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2023/03/04 – Mt 5, 43-48

Vous avez appris qu’il a été dit: Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien moi, je vous dis: Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est dans les cieux: car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous? Les publicains n’en font-ils pas autant? … Vous donc soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait.

Les antithèses précédentes commençaient par une citation de l’Ancien Testament. Celle-ci ne donne pas une citation textuelle. Le devoir d’aimer le prochain se trouve dans le Lévitique (19,16) mais le prochain est compris comme un membre de la communauté d’Israël. Pour la haine des ennemis, il faut se rappeler que les ennemis d’Israël sont considérés comme des ennemis de Dieu d’abord, ce qui explique la violence de certains psaumes. Ainsi on ne peut ni sympathiser ni pactiser avec eux. Mais la forme de haïr les ennemis peut traduire une forme hébraïque comme: Tu n’es pas tenu d’aimer tes ennemis. De toute façon, Jésus a utilisé une formule reçue qui n’a rien à voir avec l’amour des ennemis!

En réponse à cette formule, Jésus utilise la forme solennelle: Eh bien moi, je vous dis… Il affirme ainsi son autorité et souligne l’importance de ce qui va suivre. Et Jésus déclare qu’il faut aimer ses ennemis. A moins de cela, la justice d’un disciple ne dépasserait pas ce que font régulièrement les collecteurs de taxes et les païens, les deux classes de gens religieusement les plus basses pour des Juifs.

Sur quoi se basent les exigences du Royaume de Dieu en général et en particulier celle d’aimer ses ennemis? Pour ceux qui écoutent le Sermon sur la montagne, il y a une condition requise sans laquelle les demandes du sermon restent impossibles. C’est cette condition que le Christ révèle. Dieu est notre Père et il veut que nous soyons ses enfants. Et l’amour pour le Père est plus qu’une obéissance à des lois. Cet amour doit être une imitation de son esprit : Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait.

Personne n’est exclu de l’offre que Dieu fait. Ceux qui croient en un Dieu Père, ne peuvent pas, eux non plus, exclure quelqu’un de l’amour. Luc a voulu préciser de quelle sorte d’amour il s’agissait. Au lieu de dire Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait, il a dit : Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. (Luc 6,36)

Jean Gobeil SJ

2023/03/03 – Mt 5, 20-26

Les mots « loi, précepte, obligation » ne sont guère populaires de nos jours. Ils provoquent une réaction de défense, parce que nous avons l’impression qu’ils expriment des contraintes ou même qu’ils attaquent notre liberté.

Pourquoi donc la Loi occupait-elle une telle importance dans les préoccupations de l’élite et du peuple, au temps de Jésus ? Parce qu’elle manifestait la volonté de Dieu et qu’elle protégeait les Juifs contre l’idolâtrie du monde païen qui les entourait.

Cette Loi était-elle une contrainte ou bien une manifestation de bienveillance du Seigneur ? Tout dépend de l’image qu’on se fait du Dieu en qui nous croyons : soit un Maître dominateur, qui surveille et qui punit; ou bien, un Père qui regarde sans cesse les siens avec amour ? Si nous vivons sous le regard aimant de Dieu, la Loi exprime sa volonté pour éclairer la voie de la vie et du bonheur. Sans jamais nous brimer, il nous laisse libres de l’accepter ou de la refuser.

La ‘justice’, dont parle Jésus, désigne la conduite du croyant en accord avec la volonté de Dieu exprimée dans la Loi. L’ensemble de ces lignes de conduite constitue le nouveau programme de Jésus, comparé à celui de Moïse, tel que les rabbins l’enseignaient. « On vous a dit (aux assemblées de la synagogue), mais, moi, je vous dis. »

La justice des Pharisiens et celle de Jésus

La ‘justice’ des Pharisiens, leur morale, était austère et se conformait à une série de 613 commandements, provenant de la Loi écrite et de la tradition. Cette multiplication des commandements visait à protéger le peuple élu contre les influences païennes autour de lui. Même si cet ensemble de prescriptions était pesant, il était possible de les observer, car elles concernaient la conduite extérieure des fidèles et elles étaient donc mesurables.

La ‘justice’ que proclame Jésus ne consiste pas en une nouvelle série de lois. Jésus réduit toutes les lois à une seule, celle d’aimer. Or l’amour parfait est un idéal qui devient une utopie. Il n’est pas mesurable, car il ne pourra jamais être atteint. En conséquence, le chrétien ne peut accomplir cette loi et a toujours conscience d’être pécheur, n’ayant jamais rempli cette loi de l’amour. Il demeure sans cesse dépendant de la miséricorde de Dieu. Il est donc toujours pécheur, mais pécheur pardonné.

Acte extérieur et motivation intérieure

Chacun des six exemples, que Jésus présente pour illustrer cette ‘justice’ supérieure, montre qu’il vise non seulement l’action extérieure de la personne humaine, mais surtout l’intention de celle qui agit. Toute la valeur, positive ou négative de l’action extérieure, provient de l’intention qui l’a motivée.

Le premier exemple porte sur la colère et le meurtre. Sans enlever la vie corporelle au prochain, on peut le tuer de bien des manières, par exemple en l’humiliant en parole, en l’insultant, en ternissant sa réputation,…

Défendre seulement la manifestation extérieure de la colère, c’est l’équivalent de l’intervention d’un chirurgien qui se limite à enlever une tumeur maligne, mais qui laisse intacte la racine de cette tumeur. Jésus va à la racine du meurtre, c’est-à-dire la haine, qui tend à détruire son prochain et qui produit de telles actions.

Amour et sacrifice

L’amour ne se limite pas à éviter l’agressivité à l’égard du prochain. L’amour n’est pas seulement négatif, il tend à procurer le bonheur de son frère. Aussi l’amour prend l’initiative de la réconciliation. Celui qui a l’amour dans son cœur fait les premiers pas.

Il ne faut pas s’illusionner avec des sacrifices. Qu’ils soient de n’importe quelle sorte, les sacrifices sont extérieurs à la personne qui les offre et n’ont aucune valeur, s’ils ne sont pas animés de l’intérieur par la miséricorde. Cette dénonciation des sacrifices purement extérieurs reprend les diatribes des prophètes contre l’illusion d’offrir des sacrifices pour masquer son injustice.

La ‘justice’ des Pharisiens apparaît comme une morale extrêmement exigeante, mais limitée et fermée. Le fidèle qui a observé tous les commandements, même les plus petits, peut se déclarer satisfait de lui-même. En contraste à cette ‘justice’ fermée, Jésus propose une ‘justice’ ouverte à l’infini, appelant le croyant à toujours progresser dans l’amour, sans qu’un terme mette fin à sa générosité.

Aussi le chrétien ressent continuellement sa pauvreté face au Seigneur qu’il aime. La célébration de l’eucharistie rappelle sans cesse qu’il doit être humble : au début, il confesse ses fautes et, même juste avant de communier, il répète : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir… » Mais la parole de grâce peut le purifier et lui donner gratuitement cette dignité.

Jean-Louis D’Aragon SJ 

2023/03/02 – Mt 7, 7-12

Demandez et vous obtiendrez. Suit une énumération insistant sur la persévérance de la prière et la certitude d’être écouté. La justification est que nous sommes des fils et nous nous adressons à un Père qui ne peut donner que de bonnes choses. Suit la règle d’or qui dit comment aimer son prochain: en faisant pour les autres ce qu’on voudrait que les autres fassent pour soi.

Dans le sermon sur la montagne, la prière occupe une place importante. En parlant de prier en secret, on commençait par parler de l’attitude qu’il fallait avoir: retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est là. La proximité de Dieu demandait une attitude d’intériorité.

Lorsque Jésus parle de Dieu et dit votre Père, le sens pourrait être Dieu, votre Créateur. Mais lorsqu’il donne la prière du Notre Père à ses disciples, il les fait ainsi participer à sa propre relation d’intimité avec Dieu qui lui permettait d’employer un terme de familiarité comme le abba. On peut comprendre que les disciples aient eu quelques hésitations à s’adresser à Dieu comme Jésus le faisait. Notre texte vient les encourager.

Demandez, cherchez, frappez… La liste invite à une grande confiance qui peut se baser sur l’expérience de la paternité humaine. Un père ne donnera pas de mauvaises choses à son enfant qui lui demande quelque chose. A plus forte raison, votre Père qui est aux cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent. Ces bonnes choses sont spécialement ce qui regarde le Règne de Dieu. Luc, dans le même passage, les explicite en disant: …le Père donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux l’en prient. (Luc 11,13) C’est ce que le Règne apporte pourvu qu’on le demande et qu’on l’accueille.

La dernière phrase de notre texte est en fait la conclusion du sermon sur la montagne, même s’il y aura ensuite un épilogue. Le sermon avait commencé par la déclaration de Jésus à l’effet qu’il n’était pas venu abolir la Loi et les Prophètes, mais les accomplir. La mention, ici, de la Loi et des Prophètes vient donc boucler le sermon. La règle d’or, faire aux autres ce qu’on voudrait qu’ils nous fassent, est donnée comme résumant toute l’Écriture, la Loi et les Prophètes. En fait, la règle d’or existait déjà dans le répertoire rabbinique, mais sous une forme négative : Ce qui te déplaît ne le fait pas à autrui: voilà toute la Loi. Tout le reste n’est que commentaire. La forme positive telle que Jésus la donne est beaucoup plus exigeante d’autant plus qu’elle s’adresse à tous les autres et pas seulement aux frères. Et ce n’est probablement pas par accident que ce regard sur ce qu’il faut faire pour les autres soit placé immédiatement après ce qui parlait de la relation intime avec le Père: la dimension verticale ne doit pas faire oublier la dimension horizontale.

Jean Gobeil SJ

2023/03/01 – Lc 11, 29-32

La foule s’amasse probablement à la recherche de signes spectaculaires puisque Jésus accuse cette génération de chercher des signes. Le seul signe sera la personne même de Jésus comme la personne de Jonas a été le signe pour la population de Ninive. La reine de Saba n’a pas eu besoin d’autre signe que les paroles de sagesse de Salomon et maintenant il y a ici beaucoup plus que Salomon. Les gens de Ninive se sont convertis lors de la proclamation de Jonas et il y a ici bien plus que Jonas.

Au milieu de controverses et de gens qui réclament un signe dans le ciel, un femme proclame son admiration en déclarant bienheureuse la mère de Jésus. Sans la contredire, Jésus déclare qui sont vraiment bienheureux: ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui l’observent. La grandeur de la foi est plus que la maternité charnelle.

Comme la foule s’amasse et que sont encore là ceux qui venaient de réclamer des signes dans le ciel, Jésus va dire quels sont les signes qui sont importants et quelle doit être la réponse à ces signes. Il rappelle d’abord l’exemple des gens de Ninive dans l’histoire du prophète Jonas. Les habitants de Ninive sont des Assyriens qui non seulement sont des païens mais encore un peuple très belliqueux.

Ce sont eux qui détruiront Samarie, la capitale du royaume d’Israël (royaume du nord) en 722 et feront déporter sa population. Or, le seul signe qui est donné à la population de Ninive est la parole du prophète Jonas qui annonce que Dieu, dans 40 jours, va détruire Ninive à cause de ses fautes. Toute la population crut à la parole de Dieu et on décréta un jeûne complet du roi jusqu’aux animaux.

Devant cette réaction, Dieu se repentit du mal dont il les avait menacés, il ne le réalisa pas, au grand chagrin de Jonas de voir une belle prédiction complètement gaspillée! C’est pourtant la personne de Jonas et sa parole qui ont été le signe pour ces païens. Ils n’ont pas seulement écouté la parole mais ils ont agi à cause d’elle: ils l’ont observée. Il en sera de même pour le Fils de l’homme: c’est lui et sa parole qui sera le signe.

Il en fut de même pour la reine de Saba: Salomon et ses paroles de sagesse lui ont suffi comme signe. Jésus déclare que la reine de Saba et les gens de Ninive se lèveront pour condamner cette génération qui n’est pas satisfaite d’un signe qui est plus grand que Jonas et plus grand que Salomon.

Jean Gobeil SJ 

2023/02/28 – Mt 6, 7-15

Le sermon sur la montagne parle des trois pratiques religieuses courantes en Israël: l’aumône, la prière et le jeûne. Trois fois Jésus mentionne la condition du secret. Pour la prière, il ajoute que ce n’est pas la quantité de paroles qui fait la valeur d’une prière mais la confiance dans le Père qui connaît nos besoins. Il leur donne ensuite un modèle de prière: le Notre Père. Il insiste sur la dernière demande: une demande de pardon qui suppose qu’on pardonne aux autres.

Les disciples ont été frappés par la façon de prier de Jésus. Il s’adresse au Père en utilisant un terme de familiarité comme Abba. On a une trace de l’étonnement des disciples dans le fait que Marc, qui écrit pour des lecteurs qui ne connaissent pas l’araméen, cite la prière de Jésus à Gethsémani en gardant le mot Abba (Marc 14,36). En donnant l’exemple du Notre Père comme prière pour ses disciples, Jésus a dû employer le même mot qui surprendra Paul puisque, par deux fois, il déclare que les disciples qui prient en utilisant le mot Abba montrent ainsi la présence de l’Esprit Saint en eux (Galates 4,6; Romains 8,15). C’est donc à une intimité et une proximité avec Dieu que sont conviés les disciples par le don de cette prière.

Matthieu est toujours conscient de la dimension ecclésiale. Au lieu de commencer simplement par Père (comme dans Luc), il fait dire Notre Père: en tant que disciples du Christ, on constitue une famille et on ne prie jamais seul. Comme dira saint Augustin: S’il n’y a qu’un seul chrétien, cela veut dire qu’il n’y a plus de chrétien.

Mais en même temps qu’on s’adresse à lui de cette façon familière, il ne faut pas oublier que c’est à notre Dieu que nous parlons. C’est pour cela que Matthieu ajoute qui es aux cieux, ce qui est la façon juive d’éviter, par respect, de prononcer le nom de Dieu. C’est donc ainsi que commence cette prière: Notre Père et notre Dieu. C’est le résumé de la relation que le Christ offre à ses disciples: une vie dans l’intimité de Dieu.

C’est pour que se réalise cette vie en lui-même que celui qui prie demande: que ta volonté soit faite, que ton Règne arrive. Alors passera à travers ce disciple la sainteté de Dieu et le Nom de Dieu sera glorifié: que ton Nom soit sanctifié.

Après avoir souhaité et accepté la volonté de Dieu pour que se réalise ce grand dessein de Dieu, il est normal de demander à Dieu son aide pour chaque jour: Donne-nous notre pain de ce jour.

Conscients de notre indignité et de nos faiblesses, nous demandons à Dieu son pardon en nous rappelant sa parole que si nous voulons être pardonnés il faut être prêts à le faire pour les autres.

Très tôt, la liturgie a ajouté une conclusion au texte de Matthieu. C’est une belle doxologie, c’est-à-dire un hymne de louange à la gloire de Dieu:
Car à toi appartiennent le Règne, la Puissance et la Gloire pour les siècles des siècles. Amen.

Jean Gobeil SJ 

2023/02/27 – Mt 25, 31-46

Ce texte trace une fresque du jugement dernier. Le Fils de l’homme vient dans sa gloire, avec la cour des anges. Devant son trône de gloire, sont assemblées toutes les nations. Il rassemble les élus à sa droite et renvoi à sa gauche les réprouvés. Le Roi, c’est-à-dire le Fils de l’homme dans sa gloire, invite les élus à recevoir en héritage le royaume préparé pour eux depuis la création du monde parce qu’ils lui ont donné à manger quand il avait faim, à boire quand il avait soif, l’ont vêtu ou visité quand il était dans le besoin. C’est la surprise pour les élus. Le Roi explique que les oeuvres de miséricorde qu’ils ont faites pour les autres c’est à Lui qu’ils les ont faites. Les réprouvés, eux, n’ont rien fait de ces oeuvres de miséricorde pour Lui et sont donc rejetés pour l’éternité.

Le Sermon sur la montagne s’était terminé par la recommandation de Jésus sur la nécessité de faire passer dans ses actions ce sermon: Ce n’est pas en me disant, Seigneur! Seigneur! qu’on entrera dans le Royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est dans les Cieux. (Mt.7,21) Tout le chapitre 25 de l’évangile de Matthieu est une exhortation sur le même sujet.

Il commence par la parabole des dix vierges qui sont invitées à un repas de noces le soir, avec leurs lampes. Celles qui sont vigilantes se pourvoient d’huile et elles ont des lampes allumées quand arrive l’époux, tandis que les autres, avec leurs lampes éteintes, se voient refuser l’entrée. La recommandation aux auditeurs est de veiller pour être prêts. Veiller pour être prêt, c’est agir.

La parabole suivante illustre cette prévoyance que tout disciple doit avoir: c’est la parabole des talents. Matthieu qui, selon la tradition, est le même que l’apôtre qui était un collecteur d’impôts, a retenu cette parabole du monde des affaires (notez la mention des banquiers). Un talent est une grosse somme d’argent: elle équivaut à 15 ans de salaire pour un ouvrier. Au moment de s’absenter, un maître confit des talents à ses serviteurs selon la capacité de chacun. Deux des serviteurs s’empressent aussitôt d’investir ce qu’ils ont reçu pour le faire profiter. Le troisième, lui, cache le talent qu’il a reçu. Au retour du maître, les deux premiers sont loués. Ils recevront encore plus mais surtout ils sont invités à entrer dans la joie de leur Seigneur, ce qui, pour des oreilles chrétiennes, représente le festin dans le Royaume des Cieux dont Jésus a déjà parlé (8,11). Quant à celui qui avait caché son talent, on lui enlève ce talent et il est jeté dehors. L’application est évidente: tout disciple est un gérant de ce qu’il a reçu de Dieu: il doit le faire profiter.

Comment faire profiter ce qu’on a reçu de Dieu? La réponse est notre texte aujourd’hui. Il y avait déjà des listes des oeuvres de miséricorde dans l’Ancien Testament. Dans Isaïe, Dieu préfère ces oeuvres plutôt que le jeûne (Is.58,7). Il y en a une qui est mentionnée ici mais qui n’est pas mentionnée dans ces listes de l’Ancien Testament: la visite aux prisonniers. Les chrétiens connaissent maintenant la prison, comme les persécutions.

Devant la déclaration de Jésus à ceux qui sont à sa droite qu’Ils lui ont donné à manger quand il avait faim et à boire quand il avait soif, qu’ils l’ont accueilli quand il était un étranger, qu’ils l’ont vêtu quand il était nu, visité quand il était malade ou en prison, les élus sont surpris et demandent quand cela est-il arrivé. Cette surprise est importante dans le texte car elle suggère que c’est seulement dans la gloire finale que les élus peuvent comprendre la profondeur de la solidarité du Christ avec les malheureux, d’où l’importance pour ses disciples d’avoir un amour réel pour le prochain et une charité vraiment agissante.

Jean Gobeil SJ 

2022/12/03 – Mt 9, 35 – 10, 15.6-8

Un sommaire de la mission de Jésus introduit le passage que nous propose aujourd’hui la liturgie. Trois traits caractérisent le ministère du Christ: enseigner, proclamer la Bonne Nouvelle du Règne de Dieu et guérir toute maladie (9,35). Ce sommaire répète celui de 4,23, qui introduisait le Sermon sur la montagne (chap. 5–7) et la série de dix miracles qui suivent le Sermon (de 8,1 à 9,34).  Cette répétition du même sommaire, au début et à la fin, est une indication de l’évangéliste pour montrer l’unité contenue entre ces deux résumés. Matthieu affirme de cette manière que la mission de Jésus, telle qu’il la décrit dans cette section allant de 4, 23 à 9, 34 se prolongera maintenant dans celle de ses disciples. Ce rappel en effet du résumé du ministère de Jésus introduit l’envoi en mission des disciples qui va suivre.

Jésus a pu atteindre une nombre limité d’auditeurs durant son bref ministère, mais il confie à ses disciples de poursuivre sa mission, avec les mêmes traits caractéristiques que la sienne. Ses disciples immédiats représentent tous ceux qui croiront en lui et à son Évangile jusqu’à la fin de l’histoire. Ils auront la même dignité et la même responsabilité de répandre partout la Bonne Nouvelle du salut et de la vie éternelle. Matthieu met ainsi en relief sa préoccupation de rattacher étroitement l’Église au Christ. La mission des disciples et de tous ceux et celles qui suivront s’enracine dans la mission même de Jésus.

Jésus ordonne aux douze disciples d’aller seulement vers les brebis perdues du peuple d’Israël (10, 5s). Mais cette mission limitée prépare et préfigure la mission universelle que le Ressuscité enjoindra à tous les chrétiens: Allez vers toutes les nations (Mt 28, 19).

Les foules qui suivent Jésus subissent la misère et la souffrance. Ces foules abattues, qui peinent dans les ténèbres de ce monde, se retrouvent à toutes les époques. Leur désarroi provient de ce qu’elles n’ont personne pour les guider, pour leur offrir la lumière, pour les rassembler et pour faire jaillir en elles l’espérance, en les remettant sur la voie qui mène à leur Seigneur et Père. Des gourous surgissent, qui prétendent parler au nom de Dieu, comme les faux prophètes de l’Ancien Testament qui faisaient miroiter les illusions menant au désespoir.

Mais les vrais pasteurs, c’est Dieu qui les choisit et qui les envoie paître son troupeau. Il est futile de mettre notre confiance dans nos moyens humains pour susciter des pasteurs. Les aumônes pour des séminaristes sont certes des actions admirables, mais nos gestes porteront des fruits, si nous prions le Seigneur qui, seul, peut créer des vocations.

Il ne faudrait pas, cependant, restreindre notre prière aux seules vocations sacerdotales et religieuses. On a trop souvent limité nos demandes à ces types de vocations, pour leur remettre nos propres obligations missionnaires. Tout chrétien est missionnaire. On a oublié que les vocations particulières au sacerdoce et à la vie religieuse ne fleurissent qu’au milieu des vocations de tous les chrétiens. En nous créant, le Seigneur a inséré en chacun et chacune de nous une mission particulière. La nôtre n’est pas celle du voisin, comme notre figure se distingue de toutes les autres. Pour être fidèle à l’intention de notre Créateur, il nous faut entendre sa voix et découvrir la mission qui nous est propre. L’ensemble des chrétiens fidèles à leur vocation particulière constituera une Église fervente, dans laquelle « le Maître de la moisson » choisira des ouvriers pour les associer d’une manière spéciale à son oeuvre d’évangélisation. Les vocations sacerdotales et religieuses ne surgissent pas au milieu d’un champ stérile, où la foi se réduit à celle du consommateur, celui qui regarde les autres travailler, sans s’engager dans la mission particulière à laquelle le Maître l’appelle.

Nombreux étaient les disciples qui suivaient Jésus. Pourquoi ne les a-t-il pas tous envoyés en mission? Luc (10, 1-12) rapporte que, après la mission des douze, Jésus mandata 72 disciples pour étendre et prolonger son propre ministère. Pourquoi cette insistance ici sur les seuls douze?

Leur nombre est significatif, car il manifeste la continuité du peuple choisi et dirigé par Dieu, depuis la nation aux douze patriarches, constituée par douze tribus dans le Premier Testament. Ceux que le Christ a choisi et mandaté pour cette mission spéciale sont intentionnellement douze pour montrer que c’est toujours le même peuple de Dieu qui se prolonge dans l’Église. Cette continuité du peuple élu dans l’histoire, malgré ses rivalités, ses divisions et ses infidélités, demeure toujours le peuple prédestiné par Dieu, dont la fidélité à ses promesses assure la marche vers la Terre promise.

Les disciples que le Christ envoie sont des Galiléens simples, illettrés, qui n’ont aucun talent humain pour accomplir la mission que leur Maître leur confie. Le succès qu’ils obtiendront proviendra de leur foi et de la vive conviction que l’Esprit Saint leur accordera. Ces disciples nous représentent et leur mission préfigure celle des  tous les chrétiens. Nous n’avons pas le droit de conserver pour nous-mêmes la lumière et la vie de l’Évangile, que nous avons reçu gratuitement. L’apôtre Paul s’écrie « Malheur à moi si je ne proclame pas l’Évangile » (1 Cor 9,16). C’est aussi notre « malheur », la malédiction, la séparation du Seigneur, source de la résurrection, si nous demeurons passifs et consommateurs, sans le souci de répandre autour de nous l’amour et la vie.

Jean-Louis D’Aragon SJ

2022/03/12 – Mt 5, 43-48

Vous avez appris qu’il a été dit: Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien moi, je vous dis: Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est dans les cieux: car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous? Les publicains n’en font-ils pas autant? … Vous donc soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait.

Les antithèses précédentes commençaient par une citation de l’Ancien Testament. Celle-ci ne donne pas une citation textuelle. Le devoir d’aimer le prochain se trouve dans le Lévitique (19,16) mais le prochain est compris comme un membre de la communauté d’Israël. Pour la haine des ennemis, il faut se rappeler que les ennemis d’Israël sont considérés comme des ennemis de Dieu d’abord, ce qui explique la violence de certains psaumes. Ainsi on ne peut ni sympathiser ni pactiser avec eux. Mais la forme de haïr les ennemis peut traduire une forme hébraïque comme: Tu n’es pas tenu d’aimer tes ennemis. De toute façon, Jésus a utilisé une formule reçue qui n’a rien à voir avec l’amour des ennemis!

En réponse à cette formule, Jésus utilise la forme solennelle: Eh bien moi, je vous dis… Il affirme ainsi son autorité et souligne l’importance de ce qui va suivre.

Et Jésus déclare qu’il faut aimer ses ennemis. A moins de cela, la justice d’un disciple ne dépasserait pas ce que font régulièrement les collecteurs de taxes et les païens, les deux classes de gens religieusement les plus basses pour des Juifs.

Sur quoi se basent les exigences du Royaume de Dieu en général et en particulier celle d’aimer ses ennemis? Pour ceux qui écoutent le Sermon sur la montagne, il y a une condition requise sans laquelle les demandes du sermon restent impossibles. C’est cette condition que le Christ révèle.

Dieu est notre Père et il veut que nous soyons ses enfants. Et l’amour pour le Père est plus qu’une obéissance à des lois. Cet amour doit être une imitation de son esprit : Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait.

Personne n’est exclu de l’offre que Dieu fait. Ceux qui croient en un Dieu Père, ne peuvent pas, eux non plus, exclure quelqu’un de l’amour. Luc a voulu préciser de quelle sorte d’amour il s’agissait. Au lieu de dire Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait, il a dit : Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux.   (Luc 6,36)

Jean Gobeil SJ

2022/03/11 – Mt 5, 20-26

Les mots « loi, précepte, obligation » ne sont guère populaires de nos jours. Ils provoquent une réaction de défense, parce que nous avons l’impression qu’ils expriment des contraintes ou même qu’ils s’attaquent à notre liberté.

Pourquoi donc la Loi occupait-elle une telle importance dans les préoccupations du peuple, au temps de Jésus ? Parce qu’elle manifestait la volonté de Dieu et qu’elle protégeait les fidèles contre l’idolâtrie du monde païen qui les entourait.

Cette Loi était-elle une contrainte ou bien une manifestation de bienveillance du Seigneur ? Tout dépend de l’image qu’on se fait du Dieu en qui nous croyons : soit un Maître dominateur, qui surveille et qui punit; ou bien, un Père qui regarde sans cesse les siens avec amour ? Si nous vivons sous le regard aimant de Dieu, la Loi exprime sa volonté pour éclairer la voie de la vie et du bonheur. Sans jamais nous brimer, il nous laisse libres de l’accepter ou de la refuser.

La « justice », dont parle Jésus, désigne la conduite du croyant en accord avec la volonté de Dieu exprimée dans la Loi. L’ensemble de ces lignes de conduite constitue le nouveau programme de Jésus, comparé à celui de Moïse, tel qu’on l’enseignait dans les synagogues. « On vous a dit » (à la synagogue), moi, je vous dis. »

La justice des Pharisiens et celle de Jésus

La ‘justice’ des Pharisiens, leur morale, était austère et se conformait à une série de 613  commandements, provenant de la Loi écrite et de la tradition. Cette multiplication des commandements visait à protéger le peuple élu contre les influences païennes autour de lui. Même si cet ensemble de prescriptions était pesant, il était possible de les observer, car elles concernaient la conduite extérieure des fidèles et elles étaient donc mesurables.

La ‘justice’ que proclame Jésus ne consiste pas en une nouvelle série de lois. Jésus réduit toutes les lois à une seule, celle d’aimer. Or l’amour parfait est un idéal qui devient une utopie. Il n’est pas mesurable, car il ne pourra jamais être atteint. En conséquence, le chrétien ne peut accomplir cette loi et a toujours conscience d’être pécheur, n’ayant jamais rempli cette loi de l’amour. Il demeure sans cesse dépendant de la miséricorde de Dieu. Il est donc toujours pécheur, mais pécheur pardonné.

Acte extérieur et motivation intérieure

Chacun des six exemples, que Jésus présente pour illustrer cette ‘justice’ supérieure, montre qu’il concerne non seulement l’action extérieure de la personne humaine, mais vise surtout l’intention de celle qui agit. Toute la valeur, positive ou négative de l’action extérieure, provient de l’intention qui l’a motivée.

Le premier exemple porte sur la colère et le meurtre. Sans enlever la vie corporelle au prochain, on peut le tuer de bien des manières, par exemple en l’humiliant en parole, en l’insultant, en ternissant sa réputation,…

Défendre seulement la manifestation extérieure de la colère, c’est l’équivalent de l’intervention d’un chirurgien qui se limite à enlever une tumeur maligne, mais qui laisse intacte la racine de cette tumeur. Jésus va à la racine du meurtre, c’est-à-dire la haine, qui tend à détruire son prochain.

Amour et sacrifice

L’amour ne se limite pas à éviter l’agressivité à l’égard du prochain. L’amour n’est pas seulement négatif, il tend à procurer le bonheur de son frère. Aussi l’amour prend l’initiative de la réconciliation. Celui qui a l’amour dans son cœur fait les premiers pas.

Il ne faut pas s’illusionner avec des sacrifices. Qu’ils soient de n’importe quelle sorte, les sacrifices sont extérieurs à la personne qui les offre et n’ont aucune valeur, s’ils ne sont pas animés de l’intérieur par la miséricorde. Cette dénonciation des sacrifices purement extérieurs reprend les diatribes des prophètes contre l’illusion d’offrir des sacrifices pour masquer son injustice.

La ‘justice’ des Pharisiens apparaît comme une morale extrêmement exigeante, mais fermée. Le fidèle qui a observé tous les commandements, même les plus petits, peut se déclarer satisfait de lui-même. En contraste à cette ‘justice’ fermée, Jésus propose une ‘justice’ ouverte à l’infini, appelant le croyant à toujours progresser dans l’amour, sans qu’un terme mette fin à sa générosité.

Aussi le chrétien ressent continuellement sa pauvreté face au Seigneur qu’il aime. La célébration de l’eucharistie rappelle sans cesse qu’il doit être humble : au début, il confesse ses fautes et, même juste de communier, il répète : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir… » Mais la parole de grâce peut le purifier et lui donner gratuitement cette dignité.

Jean-Louis D’Aragon SJ

 

2022/03/10 – Mt 7, 7-12

Demandez et vous obtiendrez. Suit une énumération insistant sur la persévérance de la prière et la certitude d’être écouté. La justification est que nous sommes des fils et nous nous adressons à un Père qui ne peut donner que de bonnes choses. Suit la règle d’or qui dit comment aimer son prochain: en faisant pour les autres ce qu’on voudrait que les autres fassent pour soi.

Dans le sermon sur la montagne, la prière occupe une place importante. En parlant de prier en secret, on commençait par parler de l’attitude qu’il fallait avoir: retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est là. La proximité de Dieu demandait une attitude d’intériorité.

Lorsque Jésus parle de Dieu et dit votre Père, le sens pourrait être Dieu, votre Créateur. Mais lorsqu’il donne la prière du Notre Père à ses disciples, il les fait ainsi participer à sa propre relation d’intimité avec Dieu qui lui permettait d’employer un terme de familiarité comme le abba. On peut comprendre que les disciples aient eu quelques hésitations à s’adresser à Dieu comme Jésus le faisait. Notre texte vient les encourager.

Demandez, cherchez, frappez… La liste invite à une grande confiance qui peut se baser sur l’expérience de la paternité humaine. Un père ne donnera pas de mauvaises choses à son enfant qui lui demande quelque chose. A plus forte raison, votre Père qui est aux cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent. Ces bonnes choses sont spécialement ce qui regarde le Règne de Dieu. Luc, dans le même passage, les explicite en disant: …le Père donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux l’en prient. (Luc 11,13) C’est ce que le Règne apporte pourvu qu’on le demande et qu’on l’accueille.

La dernière phrase de notre texte est en fait la conclusion du sermon sur la montagne, même s’il y aura ensuite un épilogue. Le sermon avait commencé par la déclaration de Jésus à l’effet qu’il n’était pas venu abolir la Loi et les Prophètes, mais les accomplir. La mention, ici, de la Loi et des Prophètes vient donc boucler le sermon. La règle d’or, faire aux autres ce qu’on voudrait qu’ils nous fassent,  est donnée comme résumant toute l’Ecriture, la Loi et les Prophètes. En fait, la règle d’or existait déjà dans le répertoire rabbinique, mais sous une forme négative:

Ce qui te déplaît ne le fais pas à autrui: voilà toute la Loi. Tout le reste n’est que commentaire.

La forme positive telle que Jésus la donne est beaucoup plus exigeante d’autant plus qu’elle s’adresse à tous les autres et pas seulement aux frères. Et ce n’est probablement pas par accident que ce regard sur ce qu’il faut faire pour les autres soit placé immédiatement après ce qui parlait de la relation intime avec le Père: la dimension verticale ne doit pas faire oublier la dimension horizontale.

Jean Gobeil SJ