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2023/11/11 – Lc 16, 9-15

La parabole du gérant avisé se prolonge dans trois exhortations de Jésus. Le gérant s’est fait des amis avec l’argent dérobé à son maître. Il sera accueilli par chacun des débiteurs de son maître pour le reste de sa vie. À l’exemple du gérant, le disciple de Jésus se fait des amis avec ses aumônes aux pauvres. Cet argent est « trompeur » car il procure une illusion, celle d’une valeur qui durera toujours, alors qu’elle peut disparaître à tout moment. Bien plus, l’argent suscite la pire des illusions, celle d’être riche par soi-même, de posséder le bonheur sans Dieu. Au moment où l’argent, cette valeur superficielle et fragile, disparaîtra, les pauvres seront vos intercesseurs auprès de Dieu.

Le test de l’argent prêté

L’argent, comme notre vie, ne nous appartient pas. Dieu nous le prête pour exercer notre liberté et notre responsabilité. Jésus exprime cette même vérité par trois affirmations parallèles :

  1. a) Celui qui se montre digne ou trompeur dans « une petite affaire », c’est-à-dire dans la vie présente, sur terre, sera digne ou non dans une grande, c’est-à-dire la véritable richesse du Royaume de Dieu. Autrement dit, la manière d’utiliser l’argent ici-bas conditionne notre participation au bonheur du Royaume.
  2. b) Si on n’est pas « digne de confiance » avec l’argent trompeur, fascinant par ses illusions, qui nous confiera le bien véritable, celui du ciel, qui ne disparaîtra jamais ?
  3. c) Si vous n’êtes pas dignes de confiance pour des biens étrangers comme l’argent, prêtés par Dieu, qui ne vous appartiennent pas, le vôtre, le vrai bonheur de l’au-delà auquel Dieu vous appelle, qui vous le donnera ?

Les trois antithèses se résument donc à une seule, la richesse d’ici-bas ou celle de l’au-delà :

–    « une petite affaire » opposée à « une grande »;

–    « l’argent trompeur » ou « le bien véritable » ;

–    « des biens étrangers » ou votre véritable bien, la vie éternelle que Dieu vous a promise.

Jésus en vient finalement à l’opposition radicale, Dieu ou l’Argent. Pour celui qui en fait la priorité de ses désirs, l’Argent devient une idole, qui se pose en rivale de Dieu. Un esclave ne peut être au service exclusif de deux maîtres. Il appartient à l’un ou à l’autre, il sert l’un ou l’autre. Dieu exige une loyauté exclusive, car il est un Dieu d’amour, un « Dieu jaloux ». Lorsque la personne humaine essaie de profiter d’une double loyauté, de servir deux maîtres opposés, Dieu et l’Argent, elle se divise et se détruit. L’unité de son être exige l’adhésion totale à son Seigneur.

Tous n’acceptent pas une opposition aussi radicale entre Dieu et l’Argent. Les Pharisiens, par exemple, s’appuyaient sur l’Ancien Testament pour estimer l’argent, car les biens terrestres y apparaissaient auréolés des bénédictions divines. La richesse était le signe que le Seigneur approuvait comme juste la conduite d’une personne. Notre société s’accorde souvent avec cette admiration devant les immenses fortunes. Mais l’estime dont profitent les riches devant le monde n’est qu’apparente. La réalité, c’est la conscience, le cœur de toute personne, que Dieu scrute et juge.

L’argent est un moyen puissant, très utile, car il permet les échanges entre les humains d’une société, que Dieu a créés pour être solidaires et se compléter. Nous ne pouvons pas survivre dans notre monde sans avoir une monnaie d’échange. Par mépris, on parle parfois de « l’argent sale ». Cet argent méprisable n’existe pas en lui-même, c’est nous qui le rendons sale ou propre. La mauvaise ou la bonne utilisation de l’argent dépend de nous, de notre égoïsme ou de notre amour dans le don de nous-mêmes.

Une fable d’Ésope illustre l’ambivalence de l’argent. Elle met en scène un esclave que son maître envoie au marché pour acheter le mets le meilleur pour un festin. L’esclave revient du marché avec de la langue. Une autre fois, le maître envoie de nouveau son esclave avec la consigne, cette fois, d’acheter le mets le plus détestable. L’esclave revient avec…encore de la langue. Le maître lui demande l’explication de son choix, la langue dans les deux cas opposés. L’esclave lui répond que la langue peut être ce qu’il y a de meilleur ou de pire ; tout dépend de la manière de l’utiliser. On peut en dire autant de l’argent !

Jean-Louis D’Aragon SJ

2023/11/10 – Lc 16, 1-8

Le problème de l’argent

L’argent a toujours été une question d’actualité, car il régit nos rapports avec les autres. Il donne des droits pour posséder, il peut même rendre les autres nos esclaves et il peut, également, devenir une expression éminente de la charité par l’aumône.

L’égoïsme, malheureusement, s’est régulièrement emparé de ce moyen, qui fascine tellement qu’il devient la priorité de l’existence humaine et qu’il occasionne une multitude d’injustices : vols, corruption, enlèvements, chantage, Par exemple, combien de disputes et de divisions provoquent les testaments dans les familles !

L’évangéliste Luc est très sensible à l’enseignement de Jésus à propos de l’argent.  Il est le seul évangéliste à rapporter les paraboles significatives du riche insensé (12,13-21), du riche et du pauvre Lazare (16,19-31). De même, le 3e évangile est seul à conclure un enseignement de Jésus par deux déclarations générales : « Donnez aux pauvres…et tout sera pur pour vous » (11,41) et « Vendez vos biens et donnez l’argent aux pauvres Munissez-vous de bourses qui ne s’usent pas… » (12,33).

Dans le passage d’aujourd’hui, Luc présente une parabole tellement pleine de sens qu’il lui rattache trois conclusions ou applications, que nous trouverons dans l’évangile de demain : l’argent de l’amitié (v. 9), le test de l’argent (vv. 10-12) et le choix entre Dieu et l’argent (v.13).

Habileté du gérant

Pour comprendre cette parabole, il faut la replacer dans le contexte social et économique de l’époque. De riches propriétaires, étrangers et païens, possédaient en Galilée de vastes domaines, dont ils confiaient l’administration à un intendant.  Eux-mêmes habitaient souvent au loin.

Même si les mesures que l’intendant mentionne ne sont guère précises pour nous, il est possible d’en avoir une vague appréciation. Un « tonneau » équivalait à environ 45 litres, tandis qu’un « sac » de blé contenait 400 litres. Les quantités dans les deux cas sont considérables. Comment des individus pouvaient-ils avoir contracté d’aussi énormes dettes ?  Il ne s’agissait pas, en fait, de simples individus, mais de marchands, qui achetaient de larges quantités d’huile et de blé pour les revendre. Ils s’acquittaient de leurs dettes envers le propriétaire à mesure qu’ils vendaient les produits qu’ils avaient achetés.

La remise que le gérant accorde aux débiteurs de son maître est considérable, car elle équivaut à 500 journées de travail. En signant une nouvelle créance, les débiteurs savent qu’ils auront une importante dette de reconnaissance envers le gérant. Celui-ci montre son habileté en accordant à chacun la même remise, de façon qu’il n’y ait pas entre les débiteurs une jalousie, qui pourrait se retourner contre le gérant, qui aurait accordé plus à l’un qu’à l’autre.

Éloge d’un voleur ?

Le gérant se fait donc des amis avec l’argent de son maître. Comment Jésus peut-il alors louer l’action d’un voleur ? Mais le stratagème du gérant peut avoir deux aspects, l’un répréhensible, l’autre louable. Jésus ne se compare-t-il pas à un voleur, qui peut surprendre à n’importe quelle heure ? De même ici, l’action du gérant est un vol, mais il a pris très rapidement une décision qui assure son avenir, car il était coincé. Ce que Jésus loue, ce n’est pas évidemment le vol, mais l’intelligence et la rapidité de la décision du gérant pour se tirer d’affaire. Les débiteurs de son maître vont accueillir chez eux ce gérant, à qui ils doivent une large reconnaissance.

Jésus nous propose comme modèle ce gérant, qui a pris une décision rapide et radicale. Se détourner de ce qui nous sépare du Seigneur, se convertir, est urgent, car le temps avance et nous rapproche de la fin de notre pèlerinage sur terre. Le temps est plus court que nous le pensons. La tentation consiste à remettre toujours au lendemain la décision vitale. Saint Augustin comparaît ses chrétiens aux corbeaux qui croassent : « Cras, cras, cras (en latin), demain, demain, demain ».

La conclusion de Jésus semble pessimiste, mais elle est réaliste pour susciter la honte chez les chrétiens. « Les fils de ce monde », dont parle Jésus, sont les gens qui misent toute leur existence sur la vie présente et déploient toute leur énergie pour une réussite temporaire. Ils agissent avec plus de volonté et d’intelligence à leur niveau, sans Dieu, que « les fils de la lumière », ceux qui visent au-delà de la seule existence d’ici-bas. La réussite chrétienne exige plus qu’une routine facile et monotone !

Jean-Louis D’Aragon SJ

2023/11/09 – Jn 2, 13-22

Pourquoi vénérer un monument de pierre, la basilique du Latran, loin de nous et datant du 4e siècle ? Pourquoi rappeler la dédicace d’un tel monument ? Quel sens cette dédicace peut-elle avoir pour nous ?

Au début du 4e siècle, l’Église primitive a subi la plus terrible des persécutions, sous l’empereur Dioclétien. Avec le triomphe de Constantin, qui avait éliminé tous ses rivaux, l’Église sortait de l’ombre et rendait grâce à Dieu pour sa libération. Le nouvel empereur décrétait, en effet, que l’Église chrétienne était désormais religion légale, exempte de toute persécution. Pour remédier aux destructions commises sous l’empereur précédent, Constantin construisit plusieurs sanctuaires chrétiens.

À Rome, le domaine de la famille des Laterani faisait partie de la dot de Fausta, l’épouse de Constantin. Celle-ci en fit don à l’Église, qui édifia sur ce terrain une basilique pour servir de cathédrale au diocèse de Rome. La basilique primitive fut dédiée au Saint Sauveur. Après sa destruction par un tremblement de terre, en 896, elle fut reconstruite par le pape Serge III (904-911) et dédiée à Saint Jean Baptiste, auquel on associa l’apôtre Jean.

Une action qui provoque le jugement

Pour célébrer la dédicace de la basilique du Latran, la liturgie évoque la purification du Temple de Jérusalem par Jésus et sa réponse aux chefs juifs, qui exigeaient de lui un signe pour justifier son geste provocateur. Après la guérison de l’aveugle-né, Jésus déclarait: « Je suis venu en ce monde pour qu’un jugement ait lieu. » (Jn 9,39) Ce n’est pas Jésus qui juge, car il affirme qu’il ne juge personne (Jn 8,15), mais sa présence, ses actions et ses paroles provoquent la personne libre, qui se condamne elle-même en refu­sant la lumière (Jn 3,19). Dès le début de la mission du Christ, ses disciples évitent le jugement en croyant à la vue du signe du changement de l’eau en vin, à Cana (2,11). C’est maintenant le tour des autorités du judaïsme, à Jérusalem, de choisir et de se juger face à l’intervention du Christ dans le temple.

Voilà pourquoi l’évangéliste Jean place la purification du Temple au début du ministère de Jésus. Il veut montrer que toute la révélation du Christ qui suit est un appel à la responsabilité humaine et qu’elle provoque un jugement. Cette action audacieuse de Jésus équivaut à une censure des chefs de Jérusalem, qui, selon les autres évangiles, décident le Sanhédrin d’éliminer Jésus. Jean va in­diquer d’une manière équivalente que les chefs juifs refusent d’accueillir l’interpellation de Jésus et que leur refus se traduira par la persécution.

Un signe à découvrir

L’époque de ce signe, « la Pâque des Juifs« , évoque le moment où Jésus sera mis à mort par les autorités juives. L’évangéliste insinue déjà le rapport entre la purification du Temple et la passion du Christ. Dans le Temple, Jésus discerne tout le système commercial approuvé par les grands prêtres. Les dis­ciples ne comprennent pas sur le coup l’action de Jésus, mais ils découvri­ront le sens de ce signe après sa résurrection, lorsqu’ils auront reçu l’intelli­gence de l’Esprit.

La citation du psaume 69 provient d’un juste consumé par son zèle pour la Maison de Dieu. Or ce zèle pour le Temple attire à ce juste la persécution. Cette citation appliquée à Jésus signifie que son zèle pour purifier le Temple et le remplacer par son Corps glorifié se réalisera à travers ses souffrances et sa mort.

« Les Juifs » dans ce contexte sont les autorités du Temple, prêtres, lé­vites et gardes. Ils sont les responsables de l’ordre de choses condamné par Jésus. En exigeant un signe, les Juifs veulent que Jésus prouve par une ac­tion extraordinaire que sa mission vient de Dieu. Paul dénonce cette exigence des Juifs (1 Cor 1,22), qui vise finalement à soumettre Dieu à une volonté humaine et à contrôler ses interventions dans notre monde.

Le Nouveau Temple

La réponse de Jésus, « Détruisez ce temple« , est ironique. Les Juifs ne veulent évidemment pas détruire le Temple de Jérusalem, mais leur décision de condamner le Fils de Dieu causera la destruction du temple de son corps physique, qui sera remplacé par son Corps ressuscité. Dans leur in­croyance, les Juifs seront eux-mêmes les instruments qui susciteront le signe qu’ils deman­dent. Pour répondre à l’exigence des Pharisiens, Jésus annoncera ailleurs (Mt 12,39s) le même signe qu’ici.

Les Juifs ne voient que le niveau immédiat du signe proposé par Jésus, ne pensant qu’à cet édifice de pierre. Stupéfiés par la déclaration du Christ, ils nous fournissent l’une des données chronologiques les plus précises des évangiles. La reconstruction du Temple par Hérode le Grand commença en 20/19 av. J.C. Une période de 46 ans nous conduit jusqu’en 27/28 ap. J.C. Cette date concorde avec la 15e année de Tibère, que signale Luc 3,1.

Ce n’est qu’après la résurrection de Jésus que ses disciples se rappelè­rent sa déclaration et crurent. Au moment de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, l’évangéliste note de la même manière que « lorsque Jésus eut été glorifié, ses disciples se souvinrent que cette prophétie avait été écrite à son sujet et qu’on avait ac­compli pour lui ce qu’elle disait » (Jn 12,16) Les disciples croiront et comprendront, mais non en raison du fait de la résurrection comme preuve de la véracité de ce que Jésus avait dit. Lorsque Jésus entrera dans la gloire, ils re­cevront l’Esprit (Jn 7,39), qui leur accordera l’intelligence de tous les signes accomplis par Jésus.

L’action de Jésus purifiant le Temple de Jérusalem revêt le même ca­rac­tère que l’intervention de certains prophètes antérieurs, en particulier celle de Jérémie (7,11). Au nom de Dieu, le prophète avait dénoncé les déviations du culte officiel et, par le fait même, les autorités qui présidaient à ce culte dé­gradé. Il s’attaquait à un lieu sacré, dont on avait fait un absolu. Le sanctuaire matériel était devenu objet de fierté et, en même temps, source de fausse sé­curité. On affirmait implicitement que Dieu était lié à cet endroit où il habitait, à l’exclusion de tout autre lieu.

Le prophète voulait détruire cette fausse sécurité et revendiquer la liberté abso­lue de Dieu. Mais on ne détruit pas sans péril ce que les autorités considèrent comme un absolu. Jérémie a failli y laisser sa vie. Les disciples de Jésus ver­ront dans ce juste du psaume 69, la figure de Jésus sacrifié sur la croix. Comme Jérémie, le Christ n’a pas re­couru à la violence ou à la force armée pour dénoncer le mal ou pour se protéger. Le sacrifice est plus efficace que l’apparent triomphe du persécuteur qui met à mort la victime.

Ce qui différencie l’intervention de Jésus de celle de Jérémie, c’est qu’elle ne se limite pas à l’aspect négatif de la destruction du sanctuaire. La présence miséricordieuse de Dieu disparaîtra du Temple de Jérusalem, mais pour réapparaître dans une personne vivante, dans l’homme parfait, et non plus dans un temple de pierre. La gloire de Dieu rayonnera dans son Fils in­carné en raison de son offrande parfaite dans le sacrifice de la croix. Dieu sera présent dans le Seigneur ressuscité et en toute personne unie à lui par la foi.

Le signe proposé par Jésus, comme le sens des paraboles, est inintelligible pour « ceux du dehors« . Aussi les Juifs ne peuvent percevoir dans la déclara­tion de Jésus que l’édifice matériel, construit en 46 ans. Seul, celui qui expé­rimente « de l’intérieur« , celui qui croit, peut saisir le lien entre le signe et la réalité cachée que le signe évoque. Aussi l’évangéliste Jean associe étroitement la foi et la connaissance. Mais la lumière d’en haut est requise pour atteindre une réalité de cet ordre. C’est seulement l’Esprit donné par le Seigneur glo­rifié qui permettra aux chrétiens de comprendre. Ils recevront l’Esprit en vertu de leur disponibilité de croyants.

Signification pour les chrétiens d’aujourd’hui

La somptuosité de nos sanctuaires manifeste la splendeur du Royaume de Dieu, mais cette beauté de nos édifices ne doit pas cacher pour nous l’essentiel. Les sanctuaires sont admirables parce que c’est le Seigneur ressuscité qui leur donne toute leur valeur. Il habite dans nos églises, mais surtout dans le cœur des chrétiens.

Nous ressentons tous le besoin d’unité à tous les niveaux, personnel, familial, communautaire, … Quand il s’agit d’un groupe, l’unité requiert la figure d’un chef et un centre physique vers lequel tout converge. En l’année 320, les églises chrétiennes étaient nombreuses, mais dispersées dans plusieurs provinces de l’empire romain et même au-delà de ses frontières. En contraste avec cette dispersion, Constantin avait refait l’unité politique entre l’Orient et l’Occident. À son tour, l’unité ecclésiale se réalisa autour du diocèse de Rome et de sa cathédrale.

La basilique du Latran, dont nous célébrons aujourd’hui la dédicace, symbolise donc l’unité chrétienne et nous rappelle la tradition séculaire de notre foi. N’oublions pas qu’elle demeurera un pur symbole matériel, si notre coeur n’y découvre pas la réalité que ce signe évoque.

Jean-Louis D’Aragon SJ

2023/11/08 – Lc 14, 25-33

Aux foules qui le suivent, Jésus déclare que pour être son disciple il faut lui donner la priorité absolue, même sur sa propre vie, et être prêt à prendre sa croix pour le suivre. Pour prendre cet engagement, comme pour celui qui entreprend une construction importante ou comme le roi qui s’engage dans une campagne de guerre, il faut être conscient des conséquences de cet engagement. On ne peut être son disciple à moins de renoncer à tous ses biens.

L’auditoire est changé: au lieu d’un repas avec des Pharisiens, Jésus s’adresse à des foules. Luc ne dit pas qu’elles suivent Jésus, un mot qu’il garde pour ceux qui sont des disciples. Mais elles marchent avec lui: c’est un auditoire plus sympathique que les Pharisiens qui l’observaient.  Ce n’est pas hasard que Luc a mis ces paroles de Jésus après la parabole du festin où les premiers invités qui avaient refusé de venir étaient remplacés par des gens de condition beaucoup plus humble. C’est un avertissement que pour répondre à l’invitation du Royaume et être ses disciples il y a des exigences.

Venir à Jésus n’est pas suffisant pour être un disciple. Il y a un engagement à prendre. Il faut lui donner une priorité absolue, une priorité sur toute autre bonne chose ou personne et même sa propre vie. Ensuite, pour marcher derrière lui, c’est-à-dire le suivre ou être son disciple, il faut porter sa croix. Pour les auditeurs, cela veut dire partager ses difficultés et ses épreuves. Mais pour les lecteurs de l’évangile, les chrétiens, c’est une anticipation du Calvaire: un disciple doit s’unir à la Passion du Christ. Saint Paul parle de compléter la Passion du Christ.

On ne peut donc s’engager à la légère. Il faut prévoir et se préparer comme l’illustrent les deux paraboles: celui qui bâtit une tour, une structure de défense, et celui qui engager une opération militaire. Les deux doivent se préparer et ne pas négliger de voir les conséquences de leur démarche: on ne peut pas rebrousser chemin.

La préparation pour un disciple est résumée dans la dernière phrase: il faut renoncer à tous ses biens.  C’est dire que la préparation suppose le rejet ou la séparation de tout ce qui empêche d’être donné totalement au Christ.

Jean Gobeil SJ  

 

 

 

 

 

 

2023/11/07 – Lc 14, 15-24

Au cours d’un repas chez un chef des Pharisiens, un convive en entendant parler Jésus déclara: Heureux celui qui participera au repas dans le Royaume de Dieu. Jésus alors raconte une parabole. Un homme avait préparé un grand repas. Le moment venu il envoie avertir les invités. Ils se dérobent: l’un a acheté un champ, un autre cinq paires de bœufs et un autre vient de se marier. Le maître alors envoie un serviteur dans les rues de la ville ramener des pauvres, des estropiés, des aveugles et des boiteux. Comme il reste encore de la place, il l’envoie en dehors de la ville sur les routes et les sentiers en ramener d’autres pour que sa maison soit remplie. Aucun des premiers invités ne profitera du banquet.

C’est un jour de sabbat où Jésus a été invité à un repas chez un chef des Pharisiens, ce qui veut dire que les convives doivent être des Pharisiens ou des gens du même rang social. Les Pharisiens ont commencé à avoir des soupçons sur Jésus. On a déjà mentionné qu’ils l’épiaient (Luc 6,7) et aujourd’hui à ce repas on l’observe (14,1).

Un malade s’est présenté et Jésus l’a guéri. Personne n’a osé parler. Jésus fait ensuite une recommandation aux convives de ne pas choisir les premières places. Se glorifier soi-même ne vaut pas une glorification faite par un autre. Il s’adresse ensuite à son hôte sur le choix des invités. S’il invite des gens de l’élite comme ceux de son milieu, ils lui rendront la pareille: sa seule récompense sera donc la réciprocité. Si au contraire il invite des gens qui ne peuvent pas lui rendre son invitation comme des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles, en somme des gens en marge de la bonne société, heureux sera-t-il puisque ce sera Dieu qui le lui rendra lors de la résurrection des justes. C’est la seule rétribution qui est importante. Le traitement des pauvres est un thème sur lequel Luc revient souvent mais la liste qu’il vient de donner va revenir dans notre texte avec un autre sens.

C’est la mention de la résurrection des justes qui amène un convive à déclarer:  Heureux celui qui participera au repas dans le Royaume de Dieu.

C’est une remarque bien générale qui ne dérange personne dans l’immédiat et c’est ce qui amène la parabole de Jésus.

Quelqu’un a préparé un grand dîner et fait un grand nombre d’invitations. Il envoie un serviteur dire aux invités:   Venez, maintenant le repas est prêt.

Les “maintenant” comme les “aujourd’hui” sont importants dans Luc.

C’est dans Luc que Jésus dit: Voici, le Royaume de Dieu est parmi vous.  (17,21)

Il n’est pas dans le futur, ni ailleurs: il est ici.

A Zachée, le riche publicain, il déclare: Descends  vite, car il me faut aujourd’hui demeurer chez toi.

Et il conclut à la fin de l’épisode: Aujourd’hui le salut est arrivé pour cette maison.   (19,5.9)

Jésus en croix dit au bon larron: En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis. (23,43)

Sous-jacente à la parabole que nous avons, il y a une question adressée aux convives: Allez-vous maintenant, vous aussi, refuser l’invitation, comme les premiers invités?

Devant le refus des premiers invités, le maître de la parabole, envoie un serviteur (Jésus) dans la ville d’abord pour inviter des pauvres, des estropiés, des aveugles et des boiteux. C’est la liste que Jésus avait déjà utilisée pour illustrer des pauvres. Ici, la liste sert à donner des exemples de ces gens que Jésus aimait particulièrement alors qu’ils étaient en marge de la société.

Le maître envoie encore son serviteur en dehors de la ville, sur les routes et les sentiers de la campagne pour en ramener d’autres qui sont encore plus loins que les marginaux de la ville, comme le seront les païens et les non-juifs.

Jésus avait déclaré à Zachée: Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu.

C’est la déclaration qui, pour Luc, est fondamentale pour la personne de Jésus.

Il est le serviteur qui est venu apporter l’invitation et il espère une réponse maintenant.

Jean Gobeil SJ  

 

 

 

2023/11/06 – Lc 14, 12-14

Aux nombreux barbecues que nous nous offrons en été, l’évangile d’aujourd’hui nous conseille d’inviter, non pas des amis, des parents et de riches voisins qui pourront à leur tour nous rendre la pareille, mais plutôt des pauvres, des estropiés, des boiteux et des aveugles incapables de renvoyer l’ascenseur. Ce texte très bref surprend parce qu’il souligne ce qui passe souvent inaperçu : les relations sociales normales ressemblent à un investissement. D’y penser, même l’amour des parents pour leurs enfants n’échappe pas complètement au calcul. Les parents acceptent des sacrifices, parfois à la limite de l’impossible, mais, dans toutes les cultures, on attend des enfants qu’ils prennent soin de leurs vieux parents : une sorte de remboursement de la dette.

Même dans cet évangile, l’abnégation demandée n’est pas totale. Une récompense est promise, bien qu’il faille attendre le jugement dernier pour la toucher : « …en effet, cela te sera rendu à la résurrection des justes. » Remarquons en passant que l’encouragement à la générosité n’est pas ce qui fait du christianisme une religion unique en son genre. S’il fallait ramener tout l’enseignement du bouddhisme à un seul mot clé, ce serait le mot compassion. Et l’obligation de l’aumône est l’un des cinq piliers de l’islam qui proclame que tous les biens appartiennent à Allah, et que personne n’a le droit d’en user et d’en abuser pendant que d’autres crèvent de faim. Cela dit, il semble que les religions ne croient pas que la nature humaine soit capable d’une abnégation absolue. La vertu paye en fin de compte, en ce monde ou dans l’autre. Selon le christianisme et l’islam, ce que nous aurons donné aux pauvres sans espoir de retour nous sera rendu au dernier jour. Et selon le bouddhisme, notre compassion hâtera notre accès au Nirvana, à la cessation des réincarnations qui sont des rechutes dans la souffrance, dans le désastre.

Il faut chercher longtemps avant de trouver dans les textes sacrés des diverses traditions spirituelles de l’humanité de rares passages qui laissent entrevoir la possibilité, chez l’être humain, d’une générosité inconditionnée et sans limites. C’est le cas dans le bouddhisme Mahayana (grand véhicule) qui a inventé la notion du boddhisatva : un être qui a réussi à sortir de la roue des réincarnations, mais qui choisit de renoncer à la paix définitive tant qu’il y aura encore des humains piégés dans l’affreux processus des renaissances. Le boddhisatva s’engage donc dans un bénévolat infini dont il n’espère rien de plus que ce qu’il a déjà obtenu. La théologie chrétienne contient une théorie qui n’est jamais devenue très populaire mais qui entrouvre aussi la porte à une générosité sans comptabilité des coûts et bénéfices. C’est la théorie du jour de l’apocatastase ou de la réconciliation finale. Selon Origène, ce jour-là, Lucifer lui-même deviendra ami de Dieu. Cela veut dire que tout le monde sera proclamé juste. Dans ce cas, ma générosité actuelle ne m’assurerait rien que d’autres, y compris les méchants, n’auront pas à la fin des temps. En islam, c’est Rabi’a, une femme mystique, poétesse de la divinité, qui a proposé une vision de la vertu « qui n’espère aucune récompense et ne craint aucun châtiment ». Elle mit en scène sa vision de l’amour pur de façon saisissante : un jour, des soufis rencontrèrent Rab’ia qui courait avec une torche enflammée dans une main et un récipient d’eau dans l’autre. Ils lui demandèrent : « Où vas-tu, ô dame du monde futur? » Elle répondit : « Je vais incendier le paradis et éteindre l’enfer… »

Melchior M’Bonimpa

2022/10/31 – Lc 14, 12-14

Aux nombreux barbecues que nous nous offrons en été, l’évangile d’aujourd’hui nous conseille d’inviter, non pas des amis, des parents et de riches voisins qui pourront à leur tour nous rendre la pareille, mais plutôt des pauvres, des estropiés, des boiteux et des aveugles incapables de renvoyer l’ascenseur. Ce texte très bref surprend parce qu’il souligne ce qui passe souvent inaperçu : les relations sociales normales ressemblent à un investissement. D’y penser, même l’amour des parents pour leurs enfants n’échappe pas complètement au calcul. Les parents acceptent des sacrifices, parfois à la limite de l’impossible, mais, dans toutes les cultures, on attend des enfants qu’ils prennent soin de leurs vieux parents : une sorte de remboursement de la dette.

Même dans cet évangile, l’abnégation demandée n’est pas totale. Une récompense est promise, bien qu’il faille attendre le jugement dernier pour la toucher : « …en effet, cela te sera rendu à la résurrection des justes. » Remarquons en passant que l’encouragement à la générosité n’est pas ce qui fait du christianisme une religion unique en son genre. S’il fallait ramener tout l’enseignement du bouddhisme à un seul mot clé, ce serait le mot compassion. Et l’obligation de l’aumône est l’un des cinq piliers de l’islam qui proclame que tous les biens appartiennent à Allah, et que personne n’a le droit d’en user et d’en abuser pendant que d’autres crèvent de faim. Cela dit, il semble que les religions ne croient pas que la nature humaine soit capable d’une abnégation absolue. La vertu paye en fin de compte, en ce monde ou dans l’autre. Selon le christianisme et l’islam, ce que nous aurons donné aux pauvres sans espoir de retour nous sera rendu au dernier jour. Et selon le bouddhisme, notre compassion hâtera notre accès au Nirvana, à la cessation des réincarnations qui sont des rechutes dans la souffrance, dans le désastre.

Il faut chercher longtemps avant de trouver dans les textes sacrés des diverses traditions spirituelles de l’humanité de rares passages qui laissent entrevoir la possibilité, chez l’être humain, d’une générosité inconditionnée et sans limites. C’est le cas dans le bouddhisme Mahayana (grand véhicule) qui a inventé la notion du boddhisatva : un être qui a réussi à sortir de la roue des réincarnations, mais qui choisit de renoncer à la paix définitive tant qu’il y aura encore des humains piégés dans l’affreux processus des renaissances. Le boddhisatva s’engage donc dans un bénévolat infini dont il n’espère rien de plus que ce qu’il a déjà obtenu. La théologie chrétienne contient une théorie qui n’est jamais devenue très populaire mais qui entrouvre aussi la porte à une générosité sans comptabilité des coûts et bénéfices. C’est la théorie du jour de l’apocatastase ou de la réconciliation finale. Selon Origène, ce jour-là, Lucifer lui-même deviendra ami de Dieu. Cela veut dire que tout le monde sera proclamé juste. Dans ce cas, ma générosité actuelle ne m’assurerait rien que d’autres, y compris les méchants, n’auront pas à la fin des temps. En islam, c’est Rabi’a, une femme mystique, poétesse de la divinité, qui a proposé une vision de la vertu « qui n’espère aucune récompense et ne craint aucun châtiment ». Elle mit en scène sa vision de l’amour pur de façon saisissante : un jour, des soufis rencontrèrent Rab’ia qui courait avec une torche enflammée dans une main et un récipient d’eau dans l’autre. Ils lui demandèrent : « Où vas-tu, ô dame du monde futur? » Elle répondit : « Je vais incendier le paradis et éteindre l’enfer… »

Melchior M’Bonimpa

2021/11/01 – Mt 5, 1-12a

Les béatitudes sont annoncées aux disciples.
Heureux les pauvres de coeur: le Royaume des cieux est à eux.
Heureux les doux: ils posséderont la terre.
Heureux ceux qui pleurent: ils seront consolés.
Heureux ceux qui ont faim de justice: ils seront rassasiés.
Heureux les miséricordieux: ils obtiendront miséricorde.
Heureux les cœurs purs: ils verront Dieu.
Heureux les artisans de paix: ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice: le Royaume des cieux est à eux.
Heureux ceux qui sont persécutés à cause du Christ: leur récompense sera grande dans les cieux.

Quand les disciples de Jean Baptiste sont venus demander à Jésus s’il était le Messie ou s’il fallait en attendre un autre Jésus a répondu en décrivant son oeuvre à la manière d’Isaïe:
les aveugles voient et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. (Matthieu 11,4)

C’était là des œuvres de libération qui étaient des signes de la libération intérieure qu’apportait la présence du Royaume. C’était souvent complété par des remarques comme: ta foi t’a sauvé ou tes péchés te sont remis, pour souligner que cette libération était avant tout intérieure.

La liste des béatitudes au début du sermon sur la montagne donne des exemples de ceux qui sont ouverts pour accueillir le Royaume et sa libération. On peut les caractériser par ce que l’Ancien Testament appelait les anawim de Yahvé, les pauvres dans le sens des petits de Yahvé. Ce sont ceux qui connaissent leurs limites et leurs faiblesses et qui savent que par leur propres moyens ils ne peuvent atteindre la libération et que Dieu seul peut combler leur attente. On les appelait aussi des justes comme le vieillard Siméon lors de la présentation de Jésus au temple. On disait de lui qu’il était juste et pieux parce qu’il attendait la consolation d’Israël et que l’Esprit Saint reposait sur lui. Dans le Nouveau Testament, on les appelle les saints, qu’ils soient déjà dans le repos de Dieu ou qu’ils soient encore dans les communautés chrétiennes. Comme dit le Psaume 95, ils ont été créés par Dieu, appelés par Lui et ils ont répondu à son appel. Ils constituent le peuple de Dieu, le peuple de ceux qui ont cherché la face de Dieu.

La fête de la Toussaint célèbre ceux du peuple de Dieu qui sont déjà dans le repos et la présence du Seigneur, les justes qui ont été rendus parfaits, mais on célèbre aussi le fait que nous faisons partie du même peuple comme le dit l’épître aux Hébreux:

Vous vous êtes approchés de la montagne de Sion et de la cité du Dieu vivant, de la Jérusalem céleste, et de myriades d’anges, réunion de fête, et de l’assemblée des premiers-nés qui son inscrits dans les cieux, d’un Dieu Juge universel et des esprits des justes qui ont été rendus parfaits. (Épître aux Hébreux 12,22-23)

Jean Gobeil SJ