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2023/03/18 – Lc 18, 9-14

“C’est scandaleux !”

Telle a dû être l’exclamation des auditeurs de Jésus à l’audition de cette parabole. Comment ? Ce pharisien est un homme religieux fervent, qui appartient à une secte observant rigoureusement les moindres commandements de Dieu. Par cette rigoureuse observance, il communie à la volonté de son Maître et Seigneur. Il est ce qu’on appellerait aujourd’hui un croyant pratiquant et respectant les enseignements de l’Église.

En face de ce “saint”, se trouve son opposé, un misérable publicain, ce mécréant douanier, qui pressure et exploite le peuple, De plus, il collabore avec l’ennemi, ces Romains détestés, qui occupent la Terre Sainte d’Israël. Il fait partie d’une pègre financière, haïe et méprisée de tous. Le peuple estime le premier comme un modèle de sainteté, tandis qu’il stigmatise le second comme un pécheur public.

En conclusion de sa parabole, Jésus a l’audace d’annoncer que ce misérable publicain sort du Temple en communion avec Dieu ; il est un “juste”. Au contraire, le pharisien s’en va chez lui, séparé de Dieu, dans une condition de pécheur. Après une conduite rigoureusement conforme à la volonté de Dieu, il n’entrerait pas dans le Royaume de Dieu ? Quant au publicain, il lui suffit de se frapper la poitrine en avouant tout bas qu’il est pécheur, pour devenir disponible pour accueillir le Royaume. Le Christ confirmera ce jugement déconcertant par une déclaration solennelle : “Je vous le déclare, c’est la vérité: les collecteurs d’impôts et les prostituées arriveront avant vous dans le Royaume de Dieu.” (Mt 21, 31)

“Scandale” lumineux !

Comment Jésus peut-il justifier une déclaration aussi déconcertante ? Elle doit être très importante puisqu’il recourt à l’introduction solennelle, “En vérité je vous le déclare…” Pour comprendre la pensée de Jésus, examinons la prière du pharisien. Il s’adresse à Dieu, mais sans s’adresser vraiment à lui ; il se regarde sans cesse lui-même, c’est le “je” qui commande chaque phrase: “Je te remercie” (deux fois), “je jeûne”, “je te donne”. De plus, quel est le contenu de sa prière ? Il étale ses “bonnes actions” : “Je ne suis pas comme le reste des hommes”; “Je ne suis pas comme ce collecteur d’impôts”; “Je jeûne deux fois par semaine et je te donne le dixième de tous mes revenus.” Il fallait une volonté forte pour observer les moindres détails de la Loi. Ce pharisien est fier de ses prouesses. Il étale ses hauts faits en accord avec la Loi, il se complaît en lui-même et s’admire. Son regard n’est pas tourné vers Dieu, mais vers sa propre personne. Parfait à ses yeux, il s’enferme en lui-même, incapable de s’ouvrir au don gratuit de Dieu.

L’égoïsme du pharisien l’amène à s’arroger le droit de juger les autres. Satisfait de lui-même, il méprise les autres qui n’observent pas la Loi comme lui. “Je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont voleurs, mauvais et adultères, … je ne suis pas comme ce collecteur d’impôts.” Comme il est tentant de mépriser les autres quand on s’estime purs et parfaits !

En comparaison du pharisien, qu’est-ce que le publicain peut offrir pour justifier l’éloge du Christ ? Rien ! Mais il sait, il ne s’illusionne pas, il constate qu’il ne vaut rien : “Je suis un pécheur.” Son attitude manifeste combien il a conscience de sa pauvreté : il se tient à distance, il n’ose même pas lever les yeux vers le ciel, il répète en se frappant la poitrine, “Ô Dieu, aie pitié de moi.” Ce publicain ne se regarde pas, car il n’a en lui aucun signe d’espérance. Désespéré de lui-même, il cherche en Dieu seul une lueur d’espoir. Il est ouvert à l’intervention miséricordieuse de Dieu. Il se range parmi les pauvres de la béatitude fondamentale, la première, ceux qui comprennent que rien en nous-mêmes peut nous procurer le bonheur. Notre seule garantie de vivre se trouve dans l’amour de Dieu, qui donne gratuitement.

Jésus répète à diverses reprises que, pour être grand, pour obtenir la vie et le bonheur, il faut se faire petit comme un enfant, se mettre au service des autres et leur laver les pieds comme il s’est abaissé lui-même devant ses disciples.

Jean-Louis D’Aragon SJ

2023/03/17 – Mc 12, 28b-34

Un scribe sympathique

Après la rencontre polémique de Jésus avec les Pharisiens et les Hérodiens, sur le paiement du tribu à César, et la controverse avec les Sadducéens, sur la résurrection, le climat change et devient plus serein. Le docteur de la loi qui interroge Jésus a été bien impressionné par la réponse du Christ aux Sadducéens (12,24-27) et il se montre disposé à entendre Jésus.

Mais sa question surprend de la part d’un spécialiste des Écritures, car il devait en connaître la réponse. Cependant, la multiplication des préceptes entraînait les rabbins de cette époque à discuter indéfiniment sur l’importance relative de ces nombreuses lois. Ils en avaient recensé 613, correspondant aux 365 jours de l’année et les 248 parties formant l’ossature du corps humain. Le juif pieux se plaçait donc tout entier, chaque jour de l’année, sous la volonté de Dieu exprimée dans la Loi.

Cet ensemble de 613 commandements s’est transmis jusqu’à nos jours dans le Judaïsme. Établir une hiérarchie entre tous ces commandements préoccupait à juste titre les écoles juives de l’époque. On comprend qu’un discernement s’imposait pour ne pas verser dans une morale écrasante et compliquée.

La question du docteur de la Loi peut avoir une double signification : ou bien le scribe cherche à distinguer, comme les autres rabbins, entre les grands et les petits commandements ; ou plutôt, il voulait connaître le principe central et suprême d’où toutes les lois découlaient.

Aimer Dieu

La réponse de Jésus s’inspire de la prière quotidienne chez les Juifs, « Schéma, Israël, … »: « Écoute, Israël, le Seigneur est unique… » Pourquoi adorer un seul Dieu, alors que les nations païennes autour d’Israël avaient toujours vénéré de nombreux dieux et déesses? Si on adore plusieurs divinités, on s’identifie d’une certaine manière à chacun et à chacune d’entre eux ou elles. Par l’adoration, on devient peu à peu l’objet qu’on vénère, on s’identifie à ce qu’on adore. Si notre vénération et notre amour se dispersent sur plusieurs divinités, nous nous divisons nous-mêmes et nous glissons vers notre propre destruction. L’adoration et la confiance au Dieu unique assurent notre unité, notre vie, notre bonheur et l’épanouissement de notre personne.

« Aimer le Seigneur de tout ton cœur, de toute ton âme, … » signifie qu’on ne peut aimer avec un cœur partagé, comme les païens. L’amour profond est nécessairement exclusif de tout autre amour. Toutes les aspirations de son être s’orientent vers l’unique Personne qu’on aime. Le croyant qui aime fidèlement de cette manière réalise l’unité de sa personne et parvient à la paix.

Aimer son prochain

Jésus n’offre pas une pensée originale en mentionnant le précepte d’aimer son prochain. Le Livre du Lévitique (19,18) prescrivait déjà : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même : je suis le Seigneur. » Restait la question disputée : qui est mon prochain ? Jésus donnera une réponse claire à cette question dans la parabole du « Bon Samaritain. » (Luc 10,25-28).

Ce qui est nouveau de la part de Jésus, c’est de joindre les deux commandements en un seul : il n’y a qu’un seul amour, celui de Dieu qui s’étend au prochain. L’amour reçu de Dieu et tout don découlant de cet amour doit être partagé avec le prochain. Autrement dit, Dieu est présent dans le prochain, quel qu’il soit, parce qu’il a été créé à l’image et ressemblance de Dieu. Il porte en lui un reflet de son Créateur (Gn 1,26s).

Un docteur qui a compris

Le scribe exprime avec insistance son plein accord avec Jésus. Il complète même la réponse du Christ, en comparant l’amour de Dieu et du prochain aux holocaustes et aux sacrifices. En effet, ces offrandes louables sont extérieures à la personne humaine et n’engagent pas nécessairement son coeur. C’est son amour qui est l’essentiel, parce qu’il anime le cœur du croyant et qu’il donne vie et valeur à toutes ses actions. Le scribe rejoint ainsi les prophètes qui avaient dénoncé si souvent les sacrifices sans amour et sans don de soi-même, des sacrifices purement matériels, exprimant un formalisme sans âme.

En louant le scribe, Jésus lui dit qu’il n’est pas loin du Royaume de Dieu. Que lui manque-t-il pour entrer dans le Royaume ? Il lui manque de croire en Jésus, l’Envoyé de Dieu, et de le suivre comme son disciple.

Jean-Louis D’Aragon SJ

2023/03/16 – Lc 11, 14-23

Au cours d’un repas chez un chef des Pharisiens, un convive en entendant parler Jésus déclara: Heureux celui qui participera au repas dans le Royaume de Dieu. Jésus alors raconte une parabole. Un homme avait préparé un grand repas. Le moment venu il envoie avertir les invités. Ils se dérobent: l’un a acheté un champ, un autre cinq paires de bœufs et un autre vient de se marier. Le maître alors envoie un serviteur dans les rues de la ville ramener des pauvres, des estropiés, des aveugles et des boiteux. Comme il reste encore de la place, il l’envoie en dehors de la ville sur les routes et les sentiers en ramener d’autres pour que sa maison soit remplie. Aucun des premiers invités ne profitera du banquet.

C’est un jour de sabbat où Jésus a été invité à un repas chez un chef des Pharisiens, ce qui veut dire que les convives doivent être des Pharisiens ou des gens du même rang social. Les Pharisiens ont commencé à avoir des soupçons sur Jésus. On a déjà mentionné qu’ils l’épiaient (Luc 6,7) et aujourd’hui à ce repas on l’observe (14,1).

Un malade s’est présenté et Jésus l’a guéri. Personne n’a osé parler. Jésus fait ensuite une recommandation aux convives de ne pas choisir les premières places. Se glorifier soi-même ne vaut pas une glorification faite par un autre. Il s’adresse ensuite à son hôte sur le choix des invités. S’il invite des gens de l’élite comme ceux de son milieu, ils lui rendront la pareille: sa seule récompense sera donc la réciprocité. Si au contraire il invite des gens qui ne peuvent pas lui rendre son invitation comme des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles, en somme des gens en marge de la bonne société, heureux sera-t-il puisque ce sera Dieu qui le lui rendra lors de la résurrection des justes. C’est la seule rétribution qui est importante. Le traitement des pauvres est un thème sur lequel Luc revient souvent mais la liste qu’il vient de donner va revenir dans notre texte avec un autre sens.

C’est la mention de la résurrection des justes qui amène un convive à déclarer : Heureux celui qui participera au repas dans le Royaume de Dieu. C’est une remarque bien générale qui ne dérange personne dans l’immédiat et c’est ce qui amène la parabole de Jésus.  Quelqu’un a préparé un grand dîner et fait un grand nombre d’invitations. Il envoie un serviteur dire aux invités: Venez, maintenant le repas est prêt. Les “maintenant” comme les “aujourd’hui” sont importants dans Luc. C’est dans Luc que Jésus dit: Voici, le Royaume de Dieu est parmi vous. (17,21) Il n’est pas dans le futur, ni ailleurs: il est ici. A Zachée, le riche publicain, il déclare: Descends vite, car il me faut aujourd’hui demeurer chez toi. Et il conclut à la fin de l’épisode: Aujourd’hui le salut est arrivé pour cette maison. (19,5.9) Jésus en croix dit au bon larron: En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis. (23,43) Sous-jacente à la parabole que nous avons, il y a une question adressée aux convives: Allez-vous maintenant, vous aussi, refuser l’invitation, comme les premiers invités?

Devant le refus des premiers invités, le maître de la parabole, envoie un serviteur (Jésus) dans la ville d’abord pour inviter des pauvres, des estropiés, des aveugles et des boiteux. C’est la liste que Jésus avait déjà utilisée pour illustrer des pauvres. Ici, la liste sert à donner des exemples de ces gens que Jésus aimait particulièrement alors qu’ils étaient en marge de la société.
Le maître envoie encore son serviteur en dehors de la ville, sur les routes et les sentiers de la campagne pour en ramener d’autres qui sont encore plus loins que les marginaux de la ville, comme le seront les païens et les non-juifs. Jésus avait déclaré à Zachée : Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. C’est la déclaration qui, pour Luc, est fondamentale pour la personne de Jésus. Il est le serviteur qui est venu apporter l’invitation et il espère une réponse maintenant.

Jean Gobeil SJ

 

2023/03/15 – Mt 5, 17-19

Jésus déclare à ses disciples qu’il n’est pas venu abolir ce qu’il y a dans la Loi et les Prophètes, c’est-à-dire dans l’Ancien Testament. Rien ne sera aboli sans avoir été d’abord amené à sa perfection. Il donne un sérieux avertissement: un disciple qui rejetterait qui enseignerait de rejeter le plus petit des commandements qui y sont contenus serait déclaré le plus petit dans le Royaume de Dieu. Et inversement, celui qui observerait tout serait déclaré le plus grand.

Le sermon sur la montagne a commencé par une proclamation de la venue du Royaume de Dieu avec les béatitudes qui offraient un renversement des valeurs du monde. Ce qui suivait était un rappel et peut-être un encouragement pour la communauté de Matthieu: c’était l’exhortation à des disciples à demeurer le sel de la terre et la lumière du monde. Vient ensuite notre passage qui est à la fois une déclaration et un avertissement.

Jésus déclare qu’il n’est pas venue abolir la Loi et les Prophètes, mais son rôle est plutôt d’accomplir, c’est-à-dire de porter à sa perfection ce qui était commencé dans l’Ancien Testament. C’est un thème important pour l’évangile de Matthieu qui accumule les citations de la Bible pour montrer que la vie de Jésus est en continuité avec le passé d’Israël.

Mais, il faut le dire tout de suite, cette continuité n’exclura pas de la nouveauté. Il y aura dans le même sermon, une série de déclarations de Jésus commençant par une allusion à la parole de Dieu dans l’Ancien Testament (Vous avez entendu…. Il a été dit….par Dieu) et continuant par une sorte d’antithèse: Et bien, Moi, je vous dis que… Et ce qui suit est plus qu’une répétition!

Il y a donc ce double aspect dans la vie et l’enseignement de Jésus, de la continuité et de la discontinuité. Ceci pouvait poser des difficultés sérieuses dans la vie des communautés primitives. Ainsi, dans les Actes des apôtres, on voit que les apôtres, les Douze, continuent à aller prier au Temple. Même Paul ira au Temple. Or Etienne, un juif converti provenant d’un milieu de culture grecque et un des premiers diacres, dans son discours juste avant d’être lapidé, déclare que le Temple, c’est fini: Dieu n’est pas dans le Temple. Un autre exemple, est celui dont parle Paul: la question des viandes qui reviennent sur le marché après avoir été offertes dans les temples païens. Il dit: toi, tu sais que les idoles sont rien. Tu peux manger cette viande. Mais ton frère, lui, ne sait pas que cette viande n’est pas impure. Pour ne pas scandaliser ton frère faible, tu t’abstiendras d’en manger.

Notre texte comporte donc l’avertissement pour ceux qui diraient que les prescriptions de l’Ancien Testament n’ont plus d’importance et violeraient ou enseigneraient les autres à violer un précepte: on s’attendrait à ce que l’avertissement se termine en disant que ces gens-là sont hors du Royaume….Mais Matthieu a de ces gens dans sa communauté et il veut les avertir, non pas les exclure de la communauté: il dit donc qu’ils seront les plus petits dans le Royaume. Comme Jésus le répétera, un disciple doit toujours prendre garde aux petits, aux disciples plus faibles ou moins éclairés: la liberté de doit pas s’exprimer à leurs dépens.

Jean Gobeil SJ

 

2023/03/14 – Mt 18, 21-35

Pierre demande combien de fois doit-il pardonner à son frère: il suggère sept fois. Jésus répond soixante-dix fois sept fois. Jésus raconte alors la parabole du débiteur à qui un roi  remet une grosse dette et qui lui-même ne peut remettre une petite dette.

Notre texte fait partie d’un ensemble d’instructions pour la communauté: les Douze d’abord, l’Église ensuite. Pierre a donc une question qui intéresse tout le monde. La communauté est un endroit où une offense peut se répéter. Combien de répétitions peut-on tolérer?

Pierre a compris le sermon sur la montagne où Jésus avait prescrit l’amour des ennemis. Alors, pour un frère dans la communauté, il se pense bien généreux de suggérer de pardonner jusqu’à sept fois. C’est un nombre parfait mais c’est quand même un nombre limité. Le nombre que Jésus donne en réponse équivaut à un nombre illimité. On ne peut pas mettre de limite dans le pardon. La parabole que Jésus va employer sert à motiver une telle demande en illustrant sur quoi elle est basée.

Un roi demande d’être remboursé pour une dette énorme: il s’agit de millions. Il faudrait plusieurs vies au débiteur pour faire un tel remboursement. Le débiteur assure quand même qu’il remboursera. Le roi est pris de pitié et au lieu de le faire arrêter il le renvoie en lui remettant sa dette. En sortant du palais, le débiteur pardonné rencontre quelqu’un qui lui doit quelque chose. La disproportion entre les deux dettes est voulue: ce que l’autre lui doit est une bagatelle.

La disproportion est importante parce qu’elle souligne qu’en refusant de remettre la petite dette, le débiteur pardonné montre qu’il oublie et même qu’il méprise le don que le roi lui a fait. Il le tient pour rien. C’est ce qui justifie la colère du roi quand il apprend comment l’autre avait traité celui qui n’avait qu’une toute petite dette.

C’est la situation de tout chrétien. Non seulement il a reçu le pardon illimité de Dieu mais encore il  a reçu les dons de Dieu, le don de l’Esprit, la qualité d’enfant de Dieu et de membre de son Royaume. Il est dans la situation de ce débiteur insolvable. Et la façon de reconnaître ce qu’il a reçu est sa façon de traiter les autres avec qui le Seigneur est solidaire.

Jean Gobeil SJ  

2023/03/13 – Lc 4, 24-30

Je me souviens de ce texte dont j’ai déjà fait un commentaire il y a quelques « lundis ». Je suis tenté d’aller voir dans mes archives pour répéter ce que j’ai dit à cette occasion, mais je résiste, par respect pour une vieille dame d’origine africaine, immigrée quelque part en Occident, résidant tout près d’une église, et qui trouve que c’est une aubaine de pouvoir aller à la messe chaque jour. Elle n’aimerait probablement pas que son curé lui répète la même homélie si un texte d’évangile revenait à quelques semaines d’intervalle (à supposer que ce curé s’impose l’obligation de faire une homélie pour chaque jour de la semaine, même quand l’assistance se ramène à quelques personnes âgées).

Dans la liturgie d’aujourd’hui le choix du passage de l’évangile a certainement été motivé par le fait qu’on y trouve un écho de la première lecture : « Au temps du prophète Élisée, il y avait beaucoup de lépreux en Israël; pourtant aucun d’eux n’a été purifié, mais bien Naaman, un Syrien. » La première lecture porte justement sur l’histoire de Naaman, brillant général du roi de Syrie, mais affligé d’une maladie « honteuse » : la lèpre.

Je suis sûr que dans la plupart des pays de vieille chrétienté, les fidèles qui lisent ou entendent ce texte n’ont jamais vu un lépreux. C’est une maladie vaincue depuis des lustres dans les pays développés parce qu’on a trouvé le remède qui la guérit. Pourtant, il y a encore des millions de lépreux dans le Tiers-monde. Et, comme au temps de Naaman ou de Jésus, là où elle sévit encore, cette maladie peu contagieuse est associée à l’impureté. On isole le lépreux. On passe loin de lui, même quand on a la preuve qu’il ne contamine pas les personnes de son entourage. Car la superstition a la vie dure!

À ce propos, je me souviens d’un vieux missionnaire européen qui, au temps de mon enfance, avait choisi de vivre dans une caravane motorisée qui lui servait à la fois de maison et de dispensaire. Il parcourait le pays pour aller à la rencontre des lépreux afin de les soigner. Il était le seul à ne pas avoir peur de les approcher. Tout le monde pouvait constater que ce missionnaire n’attrapait pas la lèpre. Les enfants n’avaient pas peur de se régaler des bombons qu’il leur donnait après s’être occupé des lépreux. Et pourtant, cela ne suffisait pas pour convaincre les gens de l’inutilité d’ostraciser ces malades. On croit toujours qu’une malédiction pèse sur eux.

La lèpre inflige des stigmates spectaculaires et indélébiles au corps de ceux et celles qui en sont atteint. Elle les rend physiquement « différents ». Et comme la différence fait toujours peur, les lépreux ont toujours été repoussés « hors du camp », hors de la cité des humains normaux : mis au ban de la société. On pourrait croire qu’heureusement, l’humanité devenue adulte, au moins dans les sociétés les plus « avancées », a bel et bien dépassé ce genre de comportement. Or, les « stigmatisés » existent encore, dans toutes les sociétés. Ils habitent les « banlieues» difficiles et explosives des grandes villes européennes comme Paris. Le mot « banlieue » a justement conservé la connotation de « mise à l’écart » : le « ban » à une « lieue » de distance de la ville. L’Amérique du Nord avec ses banlieues cossues pourrait croire que le problème est derrière elle, mais ses centre-ville  constituent la nouvelle zone que hantent les stigmatisés : les drogués, les prostituées, les déclassés de toutes sortes, qui n’ont pas, comme Naaman le Syrien, les moyens de se payer un long voyage pour une plongée purificatrice dans le Jourdain. Partout donc, la lutte contre l’exclusion doit continuer.

Melchior M’Bonimpa

(Français) 2022/03/25 – Lc 18, 9-14

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“C’est scandaleux!”

Telle a dû être l’exclamation des auditeurs de Jésus à l’audition de cette parabole. Comment? Ce pharisien est un homme religieux fervent, qui appartient à une secte observant rigoureusement les moindres commandements de Dieu. Par cette rigoureuse observance, il communie à la volonté de son Maître et Seigneur. Il est ce qu’on appellerait aujourd’hui un croyant pratiquant et respectant les enseignements de l’Église.

En face de ce “saint”, se trouve son opposé, un misérable publicain, ce mécréant douanier, qui pressure et exploite le peuple, De plus, il collabore avec l’ennemi, ces Romains détestés, qui occupent la Terre Sainte d’Israël. Il fait partie d’une pègre financière, haïe et méprisée de tous. Le peuple estime le premier comme un modèle de sainteté, tandis qu’il stigmatise le second comme un pécheur public.

En conclusion de sa parabole, Jésus a l’audace d’annoncer que ce misérable publicain sort du Temple en communion avec Dieu; il est un “juste”. Au contraire, le pharisien s’en va chez lui, séparé de Dieu, dans une condition de pécheur. Après une conduite rigoureusement conforme à la volonté de Dieu, il n’entrerait pas dans le Royaume de Dieu? Quant au publicain, il lui suffit de se frapper la poitrine en avouant tout bas qu’il est pécheur, pour devenir disponible pour accueillir le Royaume. Le Christ confirmera ce jugement déconcertant par une déclaration solennelle: “Je vous le déclare, c’est la vérité: les collecteurs d’impôts et les prostituées arriveront avant vous dans le Royaume de Dieu.” (Mt 21, 31)

“Scandale” lumineux!

Comment Jésus peut-il justifier une déclaration aussi déconcertante? Elle doit être très importante puisqu’il recourt à l’introduction solennelle, “En vérité je vous le déclare…” Pour comprendre la pensée de Jésus, examinons la prière du pharisien. Il s’adresse à Dieu, mais sans s’adresser vraiment à lui; il se regarde sans cesse lui-même, c’est le “je” qui commande chaque phrase: “Je te remercie” (deux fois), “je jeûne”, “je te donne”. De plus, quel est le contenu de sa prière? Il étale ses “bonnes actions”: “Je ne suis pas comme le reste des hommes”; “Je ne suis pas comme ce collecteur d’impôts”; “Je jeûne deux fois par semaine et je te donne le dixième de tous mes revenus.” Il fallait une volonté forte pour observer les moindres détails de la Loi. Ce pharisien est fier de ses prouesses. Il étale ses hauts faits en accord avec la Loi, il se complaît en lui-même et s’admire. Son regard n’est pas tourné vers Dieu, mais vers sa propre personne. Parfait à ses yeux, il s’enferme en lui-même, incapable de s’ouvrir au don gratuit de Dieu.

L’égoïsme du pharisien l’amène à s’arroger le droit de juger les autres. Satisfait de lui-même, il méprise les autres qui n’observent pas la Loi comme lui. “Je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont voleurs, mauvais et adultères,…je ne suis pas comme ce collecteur d’impôts.” Comme il est tentant de mépriser les autres quand on s’estime purs et parfaits!

En comparaison du pharisien, qu’est-ce que le publicain peut offrir pour justifier l’éloge du Christ? Rien! Mais il sait, il ne s’illusionne pas, il constate qu’il ne vaut rien: “Je suis un pécheur.” Son attitude manifeste combien il a conscience de sa pauvreté: il se tient à distance, il n’ose même pas lever les yeux vers le ciel, il répète en se frappant la poitrine, “Ô Dieu, aie pitié de moi.” Ce publicain ne se regarde pas, car il n’a en lui aucun signe d’espérance. Désespéré de lui-même, il cherche en Dieu seul une lueur d’espoir. Il est ouvert à l’intervention miséricordieuse de Dieu. Il se range parmi les pauvres de la béatitude fondamentale, la première, ceux qui comprennent que rien en nous-mêmes peut nous procurer le bonheur. Notre seule garantie de vivre se trouve dans l’amour de Dieu, qui donne gratuitement.

Jésus répète à diverses reprises que, pour être grand, pour obtenir la vie et le bonheur, il faut se faire petit comme un enfant, se mettre au service des autres et leur laver les pieds comme il s’est abaissé lui-même devant ses disciples.

Jean-Louis D’Aragon SJ

(Français) 2022/03/24 – Lc 11, 14-23

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Jésus exorcise un homme muet et lui rend la parole. La foule est dans l’admiration mais certains disent que c’est par Béelzéboul qu’il fait ces expulsions du démon et d’autres réclament un signe dans le ciel. Jésus répond que si c’était par Béelzéboul cela signifierait que le chef des démons détruit son propre royaume. Si ce n’est pas Béelzéboul, cela signifie qu’un plus fort que lui est arrivé ainsi que le Royaume de Dieu. Pour ceux qui veulent d’autres signes, ils ne sont pas avec Jésus ce qui signifie qu’ils sont contre lui.

Jésus rencontre un homme muet. Son infirmité est attribuée à un démon. Pour le guérir il faut un exorcisme: c’est ce que Jésus fait. La brièveté du texte reflète peut-être la brièveté de l’exorcisme et c’est ce qui aurait provoqué l’admiration de la foule. Mais la réaction n’est pas unanime.  Le miracle fait apparaître de l’opposition.

Il y en a d’abord qui attribuent les pouvoirs de Jésus à Béelzéboul, un nom comme Satan, qui est donné au chef des démons. Cette accusation sera reprise par le Talmud (2e siècle): Il a pratiqué la magie, a séduit Israël et l’a rendu apostat. C’est une explication par une sorte de sorcellerie.

Jésus répond à cette première objection en disant que si c’est Béelzéboul qui chasse les démons cela veut dire que le royaume de Satan est divisé et qu’il va tomber en ruine. D’autre part, si les démons sont expulsés c’est qu’il y a quelqu’un de plus puissant, de plus fort qu’eux qui est à l’oeuvre: c’est l’oeuvre de Dieu. C’est par le doigt de Dieu que cela arrive.

Jésus ajoute une petite parabole. Un homme fort et bien armé domine sur un domaine jusqu’à ce que vienne un plus fort que lui. Il doit alors abandonner ce domaine et chercher ailleurs.

C’est ce que fait la venue du Règne de Dieu. Il fait reculer le règne du mal. Les miracles avaient servi  à ouvrir les disciples au mystère de la personne du Christ. La réaction était alors l’admiration qui amenait la question: Qui est cet homme? Le miracle maintenant révèle l’opposition de ceux qui ne sont pas du Règne de Dieu. Ceux qui sont incapables de reconnaître le doigt de Dieu restent les prisonnier du règne du mal et sont contre Jésus: Qui n’est pas avec moi est contre moi.

La deuxième opposition de ceux qui ne peuvent voir le doigt de Dieu dans les miracles de Jésus est de demander un signe dans le ciel. La réponse viendra un peu plus tard avec l’exemple de Jonas dont le seul signe a été la parole adressées aux gens de Ninive. Le signe de Jésus est sa parole.

Jean Gobeil SJ 

 

(Français) 2022/03/23 – Mt 5, 17-19

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Jésus déclare à ses disciples qu’il n’est pas venu abolir ce qu’il y a dans la Loi et les Prophètes, c’est-à-dire dans l’Ancien Testament. Rien ne sera aboli sans avoir été d’abord amené à sa perfection. Il donne un sérieux avertissement: un disciple qui rejetterait ou enseignerait de rejeter le plus petit des commandements qui y sont contenus serait déclaré le plus petit dans le Royaume de Dieu. Et inversement, celui qui observerait tout serait déclaré le plus grand.

Le sermon sur la montagne a commencé par une proclamation de la venue du Royaume de Dieu avec les béatitudes qui offraient un renversement des valeurs du monde. Ce qui suivait était un rappel et peut-être un encouragement pour la communauté de Matthieu: c’était l’exhortation à des disciples à demeurer le sel de la terre et la lumière du monde. Vient ensuite notre passage qui est à la fois une déclaration et un avertissement.

Jésus déclare qu’il n’est pas venue abolir la Loi et les Prophètes, mais l’accomplir. C’est une expression qui est employée seulement pour Jésus. Un chrétien ou un juif n’accomplit pas la Loi : il lui obéit ou il l’observe. Pour Jésus, cela signifie qu’il vient porter à sa perfection ce qui était commencé dans l’Ancien Testament. C’est un thème important pour l’évangile de Matthieu qui accumule les citations de la Bible pour montrer que la vie de Jésus est en continuité avec le passé d’Israël.

Mais, il faut le dire tout de suite, cette continuité n’exclura pas de la nouveauté. Il y aura dans le même sermon, une série de déclarations de Jésus commençant par une allusion à la parole de Dieu dans l’Ancien Testament (Vous avez entendu…. Il a été dit….par Dieu) et continuant par une sorte d’antithèse: Et bien, Moi, je vous dis que… Et ce qui suit est plus qu’une répétition!

Il y a donc ce double aspect dans la vie et l’enseignement de Jésus, de la continuité et de la discontinuité. Ceci pouvait poser des difficultés sérieuses dans la vie des communautés primitives. Ainsi, dans les Actes des apôtres, on voit que les apôtres, les Douze, continuent à aller prier au Temple. Même Paul ira au Temple. Or Etienne, un juif converti provenant d’un milieu de culture grecque et un des premiers diacres, dans son discours juste avant d’être lapidé, déclare que le Temple, c’est fini: Dieu n’est pas dans le Temple. Un autre exemple est celui dont parle Paul: la question des viandes qui reviennent sur le marché après avoir été offertes dans les temples païens. Il dit: toi, tu sais que les idoles sont rien. Tu peux manger cette viande. Mais ton frère, lui, ne sait pas que cette viande n’est pas impure. Pour ne pas scandaliser ton frère faible, tu t’abstiendras d’en manger.

Notre texte comporte donc l’avertissement pour ceux qui diraient que les prescriptions de l’Ancien Testament n’ont plus d’importance et violeraient ou enseigneraient les autres à violer un précepte: on s’attendrait à ce que l’avertissement se termine en disant que ces gens-là sont hors du Royaume…. Mais Matthieu a de ces gens dans sa communauté et il veut les avertir, non pas les exclure de la communauté: il dit donc qu’ils seront les plus petits dans le Royaume. Comme Jésus le répétera, un disciple doit toujours prendre garde aux petits, aux disciples plus faibles ou moins éclairés: la liberté ne doit pas s’exprimer à leurs dépens.

Jean Gobeil SJ

(Français) 2022/03/22 – Mt 18, 21-35

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Pierre demande combien de fois doit-il pardonner à son frère: il suggère sept fois. Jésus répond soixante-dix fois sept fois. Jésus raconte alors la parabole du débiteur à qui un roi  remet une grosse dette et qui lui-même ne peut remettre une petite dette.

Notre texte fait partie d’un ensemble d’instructions pour la communauté: les Douze d’abord, l’église ensuite. Pierre a donc une question qui intéresse tout le monde. La communauté est un endroit où une offense peut se répéter. Combien de répétitions peut-on tolérer?

Pierre a compris le sermon sur la montagne où Jésus avait prescrit l’amour des ennemis. Alors, pour un frère dans la communauté, il se pense bien généreux de suggérer de pardonner jusqu’à sept fois. C’est un nombre parfait mais c’est quand même un nombre limité. Le nombre que Jésus donne en réponse équivaut à un nombre illimité. On ne peut pas mettre de limite dans le pardon. La parabole que Jésus va employer sert à motiver une telle demande en illustrant sur quoi elle est basée.

Un roi demande d’être remboursé pour une dette énorme: il s’agit de millions. Il faudrait plusieurs vies au débiteur pour faire un tel remboursement. Le débiteur assure quand même qu’il remboursera. Le roi est pris de pitié et au lieu de le faire arrêter il le renvoie en lui remettant sa dette. En sortant du palais, le débiteur pardonné rencontre quelqu’un qui lui doit quelque chose. La disproportion entre les deux dettes est voulue: ce que l’autre lui doit est une bagatelle.

La disproportion est importante parce qu’elle souligne qu’en refusant de remettre la petite dette, le débiteur pardonné montre qu’il oublie et même qu’il méprise le don que le roi lui a fait. Il le tient pour rien. C’est ce qui justifie la colère du roi quand il apprend comment l’autre avait traité celui qui n’avait qu’une toute petite dette.

C’est la situation de tout chrétien. Non seulement il a reçu le pardon illimité de Dieu mais encore il  a reçu les dons de Dieu, le don de l’Esprit, la qualité d’enfant de Dieu et de membre de son Royaume. Il est dans la situation de ce débiteur insolvable. Et la façon de reconnaître ce qu’il a reçu est sa façon de traiter les autres avec qui le Seigneur est solidaire.

Jean Gobeil SJ