attaque sans distinction disciples et scribes, comme s’ils s’étaient rendus coupables de la même infraction : « Génération incrédule, jusqu’à quand serai-je auprès de vous? Jusqu’à quand aurais-je à vous supporter? »

Qu’est-ce qui met ainsi Jésus hors de lui, et surtout, pourquoi colle-t-il l’étiquette flétrissant de « génération incrédule » aussi bien à ses disciples qu’aux scribes? La seule façon de le savoir est de sortir du texte pour chercher dans les évangiles d’autres occasions où Jésus pique de ces colères bleues et emploie des expressions proches de « génération incrédule » pour stigmatiser ses adversaires. On se rend alors compte que cela se produit quand il est mis en demeure de produire un signe. Il refuse toujours de jouer ce jeu-là.

Ici, ce sont ses disciples qui ont été mis au défi de guérir un enfant possédé. Ils ont mordu à l’hameçon et ont voulu « performer », non pas pour soulager la misère du pauvre enfant tourmenté et de son père désespéré, mais d’abord et avant tout pour se donner en spectacle en rabattant le caquet à ces scribes arrogants. Mais le miracle ne se produit pas. Imaginez alors le contenu de la discussion. Les scribes s’en donnent à cœur joie : ils traitent les disciples d’imposteurs, de charlatans, comme leur maître. Et, bien évidemment, la foule qui assiste à la scène ne peut que donner raison aux scribes. C’est pourquoi quand Jésus arrive sur les lieux et demande : « De quoi discutez-vous? » Ce ne sont ni les disciples, ni les scribes qui répondent.

L’homme qui répond à la question et qui, durant tout ce temps, aurait dû, avec son fils malade, être le centre de l’attention des disciples, provoque une autre dynamique. Il oublie les disciples et les scribes qui, dans leur vaine querelle, ne s’étaient pas préoccupés de sa souffrance. « Maître, je t’ai amené mon fils… » En fait, il ne disqualifie pas les acteurs précédents : ils se sont disqualifiés eux-mêmes. Et Jésus remet à l’endroit ce qui était à l’envers. Il parle avec le père de l’enfant, sans se soucier de la présence des scribes. Il établit le diagnostic et raffermit la foi de ce pauvre parent éprouvé : « Tout est possible à celui qui croit ». Et le parent joint au plaidoyer pour son enfant une profession de foi : « Je crois! Viens au secours de mon manque de foi! »

Alors seulement, le miracle put avoir lieu. Avec une autorité parfaitement irrésistible, Jésus contraint l’esprit mauvais à libérer l’enfant : « Esprit sourd et muet, je te l’ordonne, sors de cet enfant et n’y rentre plus.» Après cet exploit, Jésus aurait pu se flatter la bedaine et ridiculiser les scribes en leur disant : « Voilà : j’y suis parvenu! » Mais il ne perd pas son temps en fanfaronnades. Il rentre à la maison avec ses disciples. Et quand ces derniers lui demandent pourquoi ils n’ont pas pu chasser cet esprit, il évite de tourner le fer dans la plaie. La réponse évidente aurait dû être : « Vous n’aviez pas l’intention droite! » Mais Jésus se contente de leur dire : « Ce genre d’esprit, rien ne peut le sortir que la prière. »

Melchior M’Bonimpa

2022/02/19 – MC 9, 2-13

Jésus, avec Pierre, Jacques et Jean, monte sur une haute montagne où il est transfiguré. Ses vêtements deviennent d’un blanc éclatant et unique. Élie et Moïse apparaissent et s’entretiennent avec Jésus. Pierre suggère de faire trois tentes pour Jésus, Moïse et Élie. Il ne savait pas quoi dire tant il était effrayé. Une nuée les couvre de son ombre et une voix s’adresse aux disciples: Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Écoutez-le. Soudain, il n’y a plus que Jésus qui leur donne la consigne du silence avant que le Fils de l’homme soit ressuscité. Les disciples posent une question sur la venue d’Élie avant celle du Messie. Jésus répond qu’il est déjà venu et qu’il n’a pas été reçu.

Les trois disciples que Jésus a choisis pour l’accompagner ont déjà eu le privilège d’assister à la résurrection de la fille de Jaïre. Ils ont besoin d’être éclairés et raffermis car ils seront aussi les témoins de l’agonie du Christ. (Marc 14,33)

Cette scène apporte une révélation importante dans l’évangile de Marc qui jusqu’ici avait souligné la question: Qui est cet homme? D’abord on était frappé parce qu’il parlait avec autorité, c’est-à-dire comme quelqu’un qui avait une connaissance des choses de Dieu comme nul autre.(1,27) Tous sont stupéfaits de le voir guérir un paralysé mais d’autres, en même temps, se demandent comment peut-il oser déclarer que les péchés sont pardonnés .  (2,12) Comment peut-il se permettre de manger avec les publicains et les pécheurs. (2,16) Même les disciples frissonnent et se demandent: Qui est donc celui-là que même le vent et la mer lui obéissent? (4,41) L’identité que les gens de Nazareth connaissent, le charpentier, le fils de Marie, n’explique pas cette sagesse qu’il possède. (6,3) On essaie de le définir: c’est un prophète comme les autres, c’est Élie, c’est un nouveau Jean Baptiste (pour Hérode). (6,14; 8,28) Finalement, à la question posée par Jésus, c’est Pierre qui répond au nom des Douze: Tu es le Christ. C’est le titre pour caractériser un envoyé de Dieu pour libérer et sauver. Jésus accepte le titre mais immédiatement le clarifie en déclarant que sa mission passe par la Passion.

Or, la scène aujourd’hui vient révéler un aspect caché et très important, celui de Fils de Dieu. Cette révélation était déjà venue du ciel au moment du baptême de Jésus. A ce moment-là, elle n’était pas adressée à la foule, ni même aux disciples mais à Jésus lui-même: “Tu es mon Fils bien-aimé, tu as toute ma faveur.” C’était la confirmation de sa mission. Ici, la parole est adressée aux disciples: “Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Écoutez-le.” Celui qui est le Messie qui vient libérer et sauver, c’est le Fils de Dieu lui-même. Sa véritable identité est cachée dans son humanité mais elle est là, bien réelle et agissante. D’où l’injonction: Écoutez-le. Accueillez ses paroles; acceptez sa mission telle qu’il la vit. Ce sont les paroles et les actions du Fils de Dieu.

C’est évidemment seulement après la Résurrection que toute cette dimension sera perçue par les disciples. Pour le moment, c’est la vision de Jésus en gloire, la révélation de sa divinité. Pour cela, on accumule les éléments qui sont révélateurs de la présence divine dans de telles occasions. Jésus et ses disciples sont montés sur une haute montagne: la montagne est un lieu de rencontre de Dieu comme pour Moïse au Sinaï et Elie à l’Horeb. Jésus est métamorphosé, dit le grec, devant ses disciples. Ses vêtements, qui représentent sa personne, deviennent resplendissants d’une blancheur sans pareille. Les vêtements blancs sont le signe des élus en présence de Dieu comme la luminosité est le signe de la gloire de Dieu qui accompagne l’ange du Seigneur lorsqu’il annonce la naissance de Jésus aux bergers. La présence de Moïse rappelle la présence de Dieu au Sinaï, le don de l’Alliance, la Loi, tandis qu’Élie représente les prophètes. Jésus amène à la perfection la Loi et les Prophètes.

Pierre est saisi de crainte. Cette crainte revient dans les expériences de la présence de la divinité. Il voudrait garder cette présence et fait une suggestion naïve de trois tentes pour garder les trois personnages. Une nuée vient les couvrir. La nuée dans l’Exode était le signe de la présence de Dieu qui guidait et protégeait son peuple. Elle est comme l’ombre qui est venue sur Marie au moment de l’Incarnation. C’est de cette présence que vient la parole: “Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Écoutez-le.”

Ils redescendent de la montagne. C’est le retour à la vie normale et parfois brutale. C’est l’endroit aussi où vivent les lecteurs de Marc à Rome dans des temps difficiles. C’est là qu’on répond à la demande: “Écoutez-le.”

P. Jean Gobeil SJ

2022/02/18 – Mc 8, 34 – 9,1

A la foule et aux disciples Jésus dit que pour être son disciple il faut accepter de perdre sa vie et de porter sa croix; c’est la seule façon de sauver sa vie. Si quelqu’un a honte de témoigner du Christ et de ses paroles, le Christ à son tour aura honte de lui quand il viendra dans la gloire de son Père. Jésus prédit que certains verront le Règne de Dieu venir avec puissance avant leur mort.

Après la confession de Pierre reconnaissant que Jésus est le Messie, ce dernier a précisé, pour ses disciples, quelle sorte de Messie il était. Il a annoncé son arrestation par les autorités religieuses, son exécution et sa résurrection.

Et maintenant, selon Marc, Jésus s’adresse non seulement à des disciples mais aussi à toute une foule. Cette foule, en territoire païen, et venue de nulle part, est un procédé de Marc pour introduire ce que les commentateurs appellent une catéchèse à l’adresse de tout chrétien qui veut être un disciple du Christ.

L’annonce de la Passion est importante. Elle vient renverser toutes les croyances populaires à propos du Messie. Il faudra que Jésus la répète encore deux fois pour ses disciples, avec peu de succès d’ailleurs. C’est pour cela que Marc veut tout de suite souligner ce que doit être la condition de disciple.

Le disciple doit être prêt à suivre son maître. Il doit être prêt à prendre sa croix, ce qui évoque l’idée d’accepter de donner sa vie. Il doit aussi être prêt à témoigner du Christ en dépit des dangers et des épreuves que cela peut susciter. La fidélité est une condition nécessaire. C’est la seule façon de sauver sa vie réelle.

La remarque finale que certains verront le Règne de Dieu venir avec puissance avant leur mort, peut avoir différentes interprétations. On peut penser à la résurrection puisque Paul emploie des termes semblables pour en parler:

Le Christ Jésus….établi Fils de Dieu avec puissance par sa résurrection des morts…. (Rom.1,2)

P. Jean Gobeil SJ

2022/02/17 – Mc 8, 27-33

Jésus est au nord, dans le territoire païen des sources du Jourdain. Il demande à ses disciples qu’est-ce que les gens disent de son identité. On l’identifie avec Jean Baptiste, ou Élie, ou un des prophètes. Il leur demande: Pour vous, qui suis-je?  Pierre répond: Tu es le Messie. Jésus leur recommanda sévèrement de n’en parler à personne. Pour la première fois, il leur annonce la Passion et la résurrection. Pierre prend Jésus à part et le reprend vivement pour ses paroles. Mais Jésus, voyant les autres disciples, ordonne sévèrement à Pierre de se mettre à sa suite plutôt que de lui faire obstacle.

Marc a déjà donné les opinions au sujet de Jésus. Hérode pensait qu’il était un nouveau Jean Baptiste; les gens croyaient qu’il était Élie, supposé précéder la venue de Dieu dans son temple; d’autres disaient qu’il était un prophète, c’est-à-dire un envoyé de Dieu. (Marc 6,14) Les disciples répètent ces opinions. Ils ne parlent pas de ce qui est négatif. Ils ne disent pas que pour les Pharisiens Jésus est une menace pour la Loi; pour les Sadducéens, il est un danger pour le Temple; pour les Hérodiens, il est un nouveau risque comme l’était Jean Baptiste.

Jésus pose une nouvelle question, cette fois, aux disciples eux-mêmes: Pour vous, qui suis-je? C’est une question qui interpelle non seulement les disciples mais aussi les lecteurs de l’évangile. C’est Pierre qui répond pour le groupe: Tu es le Messie. C’est plus qu’un prophète. Il est le prophète, celui qui a été consacré par Dieu pour ouvrir les temps messianiques, les temps du Règne de Dieu, celui dont Moïse avait annoncé la venue. C’est un titre qui a l’avantage de souligner le caractère unique de Jésus mais il n’exclut pas des aspects politiques ni des aspects de domination glorieuse. Pour Pierre, en tout cas, il ne comprend ni la souffrance ni l’échec. Quand Jésus dévoile cet aspect, Pierre le prend un peu à part et le gronde ou le blâme de parler ainsi. Comme Pierre avait parlé pour les Douze, Jésus le reprend-vivement (même verbe) devant les autres. Si on est un disciple de Jésus, on ne peut pas laisser de côté la Passion: elle fait partie de sa mission.

Pour les chrétiens de Rome, comme pour les lecteurs de Marc aujourd’hui, la Passion du Christ fait partie de sa victoire sur la mort. On ne peut ni l’oublier ni la laisser de côté.

P. Jean Gobeil SJ

2022/02/16 – Mc 8, 22-26

Dans le village de Bethsaïde, on amène à Jésus un aveugle et on le supplie de le toucher. Jésus le prend par la main et l’amène hors du village. Il lui mit de la salive sur les yeux et lui imposa les mains. L’aveugle commence à voir mais sa vision est floue. Une seconde fois, Jésus impose les mains sur ses yeux. L’aveugle est guéri et voit normalement.

Bethsaïde était le village d’origine de Pierre, André et Philippe. C’était le commencement du territoire d’Hérode Philippe, un territoire à majorité païenne. C’est juste à côté de ce village que Philippe avait bâti sa capitale. Donc Jésus est encore une fois en mission en territoire païen.

Quand Jésus arrive dans ce village, on lui amène un aveugle et on le supplie de le toucher. Marc aime à souligner l’intervention de ceux qui supplient Jésus de guérir un malade. Jésus accepte aussitôt sans poser de question. On l’a vu pour la guérison de la belle-mère de Pierre, puis pour le paralytique que les gens font descendre du toit devant lui. Jésus ne résiste pas à une prière d’intercession.

Ici, il est particulièrement prudent pour éviter les manifestations de la foule. Il prend l’aveugle par la main pour l’amener à l’écart. Il touche alors les yeux de l’aveugle avec de la salive, un geste de guérison connu à l’époque. Mais il ajoute une imposition des mains. C’est ce geste que Jaïre avait demandé pour sa petite fille. Mais la guérison, ici, va se faire en deux phases. L’homme commence à voir, mais sa vision est floue: il voit des hommes qui sont comme des arbres qui bougent. Jésus impose les mains une seconde fois et alors l’homme est complètement guéri. Et Jésus lui interdit d’en parler: il ne veut même pas qu’il retourne dans le village.

Ce récit ne se retrouve que dans Marc. Y voyait-il une leçon spéciale, à part celle de l’intercession en faveur de l’aveugle? Si on tient compte du fait que ce récit a été placé juste avant la profession de Pierre, on peut voir un avertissement pour la foi des chrétiens. Pierre va confesser que Jésus est le Messie mais sa vision du Messie, elle aussi, est plus que floue. Elle ne contient pas la vision de la Passion. Il faudra qu’il chemine longtemps avec le Christ pour accepter que la victoire sur la mort passe par la Passion et qu’il ait une vision parfaite. Marc peut bien penser que c’est la même chose pour la foi des chrétiens de Rome et pour la foi de tous les chrétiens. La foi, pour grandir, doit être accompagnée d’un cheminement avec le Christ.

P. Jean Gobeil SJ 

2022/02/15 – Mc 8, 14-21

Les disciples n’ont avec eux qu’un seul pain dans la barque. Jésus leur dit de prendre garde au levain des pharisiens. Mais les disciples discutent sur leur manque de pain. Jésus leur reproche de ne pas comprendre, de ne pas voir, de ne pas entendre. Il leur rappelle les restes de la première multiplication des pains puis de la seconde. Puis il leur demande s’ils comprennent.

La première multiplication des pains avait été suivie d’un renvoi de la foule puis d’une discussion avec les Pharisiens et des scribes venus de Jérusalem sur les pratiques de purification avant les repas. La seconde multiplication des pains est suivie d’une confrontation avec les Pharisiens qui réclament un signe venant du ciel. Pour eux, il ne s’agit pas de croire au Messie mais bien d’avoir un genre de preuve qui les dispenserait de la foi. Le Messie doit être imposé de force par Dieu. Ce n’est peut-être pas par hasard que Marc montre cette absence de foi: les chrétiens persécutés peuvent être tentés de réclamer de Dieu un triomphateur sur les forces du mal.

Les Pharisiens réclament donc un signe dans le ciel. Jésus les laisse là et va continuer sa mission ailleurs. C’est alors qu’il prévient les disciples de se méfier du levain des Pharisiens. Matthieu ajoutera, à la fin, l’explication du levain: il ne s’agit pas du levain avec lequel on fait le pain mais de l’enseignement des Pharisiens. La figure du levain est celle de quelque chose qui peut être bon pour faire lever la pâte mais qui peut aussi être nocif comme une source de corruption.

Marc n’explique pas. Les disciples devraient voir dans les multiplications des pains le signe d’autre chose que le pain matériel et cesser de se préoccuper avec le seul pain matériel qu’ils ont. Il se concentre donc sur les apostrophes de Jésus à ses disciples pour leur reprocher de ne pas voir, de ne pas comprendre, de n’avoir pas d’oreilles pour entendre. Cela rappelle les paroles de Dieu devant le cœur endurci de son peuple.

Marc traite durement les disciples dans son évangile. Jésus leur répète qu’ils n’ont pas de foi, qu’ils sont lents à croire. Cela tient peut-être à la source que Marc avait: si Pierre est la source on peut comprendre qu’il ne devait pas être tenté de se valoriser ou de valoriser les disciples. Mais cela peut faire partie de l’intention de Marc: il veut réveiller la foi de ses auditeurs. Il veut leur rappeler que la foi n’est pas une chose facile. Croire, c’est accepter et accueillir quelqu’un. Accepter quelqu’un, c’est accepter qu’il soit différent, qu’il ait des idées qui ne sont pas les nôtres. C’est accepter une personne avec sa zone du mystère qui lui est propre. Accueillir, c’est respecter ces différences; c’est ne pas essayer de limiter l’autre à la dimension de ses désirs propres ou de ses besoins. Croire, c’est une dimension qui n’est jamais terminée.

P. Jean Gobeil SJ 

2022/02/14 – Lc 10, 1-9

Avons-nous ici une simple répétition de ce qui précède immédiatement à 9,1-6, où Luc rapporte l’envoi en mission des douze apôtres? Pourquoi un autre envoi en mission, même si celle-ci est plus développée que la précédente ?

Remarquons tout d’abord que ce sont ici des disciples, non les apôtres, que Jésus charge de cette mission. Ils sont soixante-douze, nombre qui signifie l’universalité des nations (d’après l’énumération de Gen 10,2-31). Les disciples représentent tous les chrétiens de l’avenir, qui recevront eux aussi la fonction d’évangéliser le monde. Dieu, dans son amour, veut que tous les peuples et tous les humains soient sauvés. Luc insiste sur cet universalisme du salut, lui qui est d’origine grecque, donc païenne. Cette mission des 70 (ou 72) disciples annonce le Livre des Actes, le second volet de l’ouvrage de Luc, qui décrira le début de cette évangélisation universelle. Notons que, dans les Actes, les principaux acteurs de l’évangélisation, à part Pierre, ne sont pas les douze apôtres, mais Étienne, Philippe, Barnabé et Paul, qui sont des disciples et qui appartiennent probablement au groupe des Hellénistes.

Ce nombre rappelle également les 70 anciens (72, avec les deux qui reçurent l’Esprit, même s’ils n’assistèrent pas à l’assemblée dans la tente de la rencontre), que Moïse, sur l’ordre de Dieu, choisit comme ses assistants et qui reçurent l’Esprit du Seigneur pour remplir leur fonction (Ex 24,1ss; Nomb 11,24-30). Ce groupe de 70 anciens préluda au Sanhédrin qui, présidé par le grand prêtre, régissait Israël depuis le retour de l’Exil jusqu’au temps de Jésus.

Continuer la mission de Jésus

Les évangiles de Matthieu (28,16-20), de Luc (24,48s ; comp. Act 1,8) et de Jean (20,21) attestent que c’est le Seigneur ressuscité qui envoie solennellement en mission tous les siens. Ils doivent proclamer la victoire du Ressuscité sur la mort, sa vie glorieuse et la transmettre par le rite du baptême à tous ceux et celles qui l’accueilleront dans la foi.

Que signifie alors le présent envoi en mission des disciples, précédé par celui des apôtres ? Les trois évangélistes veulent montrer ainsi que l’évangélisation par les chrétiens de tous les temps s’enracine dans le ministère même de Jésus. C’est la mission du Christ Jésus qui se prolonge dans celle de ses disciples. Ce n’est donc pas une fonction reçue de l’extérieur, même si elle provient du Seigneur ressuscité.

Mission difficile

À la suite du Christ, ses disciples ont le devoir d’annoncer que le Règne de Dieu est tout proche. La Source de la vie et de la paix vient habiter au milieu de ses fidèles. Cette proclamation est tellement importante qu’on ne peut se laisser distraire et retarder, en particulier par les longues salutations coutumières en Orient. Les disciples vont deux par deux, car il faut deux témoins pour attester la vérité. Ils parcourent « toutes les villes et localités où lui-même (le Christ) devait aller. » Seule la rencontre personnelle avec le Seigneur établit l’union et la communion qui transmet la vie.

Le préalable à l’union au Christ est la guérison de tout mal, qu’il soit physique ou moral. En communiquant la vie, le Seigneur, par ses disciples, guérit l’humanité croyante de l’esclavage qu’elle s’est infligée par ses péchés d’injustice et d’égoïsme. Dans le Royaume de Dieu, tous les élus resplendissent de liberté, d’amour et de gloire.

Tâche impossible

La moisson représente traditionnellement le rassemblement des justes, qui couronnera l’histoire humaine. Les obstacles à une telle mission sont nombreux et, apparemment, insurmontables. Annoncer au monde entier l’Évangile est une tâche impossible pour le nombre infime des ouvriers. C’est uniquement la prière qui obtiendra de nombreuses vocations, non pas seulement de prêtres, de religieux et de religieuses, mais de tout chrétien qui prend conscience de la mission qu’il a reçue à son baptême et à sa confirmation.

L’accueil réservé à ces missionnaires ne sera pas toujours encourageant. Jésus compare ses disciples à des agneaux qui rencontreront l’hostilité des loups. Pour affronter de tels adversaires, Jésus dépouille ses fidèles de tout secours humain : « Pas d’argent, ni sac, ni sandales. » Réduit à une pauvreté radicale, ces missionnaires ne peuvent qu’espérer et compter sur le secours de leur Seigneur.

Dans les quelques décennies récentes, notre Église a subi un dépouillement complet. Le Seigneur nous a montré que la richesse et le prestige sont une illusion. Une Église riche, fortement structurée et puissante ne convertira jamais le monde. Les nombreuses vocations au sacerdoce et à la vie religieuse ont diminué radicalement. L’autorité ecclésiastique a perdu son prestige dans l’ensemble de la société. Les richesses du clergé et des communautés religieuses se dissipent. Nos sanctuaires, désertés, sont devenus un patrimoine lourd à porter. Le triomphalisme n’a plus de base pour se motiver.

Selon les normes de notre société, qui n’apprécie qu’une efficacité mesurable par des résultats tangibles, notre Église s’orienterait vers une pauvreté, qui serait proche de sa disparition. Et pourtant ! Ce dépouillement progressif ne serait-il pas un signe des temps pour nous ramener à l’état de dépouillement que le Seigneur a voulu pour ses disciples en mission ?

Conclusion

Deux signes des temps s’imposent à nous : l’appauvrissement de l’Église et la rareté des vocations sacerdotales et religieuses. Tout signe des temps porte l’empreinte de la volonté de Dieu. La pauvreté nous ramène aux normes dictées par le Christ à ses missionnaires. Le succès viendra de Dieu seul.

La rareté des vocations traditionnelles oblige notre Église à délaisser le cléricalisme, qui concentrait toutes ses activités dans les mains des prêtres et des religieux. Le Seigneur veut que chaque chrétien et chaque chrétienne prenne vivement conscience de sa responsabilité personnelle, que chacun et chacune est appelé à œuvrer dans le champ de ce monde, à la moisson de Dieu.

P. Jean-Louis D’Aragon SJ 

2021/02/20 – Lc 5, 27-32

Jésus voit un collecteur d’impôts du nom de Lévi assis à son bureau de publicain. Il lui dit : Suis-moi. Et il se mit à le suivre. Il offrit un grand repas pour Jésus. Il y avait de nombreux publicains comme invités et d’autres gens aussi. Les pharisiens et les scribes protestaient auprès des disciples parce qu’ils mangeaient avec des publicains et des pécheurs. Jésus leur répondit que ce n’était pas les gens en bonne santé qui avaient besoin du médecin, mais les malades et qu’il était venu appeler à la conversion non pas les justes mais les pécheurs.

La première partie du récit décrit l’appel d’un disciple à suivre Jésus et sa réponse est immédiat. Il se mit à le suivre. Le temps du verbe utilisé par Luc (imparfait) indique que la réponse n’a pas été seulement l’affaire d’un moment précis, seulement à cette occasion, mais bien qu’il est devenu quelqu’un qui suivait Jésus, qui était un disciple. Mais le point qui attire l’attention est la profession de ce Lévi : il est un collecteur de taxe. Il est à Capharnaüm, assis à son bureau à l’extérieur, et collecte vraisemblablement des frais de douane pour les denrées qui viennent de la Syrie et pour le poisson qu’on exporte.

Les publicains, à cause de leurs contacts avec toutes sortes de gens et avec des étrangers, sont considérés comme impurs par les Pharisiens. Ils sont mis dans le même sac que les pécheurs publics et sont en marge de la société. Il faut éviter de les fréquenter et il n’est pas question de s’associer à eux dans une occasion aussi intime qu’un repas. Jésus fait donc quelque chose d’exceptionnel en introduisant parmi ses disciples un publicain.

Or, pour Luc, dont les auditeurs sont des grecs, c’est-à-dire des païens convertis, ces différentes sortes de marginaux, plus ou moins exclus de la société juive, ont eu une place importante dans la vie de Jésus. Comme les autres évangélistes, il mentionnera tous ces malades impurs que Jésus laisse approcher et même ce lépreux que Jésus touchera. Mais il aura ces exemples qu’il est seul à mentionner. Il y aura Zachée, de Jéricho, ce publicain très riche, qu’il fera descendre de son arbre pour aller chez lui. Il y aura ce Samaritain que Jésus choisit comme exemple de charité dans une parabole. Pour les Juifs, il n’y a pas de bon Samaritain : ils sont tous des hérétiques. Il y aura ce centurion de Capharnaüm, un païen, dont le serviteur est malade. Luc souligne qu’il doit être vraiment bon pour avoir payé pour la construction de la synagogue. Il y a enfin une catégorie de personnes qui ne sont pas exclues de la société mais qui ne sont pas très importantes et qui ne seraient pas admises à suivre un rabbin : des femmes. Non seulement Luc mentionne ces femmes qui suivaient Jésus mais encore il donne leurs noms et ajoutent qu’elles les assistaient de leurs biens. Il les mentionne au Calvaire en ajoutant qu’elles avaient suivi Jésus depuis la Galilée … comme les autres disciples. On les retrouve à surveiller la sépulture de Jésus. Elles seront les premières à annoncer la résurrection aux autres disciples. Au calvaire, il y avait le bon larron à qui Jésus avait déclaré : En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis.

La seconde partie de notre texte parle de Lévi. Il veut célébrer son appel à être disciple. Il offre un grand festin à Jésus. Ses invités sont évidemment des gens qu’il pouvait fréquenter : d’autres marginaux et des publicains. C’est ce qui amène la troisième partie du texte, la controverse.

Des Pharisiens et des scribes se rendent compte que Jésus mange et boit avec des gens qu’il ne convient pas de fréquenter. Ils protestent auprès des disciples. Jésus lui-même leur répond d’abord en se comparant à un médecin qui va auprès des malades. Puis il ajoute une déclaration qui révèle le cœur de sa mission : Je suis venu appeler non ps les justes mais les pécheurs pour qu’ils se convertissent.

Il répètera cela à la fin de l’épisode de Zachée, cet autre publicain chez qui il s’était invité à manger : Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. (Luc 19, 10)

Jean Gobeil SJ 

 

2021/02/19 – Mt 9, 14-15

Des disciples de Jean Baptiste viennent demander à Jésus pourquoi ses disciples ne jeûnent pas comme eux et comme les Pharisiens. Jésus répond que sa présence a priorité sur des pratiques de pénitence.

Il y avait des jeûnes obligatoires pour les Juifs à certains moments de l’année. Mais les Juifs pieux pouvaient aussi pratiquer des jeûnes occasionnels. Le jeûne, la prière et l’aumône constituaient trois pratiques religieuses importantes: elles sont mentionnées dans le sermon sur la montagne. Les Pharisiens et les disciples de Jean avaient aussi leurs jours de jeûne propres à leur groupe.

Les disciples de Jean Baptiste sont probablement agacés par le contraste entre la façon de vivre de Jésus et celle de leur maître. Jean Baptiste qui se présente comme un ascète sorti du désert proclame avec sévérité l’approche d’un jugement alors que Jésus et ses disciples ne refusent pas les repas qu’on leur offre.

La réponse de Jésus est de dire que sa présence est comme celle de l’Époux: c’est un temps de noces et de réjouissance. Lorsqu’il ne sera plus visiblement présent, on pourra revenir à ces pratiques que Jésus évite ainsi de condamner. Pourtant, juste après notre texte, l’image qu’il emploie du vin nouveau qui ne doit pas être mis dans de vieilles outres sinon et le vin et les outres sont perdus peut diminuer l’importance du jeûne. Cela pourrait justifier les églises primitives de ne pas donner autant d’importance que les Juifs à la pratique du jeûne. L’Époux est visiblement absent mais il a assuré les disciples de sa présence.

L’accueil de cette présence demeure plus important que des pratiques particulières.

Jean Gobeil SJ 

 

2021/02/18 – Lc 9, 22-25 – Ste Bernadette Soubirous

La première lecture aujourd’hui reproduit l’exhortation divine qui conclut les cinq livres de la Loi, le Pentateuque (Deut 30, 15-20). Après avoir décrit en détail les préceptes qui expriment sa volonté, le Seigneur dit qu’il offre deux chemins à son peuple et à tout être humain: celui du bonheur et de la vie ou celui du malheur et de la mort. Les préceptes de la Loi n’ont pas pour but de condamner ou d’humilier l’homme, mais de l’éclairer sur la voie du bonheur et de la vie, en l’associant à la volonté de Dieu. Ce projet divin vise uniquement l’épanouissement et la joie de son peuple. Après avoir indiqué les deux voies possibles, le Seigneur lance cet appel d’amour : « Choisis donc la vie pour que vous viviez, toi et ta descendance , en aimant le Seigneur ton Dieu et en écoutant sa voix. »

Mais ce chemin du Seigneur paraît rebutant, alors que la désobéissance pour défendre son autonomie séduit l’humanité. C’est la tentation que le monde fait sans cesse miroiter: l’argent et les plaisirs. Telle est la voie large et facile, mais Jésus nous affirme qu’elle ne mène pas au Royaume de Dieu, elle conduit, au contraire, à sa perte celui qui la prend. Le chemin du Christ, suivant la volonté de son Père, c’est celui qui va vers la croix. Quelle stupidité apparente!

Première annonce de la Passion

Jésus prévoit et annonce ici pour la première fois la fin tragique de sa mission. Cette prédiction se situe après la proclamation de Pierre que Jésus est le Messie. Mais quel Messie? Un chef militaire, victorieux des Romains, celui qui libérera son peuple de l’humiliation et de la servitude? Le Christ répondrait ainsi à l’espoir de Pierre et du peuple d’Israël. Ce serait la voie large et facile, celle que le diable proposait à Jésus dans l’ultime tentation, lorsqu’il lui offrait tous les royaumes du monde et leur gloire (Mt 4, 8-10).

Jésus est lucide et prévoit l’issue tragique de son ministère. L’exécution de Jean Baptiste lui montre le sort qui l’attend. Les autorités de Jérusalem se préoccupent et s’inquiètent à son sujet. Ils ont envoyé des docteurs de la Loi pour scruter son enseignement et pour juger ses actions. Jésus s’est montré libre à l’égard des traditions que les Pharisiens ont multipliées pour protéger le peuple des influences païennes, mais le fardeau de ces traditions étouffent les gens. Le Christ veut libérer son peuple et il critique ces traditions au point d’irriter ses adversaires, qui ne voudront pas le tolérer longtemps.

« Le Fils de l’homme » est ce personnage glorieux envoyé par Dieu pour sauver son peuple soumis à la persécution du roi Antiochus Épiphane, l’an 167 av. J.C. (Daniel, 7, 13s). Jésus s’attribue ce titre et affirme par là qu’il est le Sauveur d’Israël, l’espérance de son peuple. Mais Dieu veut sauver son peuple et toute l’humanité d’une manière déconcertante, par « la folie de la croix », dira saint Paul (1 Cor 1,18). « Les anciens, les chefs des prêtres et les docteurs de la loi », c’est-à-dire le Sanhédrin, l’autorité suprême, l’élite entière d’Israël le condamnera. Mais la mort ne sera pas l’issue finale, dans laquelle sombrerait le Christ. L’humanité pécheresse et homicide n’aura pas la victoire finale. De la mort, Dieu ramènera « le Fils de l’homme » et tous les siens dans la gloire d’une vie nouvelle.

Disciples du Fils de l’homme

Après cette annonce de sa passion, Jésus s’adresse « à tous », donc à nous aujourd’hui, et non pas seulement à ses disciples. Pour nous sauver, le Christ nous incorpore comme ses membres dans sa personne. Dans la prophétie de Daniel, c’est « le peuple saint », celui qui participe à la sainteté de Dieu, que « le Fils de l’homme » vient sauver de la persécution et de la mort.
Cette union de chacun de nous avec « le Fils de l’homme » a pour conséquence notre participation à sa destinée, à la route étroite et difficile qu’il a parcourue. La croix du Christ, au terme, signifie le dénuement complet, le renoncement à tout pour être libre d’accueillir l’amour de Dieu. Cette conversion, qui consiste à renoncer à tout ce qui nous détourne du chemin qui nous conduit vers Dieu et nous élève à Lui, se réalise peu à peu, « chaque jour ». C’est la croix qu’il faut porter sans cesse jusqu’au don total et final de soi-même, pour répondre à l’amour divin.
Jésus remet sous nos yeux les deux voies qui s’offre à chacun(e) de nous. « Sauver sa vie », c’est se cramponner à ce qu’on pense posséder présentement, aux biens qu’on accumule pour s’enfermer dans une apparente sécurité. C’est se contenter des plaisirs superficiels, de tout ce qui passe si vite, que la mort montrera comme vanité et fumée. Se replier sur soi-même, penser « sauver sa vie », c’est la perdre. Cultiver l’égoïsme. C’est s’enfermer dans sa solitude, dans une sclérose qui aboutit à la mort définitive. À François Xavier qui cultivait l’ambition de devenir un éminent universitaire, Ignace de Loyola répétait souvent l’avertissement du Christ: « Que sert à l’homme de gagner le monde entier, s’il se perd lui-même? » Ce rappel salutaire qui provoqua la conversion de François!

Nous sommes des pèlerins sur cette terre, des voyageurs, qui ne peuvent ni s’arrêter, ni s’installer, ni surtout se noyer dans la vie présente. Que nous le voulions ou non, le temps nous entraîne, nous avançons sans souvent nous en rendre compte. Serait-il sage de marcher sans connaître la fin du voyage et, surtout, sans prévoir le but de notre pèlerinage ?

Jean-Louis D’Aragon SJ