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2020/09/10 — L’évangile du Jeudi – (Lc 7, 36-50) – St Robert Bellarmin; St Lambert

Les deux personnes confrontées à Jésus dans cette scène sont totalement opposées. Les gens estiment la première comme un juste, qui observe tous les préceptes de la Loi. Le pharisien appartient au groupe des purs, “séparés”, qui méprisent le “peuple de la terre”, ceux qui ne connaissent pas la Loi ou qui ne l’observent pas. Le pharisien est convaincu d’être en accord avec la volonté de Dieu. Par contre, la femme qui ose s’introduire dans cette salle à dîner, ouverte sur l’extérieur, est méprisée par tous, car elle est une prostituée. Désespérée d’elle-même, elle a entendu Jésus, semble-t-il,  annoncer la miséricorde de Dieu pour tous, même pour les pires pécheurs.

Le pharisien

Jésus est devenu un personnage connu et populaire par son enseignement et ses guérisons. Le pharisien pense qu’il est opportun de juger ce personnage, en examinant s’il vient de Dieu, s’il est un prophète. Il l’invite donc à dîner chez lui pour observer son attitude et l’entendre dans l’intimité. Mais il ne veut pas se compromettre favorablement à l’égard de Jésus: il l’accueille froidement. Il ne lui offre pas d’eau pour se laver les pieds empoussiérés sur la route. Il ne lui donne pas le signe d’un accueil chaleureux par une accolade. Enfin il ne répand pas sur sa tête l’huile de l’amitié.

Lorsque la prostituée entre chez lui, il éprouve une émotion de révolte et de répulsion. Il n’accepterait même pas de lui adresser la parole, car son statut de juste le sépare de cette femme par une barrière infranchissable. Aussi il porte un jugement décisif sur Jésus, qui se laisse toucher par une telle femme. C’est la preuve pour lui que Jésus n’est pas un prophète, qu’il ne vient pas de Dieu.

La pécheresse

C’est une personne connue, dont tout le monde se moque et qui la méprise. À ses propres yeux, cette femme se dit qu’elle ne vaut rien et qu’elle n’a même plus la possibilité d’aimer, car elle a confondu l’amour avec le plaisir et le gain. Par curiosité sans doute, elle a entendu de loin le Christ qui proclamait que personne ne devait désespérer, parce même la plus avilie était l’objet de l’amour de Dieu, qui pouvait la faire revivre,  la ressusciter. Elle comprit que quelqu’un l’aimait et qu’elle devait répondre à un tel amour.

Un amour de reconnaissance entraîne aux pieds de Jésus cette femme qui a retrouvé l’espérance. Elle sait que tous les convives la mépriseront, qu’ils vont détourner les yeux pour ne pas salir leur regard. Son amour la rend humble et lui fait oublier tous ces regards malveillants. Son émotion de reconnaissance est si vive qu’elle est “tout en pleurs.” Dans son humilité, elle “se tient aux pieds” de Jésus, qu’elle “couvre de baisers.” Sa reconnaissance est tellement profonde qu’elle verse des larmes. Elle s’empresse d’essuyer ces larmes sur les pieds de Jésus avec ses cheveux, qu’elle a dénoués dans un autre geste inusité. Elle exprime finalement son amour dans une action audacieuse et généreuse: elle répand sur les pieds de Jésus ce qu’elle possède de plus précieux, le parfum qui pouvait lui donner l’illusion d’être encore attrayante.

Jésus

L’invitation du pharisien à Jésus était ambiguë. D’un côté, il pouvait paraître le protecteur d’un envoyé de Dieu, si Jésus prouvait qu’il était un prophète. Par contre, en ne lui accordant pas les signes d’accueil poli pour un invité de marque, le pharisien conservait toute sa liberté de jugement sur Jésus, sans se compromettre en face des gens. Jésus perçoit clairement les intentions mélangées de son hôte, mais il accepte quand même son invitation, en dépit ses manques de politesse Jésus a la mission de proclamer l’amour de Dieu à tous, même à ceux qui lui sont hostiles.

Jésus soupçonne les pensées de réprobation qui agitent son interlocuteur. Au lieu d’entamer une explication claire et directe, Jésus recourt à une parabole pour que le pharisien découvre par lui-même la vérité. Le créancier de la parabole qu’il lui propose est évidemment Dieu. Les deux débiteurs sont le pharisien et cette prostituée. Le Seigneur miséricordieux leur pardonne, avant même qu’ils aient imploré leur grâce. Mais pour que ce pardon produise son effet de purification et de vie renouvelée, il faut  que chacun l’accueille dans l’humilité et dans un amour de reconnaissance. Le pardon gratuit de Dieu inonde de joie cette pécheresse méprisée et elle exprime son action de grâce dans sa démarche empreinte d’humilité et d’audace.

L’amour de cette femme manifeste sa reconnaissance, qui découle du pardon qu’elle a reçue gratuitement: “Le grand amour qu’elle a manifesté prouve que ses nombreux péchés ont été pardonnés.” Son amour n’est pas une condition requise pour le pardon, il en est plutôt la conséquence. Jésus ne dit pas à la femme que son amour lui a obtenu le pardon, mais “ta foi t’a sauvée”, cette foi qui est l’ouverture, l’accueil du don gratuit de Dieu.

Conclusion

Les deux personnages devant Jésus se représentent Dieu deux figures opposées. Pour le pharisien, Dieu est le Maître dont la volonté exprimée dans la Loi doit être observée scrupuleusement. À ses yeux, la prostituée me peut être que méprisable, un rejet de la société. À l’opposé, cette femme, a compris sa radicale pauvreté, elle l’avoue et s’ouvre par sa foi à l’amour divin, qui la ressuscite. Son action de grâce manifeste sa joie et sa reconnaissance.

Jean-Louis D’Aragon SJ

2020/09/11 — L’évangile du vendredi – (Lc 8, 1-3)

Ce bref passage évoque quelques traits majeurs du ministère de Jésus. Ces résumés, de temps à autre dans les évangiles, rappellent l’essentiel de la mission du Christ. Luc mentionne d’abord le thème central de toute l’activité de Jésus : proclamer l’Évangile, la Bonne Nouvelle que Dieu va instaurer son Règne; il vient habiter au milieu de son peuple pour lui donner le salut, la paix, la vie et la joie.

Jésus n’attend pas les gens, comme Jean Baptiste au désert. Il va vers le peuple, il fait les premiers pas, pour révéler l’amour de Dieu partout où il se rend, « les villes et les villages ». Le bonheur n’est pas réservé à une élite ; Dieu, par son Messie, offre le bonheur à tous. Deux genres de témoins le suivent et l’assistent dans cette mission d’amour : les douze apôtres et un groupe de femmes.

La présence de femmes avec Jésus

Ces femmes qui accompagnent Jésus ont dû déconcerter le peuple de l’époque. Les disciples eux-mêmes s’étonnent quand ils découvrent Jésus parlant à une femme de Samarie. (Jn 4, 27) Un rabbin ne devait même pas parler à une femme en public. Un juif hassidique avouait dernièrement à un journaliste qu’il ne saluerait pas sur la rue l’épouse de son meilleur ami.

Nous ignorons le genre des esprits qui avaient réduit ces femmes à l’état d’esclaves. Pour elles, comme pour tous ceux qui accueillent la Bonne Nouvelle, le Christ les a libérées de tout ce qui asservit et dégrade. Il les a rehaussées à la dignité de filles de Dieu. L’une de ces femmes était tombée dans un état d’esclavage très grave. Tout ce qui était mal et qu’on ne pouvait expliquer était attribué au démon. Le chiffre « sept » indique ce qui est complet. « Sept démons » signifie donc que la déchéance de Marie était tragique et désespérée. Son surnom « Madeleine » signalait qu’elle était originaire de Magdala, une petite localité au sud-ouest du lac de Galilée.

L’époux de Jeanne était intendant du tétrarque de Galilée, Hérode. Sa fonction d’intendant était importante et elle le plaçait à un niveau élevé de la société. En appelant la femme de cet intendant à le suivre, Jésus l’a donc associé à une pécheresse méprisée de tous, Marie Madeleine. L’appel du Christ nous rend tous égaux dans la famille de Dieu.

Ces femmes, libérées du mal par Jésus, sont le vivant exemple du miracle de la conversion et de la foi. Une fois revenues d’une déchéance profonde, elles manifesteront une générosité totale. Elles suivront fidèlement le Christ jusqu’à la croix, pendant que les apôtres s’enfuiront. Elles enseveliront Jésus, elles seront présentes au tombeau le matin de Pâques et, au Cénacle, elles prieront, avec les disciples, dans l’attente de l’Esprit Saint (Actes 1, 14).

Les figures féminines chez Luc

L’évangéliste met en relief plusieurs personnages féminins, toujours présentés sous un jour favorable. La mère de Jésus domine évidemment « L’Évangile de l’enfance » (chap. 1-2), mais la mère de Jean Baptiste, Élisabeth, et Anne la prophétesse entourent Marie. Dans le reste du 3e Évangile, relevons seulement les passages propres à Luc :

–    la pécheresse pardonnée (7, 36-50) ;

–    la veuve de Naïm, à qui Jésus rend son fils unique (7, 11-17) ;

–    Marthe et Marie reçoivent Jésus (10, 38-42) ;

–    la louange adressée à la mère de Jésus par une femme (11, 27s) ;

–    les deux paraboles de la femme qui cherche sa pièce de monnaie perdue (15, 8-10) et la veuve importune qui insiste pour obtenir justice (18, 1-8) ;

–    sur le chemin du Calvaire, un groupe de femmes manifestent leur sympathie à Jésus (23, 27-31).

Ajoutons les passages les plus caractéristiques des Actes des apôtres :

 

–    Marie, la mère de Jésus, et un groupe de femmes attendent avec les apôtres la venue de l’Esprit Saint (1, 14) ;

–    la résurrection de Tabitha (9, 36-42) ;

–    les disciples se réunissent régulièrement chez Marie, la mère de Jean Marc (12, 12) ;

–    Lydie et sa maison se convertissent et accueillent chez elle Paul et ses compagnons (16, 13-15) ;

–    Aquila et Priscille accueillent Paul et deviennent ses proches collaborateurs (18, 2.26).

Luc considère les femmes, comme les pauvres, forment un groupe prédestiné au Royaume de Dieu. Il a constaté que les personnes qui accueillaient l’Évangile étaient avant tout des pauvres et des femmes. Devenant plus consciente de sa pauvreté et de sa misère, que l’homme, surtout dans un monde où la force violente dominait, la femme paraissait à Luc mieux disposée à remettre sa destinée au Seigneur et à recevoir gratuitement son salut.

Jean-Louis D’Aragon SJ

2020/09/12 — L’évangile du samedi – (Lc 8, 4-15) – St Janvier

Dans toute vie réside une puissance en sommeil. Tous, nous avons vu un arbre poussé dans l’anfractuosité d‘un rocher, ou plus simplement quelques brins d’herbe surgir au milieu d’un trottoir. Ces signes révèlent la force tranquille de la vie. Jésus compare la parole de Dieu à cette vie que rien ne peut arrêter. À un moment où ses disciples peuvent se décourager devant l’incompréhension ou l’indifférence du peuple, Jésus leur montre que, en dépit des indifférences et des refus, rien ne peut arrêter la puissance de la Parole.

Cette parabole du Semeur est devenue le symbole de l’évangélisation, que certains groupes bibliques ont adopté pour affirmer qu’ils poursuivent le ministère du Christ Jésus, en proclamant sa Parole. Cette parabole est riche de sens, car elle signifie, dans un premier moment, la puissance de la Parole en elle-même et, dans un second moment, elle attire l’attention sur les dispositions des divers groupes qui accueillent cette Parole.

Sens de la parabole pour Jésus et ses disciples

La coutume dans l’Orient ancien veut que l’on répande d’abord la semence, puis qu’on laboure. La semence tombe un peu partout, même si le terrain est peu favorable. Dans le même champ, se trouvent des sols de divers genres: chemin de traverse, des roches, des ronces et de la terre fertile.

Jésus mentionne quatre genres de terrains pour rappeler qu’il adresse la Parole à tous les auditoires, qu’ils soient favorables, indifférents ou hostiles. La Parole de salut vient de Dieu, qui, par amour, veut offrir le bonheur et la vie à toute personne. En dépit des obstacles, la Parole prouve sa puissance par les fruits en abondance qu’elle produit.

À toutes les époques, la déception guette l’Église face à la réception tiède ou hostile de son message de salut. La nouvelle évangélisation produit aujourd’hui, en apparence, de maigres résultats. Mais le Seigneur nous promet, à travers cette parabole du semeur, que la persévérance, appuyée sur la puissance vitale de la Parole de Dieu, produira une récolte étonnante. La vie triomphera de l’indifférence et de la mort.

Pourquoi des paraboles ?

Nous avons tous connu des gens qui cultivent une surdité sélective. Ils entendent seulement ce qui leur convient, s’enfermant dans leurs idées et leurs préjugés. Ils ne veulent pas enrichir leur pauvreté, l’ouvrir sur l’expérience des autres.

Nous sommes tous affligés de surdité ou de cécité sélective. Sans le vouloir, nous sommes limités, car nous n’entendons pas les sons qui résonnent en dehors de nos capacités. Notre registre de vision est restreint : nous ne voyons pas les rayons infrarouges, ni les rayons ultraviolets. Ces limites auditives et visuelles devraient nous rendre conscients que notre intelligence et notre cœur sont également limités.

Comment parler de réalités au-delà de nos sens, sinon au moyen de symboles qui les suggèrent? Pour en comprendre, toutefois, la signification, il nous faut un minimum d’empathie. C’est notre responsabilité de prêter l’oreille, selon l’exhortation de Jésus à la foule : « Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! » Écouter la Bonne Nouvelle, c’est approfondir nos convictions évangéliques, prêter attention aux signes des temps, nous ouvrir à des opinions nouvelles ou même contraires à nos idées. Nous ne pouvons bien comprendre qu’avec la prière, dans le silence, éclairés par la lumière de l’Esprit.

Diversité des auditeurs

Même si la Parole est puissante, elle ne peut rien sans notre disposition à l’écouter et à la rendre vivante dans notre personne. Lorsqu’elle produit des fruits dans nos actions, elle manifeste sa force de vie.

Ceux qui sont seulement curieux, qui écoutent ou qui lisent la Bible ou l’Évangile comme un livre ordinaire, sans aucune conséquence pratique dans leur existence, sont comme la semence qui tombe au bord du chemin. Ils ne savent pas que l’audition de la Parole, c’est la rencontre de Dieu, qui seul peut les sauver.

Tous les débuts d’un cheminement sont faciles, ils sont souvent accompagnés d’enthousiasme. Mais si la Parole est semée parmi les pierres, les difficultés et la sécheresse éteignent peu à peu la joie qu’elle avait suscitée. N’ayant pas de convictions profondes, les émotions superficielles disparaissent très vite. Ce fut l’enthousiasme d’un moment. La valeur d’une personne ou d’une communauté se révèle dans sa durée et sa persévérance.

Tous se plaignent que la vie moderne est devenue trépidante, remplie d’échéances et de soucis. Nous avons développé des besoins de plus en plus nombreux, au point de ne plus savoir ce qu’est une vie simple, axée sur l’essentiel. Nos préoccupations multipliées rendent nos journées et nos semaines éreintantes. Avec de telles pressions, la prière devient difficile, sinon impossible. Combien de fois entendons-nous : « Je n’ai pas le temps de prier ou de participer à l’eucharistie ! » Tout dépend évidemment de la hiérarchie de nos valeurs. Si l’audition et la méditation de la Parole sont le dernier de nos soucis, il est clair que nous n’aurons jamais le temps de nous arrêter pour rencontrer notre Père et Seigneur.

La vie de foi est une plante fragile, qui exige un entretien assidu pour survivre et se développer. La culture de la foi consiste d’abord à prier régulièrement, d’implorer l’Esprit Saint de nous accorder ses dons, entre autres la fraîcheur du regard comme celui d’un enfant, toujours émerveillé par ce qu’il découvre, et l’amour actif, qui témoigne de la présence du Seigneur en nous et autour de nous.

Les attitudes différentes de ces quatre groupes qui accueillent la Parole nous interpellent. En expliquant cette parabole, le Christ nous demande si nous nous reconnaissons dans l’un ou l’autre de ces groupes d’auditeurs.

Jean-Louis D’Aragon SJ

2020/09/01 — L’évangile du mardi – (Lc 4, 31-37)

Après avoir été rejeté de Nazareth, Jésus descend à Capharnaüm sur le bord du lac de Tibériade. Il enseignait le jour du sabbat et la foule était frappée de son autorité. Dans la synagogue, un homme, possédé d’un esprit impur, l’apostrophe en l’appelant le Saint de Dieu. Jésus menace l’esprit mauvais et lui dit de se taire et de sortir de lui. L’homme tombe à terre mais il est libéré. La frayeur, c’est-à-dire la stupeur devant une manifestation du divin, saisit la foule devant son autorité et sa puissance sur les esprits impurs. La renommée de Jésus se répand dans la région.

Pour comprendre ce que Luc voit dans ce récit, il faut le relier à ce qui précède et en particulier à un thème important dans Luc: la présence de l’Esprit Saint.

Dans les deux premiers chapitres de l’évangile, qu’on appelle l’évangile de l’enfance, Luc a souligné la présence de l’Esprit montrant ainsi que les temps messianiques étaient commencés. Les prophètes avaient annoncé en effet que la présence de l’Esprit Saint serait un signe des temps messianiques et, dans ces premières pages de l’évangile, l’Esprit Saint est fort occupé.

Dans l’annonce à Zacharie, l’ange dit que son fils sera rempli de l’Esprit Saint dès le sein de sa mère. L’ange Gabriel dit à Marie que l’Esprit Saint viendra sur elle. A la Visitation, dès qu’Élisabeth entend la salutation de Marie, elle fut remplie de l’Esprit Saint. A la circoncision de Jean Baptiste, son père fut rempli de l’Esprit Saint et prononça alors son hymne du Benedictus. Lors de la présentation de Jésus au Temple, le vieillard Syméon sur qui reposait l’Esprit Saint vient au Temple poussé par l’Esprit et rencontre les parents de Jésus qui apportaient l’enfant.

La vie publique de Jésus commence avec Jean Baptiste qui, en faisant son ministère, annonce que celui qui viendra après lui baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. Quand Jésus est baptisé au Jourdain, l’Esprit Saint descendit sur lui. Jésus revient du Jourdain,rempli de l’Esprit Saint et il est conduit par lui au désert où il est tenté par Satan.

Jésus retourne en Galilée avec la puissance de l’Esprit, dit Luc (4,14). On peut donc, avec Luc, voir dans ce qui suit des manifestations de la présence de l’Esprit. Il y a d’abord l’enseignement : Il enseignait dans leurs synagogues glorifiées par tous.   (Luc,4,15)

L’admiration et la louange de la foule reviendront au moins six fois dans Luc. Reliée à la puissance de l’Esprit, on peut aussi voir la mention de la foule qui est frappée par son autorité, comme au début de notre texte aujourd’hui. Même à Nazareth d’où il a été rejeté hier, la première réaction avait été de l’admiration devant les paroles pleines de grâce qui sortaient de sa bouche. Ici, avec un exorcisme, il s’agit d’une action au lieu d’un enseignement.

Les actions de Jésus qui guérissent et libèrent avec puissance sont l’œuvre de l’Esprit qui l’habite. La foule voit cette puissance et dit : Il commande avec autorité et puissance aux esprits impurs et ils sortent. Le lecteur, lui, qui sait ce qui a précédé, voit aussi que c’est la présence et la puissance de l’Esprit qui est à l’œuvre dans le Christ, le Messie.

Jean Gobeil SJ

2020/09/02 — L’évangile du mercredi – (Lc 4, 38-44)

Jésus sort de la synagogue de Capharnaüm et va dans la maison de Simon où sa belle-mère est malade. Jésus interpelle la fièvre: elle est guérie, se lève et les servait. Au coucher du soleil (avec la fin du sabbat), on amène à Jésus les malades et les possédés. Quand il fait jour, Jésus se retire dans un endroit désert mais la foule le retrouve et veut le retenir. Mais Jésus dit que c’est sa mission de proclamer la Bonne Nouvelle du Règne de Dieu dans les autres villes.

Animé par l’Esprit, Jésus a commencé sa mission. Il a enseigné dans la synagogue de Nazareth en déclarant que le texte d’Isaïe, disant l’Esprit du Seigneur est sur moi, se réalisait aujourd’hui. Il est ensuite descendu à Capharnaüm où, le jour du sabbat dans la synagogue, il a libéré un homme possédé par un esprit démoniaque. Tout ceci se passe devant le grand public pour annoncer que le Royaume de Dieu est proche et donner des signes de sa présence.

Dans la scène que nous avons, il s’agit de quelque chose de privé qui se passe dans l’intimité d’un foyer. Il n’y a pas eu encore de mention de disciples. Les premiers qui seront appelés sont de Capharnaüm et, dans l’évangile de Luc, ils auront été auparavant témoins des débuts de la mission de Jésus. Jésus va donc dans la maison de Simon. La belle-mère de Simon souffre d’une forte fièvre. Marc dit: des gens de la maison parlent d’elle à Jésus. Luc est plus précis: on lui en parle mais c’est pour qu’il fasse quelque chose pour elle. On l’implora à son sujet, dit-il.

Dans cette fièvre, Luc voit un signe des forces du mal qui oppriment la personne et l’empêchent d’être libre. Il décrit donc la guérison comme un exorcisme: Jésus, se tenant au-dessus d’elle, menaça la fièvre.

Dans ce qui suit, la scène dépasse le caractère privé pour devenir un rappel à chaque lecteur de l’évangile. La description de la belle-mère de Simon dans une occasion bien particulière devient la description dans laquelle un chrétien peut se reconnaître.

D’abord, c’est la mention de la guérison: la fièvre la quitta et elle se leva (ou se dressa). Le même mot, se lever, est employé pour ressusciter. Tout chrétien, lui aussi, s’est levé dans une vie nouvelle à cause d’une guérison que le Christ lui a apportée: il est devenu enfant de Dieu.

Ensuite, Luc dit: elle les servait. Diakonia, le service, sera le mot employé pour caractériser ce que chacun fait, selon ses capacités, pour l’édification de la communauté chrétienne. En d’autres mots, chaque chrétien, un jour, a été dans la maison de Simon quand quelqu’un s’est approché de lui.

Jean Gobeil SJ

2020/09/03 — L’évangile du jeudi – (Lc 5, 1-11) – St Grégoire le Grand

Plusieurs peintres ont représenté cette scène pittoresque de Jésus assis dans la barque et enseignant la foule assemblée sur le rivage. Mais cette représentation pourrait fixer et circonscrire dans le passé cet enseignement du Christ, alors qu’elle a une signification profonde et symbolique pour l’Église à travers les siècles et pour nous-mêmes aujourd’hui.

La barque est la figure de l’Église, dans laquelle se trouvent Jésus, Pierre et les apôtres. Tous ces personnages, ensemble, constituent la structure hiérarchique de la Communauté chrétienne. À travers le pape, les évêques, les prêtres et tous les chrétiens, c’est le Christ Jésus qui annonce au monde la Bonne Nouvelle du salut, de la vie et du bonheur. Cet Évangile provient de Dieu le Père, qui accomplit par son Fils, le Seigneur, les signes liturgiques de l’Église.

Jésus commande et Simon-Pierre obéit

Jésus donne cet ordre à Simon : « Avance au large », vers le domaine des monstres marins, qui, croyait-on à l’époque, s’agitaient au fond de la mer. Jésus répète à l’Église de faire face avec foi et confiance aux risques de l’avenir. Que de fois, au cours de son histoire, les circonstances extérieures semblaient présager le naufrage de l’Église !

Simon et ses amis ont « peiné toute la nuit », le meilleur moment pour la pêche, mais ils n’ont rien pris. Avec sa compétence de pêcheur, Simon représente les futurs « sages » ou « prudents », qui refuseront le risque de l’obéissance de la foi. Ils ne comprennent pas le sens mystérieux de l’échec qui nous libère de nos illusions, celles qui nous faisaient croire à nos seules capacités humaines. Mais Simon obéit à l’ordre de Jésus, en dépit des circonstances qui semblent présager un échec. Cette obéissance, inspirée par la foi, trouve sa récompense dans une pêche miraculeuse qui bouleverse Simon et ses amis. Ce résultat, au-delà de toutes nos prévisions humaines, nous émerveillera toujours.

L’effroi devant la présence sacrée du divin

L’être humain éprouve toujours étonnement et admiration face aux signes dans lesquels Dieu se manifeste.  Le miracle, le sacré, attire comme un aimant, mais, en même temps, il fait prendre conscience de notre indignité humaine.

Au moment de son triple reniement, Pierre découvrira encore mieux sa condition de pécheur. Celui à qui le Christ a demandé de le représenter, à qui il a donné la primauté dans son Église, le premier pape, était un « homme pécheur. » Le Seigneur a pris le risque d’appeler des ignorants et des pécheurs pour diriger son peuple. C’est en leur faisant prendre conscience de leur insignifiance que Jésus les a préparés à devenir les pasteurs de son Église. Pierre, avec Jacques et Jean, seront les témoins de la résurrection d’une jeune fille, de la transfiguration de Jésus, mais également de son agonie à Gethsémani. Ils connaîtront ainsi la gloire et l’humiliation de leur Maître, qui préfigurera en sa personne la destinée de tous ceux et celles qui communieront à leur Seigneur par leur foi.

La crainte que le sacré inspire aurait-elle disparue de nos jours ? Cette crainte s’est tout simplement déplacée. Quand on perd la crainte de Dieu, la peur nous cerne de toutes parts : angoisses devant l’avenir, craintes d’attentats, peur des virus, des contagions, …

Jésus enseigne la paix

Le Christ rassure Simon et ses amis : « Sois sans crainte ! » Partout dans l’histoire biblique, les envoyés célestes apaisent les humains épouvantés par la présence de Dieu. C’est par le souhait de la paix que Jésus s’adressera toujours aux siens après sa résurrection.

Prolongeant la symbolique de la mer remplie de monstres maléfiques, le Christ assigne à Pierre, à l’Église et à tous les chrétiens la tâche de sauver les humains du désespoir et de la mort. Des puissances redoutables menacent l’humanité et risquent de l’engloutir. L’Église a le devoir de la conduire à son Sauveur.

Le véritable miracle n’est pas la pêche miraculeuse, mais le changement des cœurs de Pierre et de ses compagnons. Ils laissent tout pour suivre le Christ. Ils acceptent l’immense risque de la foi.

Jean-Louis D’Aragon SJ

2020/09/04 — L’évangile du vendredi – (Lc 5, 33-39)

La piété juive s’exprimait au temps de Jésus de trois manières : la prière, l’aumône et le jeûne. Dans la prière, le croyant vivait sa relation personnelle avec Dieu. Par l’aumône, il manifestait sa charité envers son prochain. Enfin le jeûne lui faisait prendre conscience de sa pauvreté.

En réaction contre l’austérité imposée dans le passé et tenté par les commodités de notre niveau de vie, le jeûne n’a plus guère de place dans notre régime chrétien. Comme de nombreuses formes de piété, le jeûne a perdu sa véritable signification, subissant des déformations ou des caricatures, qui ne sont pas entièrement fausses, mais qui ne désignent pas ce qui est central. On a souvent dit que le jeûne était une mortification pour expier ses fautes et celles du monde, ou bien que ce fût une forme de maîtrise de soi, mais ces explications ne montrent pas la vraie nature du jeûne.

Lorsqu’il est question du jeûne dans la Bible, on dit que l’être humain “s’humilie devant Dieu.” En se privant de nourriture, il se sent faible et peut prendre mieux conscience de sa pauvreté physique et de la précarité de sa personne. Il s’aperçoit combien il est dépendant de la nourriture que Dieu lui donne. Cette dépendance physique manifeste la fragilité totale et radicale de la personne humaine. Accepter cette dépendance, c’est s’humilier devant le Seigneur.

La pratique de Jean et des pharisiens

Les pharisiens avaient établi la coutume de jeûner régulièrement deux fois chaque semaine. Il devait en être de même chez les disciples de Jean Baptiste. Une telle pratique peut nous sembler exagérée et impossible à observer, semaine après semaine. La rigueur d’une telle coutume se comprend mieux dans le climat chaud de l’Orient, qui rend le jeûne plus supportable que dans notre pays. Je me rappelle un jeune jésuite égyptien qui m’avouait n’avoir jamais éprouvé la sensation de la faim. Il ajoutait qu’un ouvrier chez lui se contentait pour son dîner d’un morceau de pain et de quelques olives.

Les pharisiens avaient enseigné à leurs disciples la pratique du jeûne pour le mardi et le jeudi de chaque semaine. Plus tard, les chrétiens s’inspirèrent de cette pratique, mais choisirent plutôt le mercredi et le vendredi, à la fois pour se distinguer des juifs et pour rappeler le sacrifice de Jésus en croix.

Tout en se montrant très proche de Jean et en faisant son éloge (Mt 11,7-15), Jésus avait adopté un autre style de vie et de ministère. Jean avait vécu et prêché au désert, tandis que Jésus alla rencontrer le peuple, en parcourant villes et villages. Jean pratiqua un style vie extrêmement austère, proche de celui des esséniens de Qumrân, au point que le peuple l’accusa d’être “possédé d’un esprit mauvais” (Mt 11,18). Jésus, en contraste, accepta les invitations à des repas et même à des banquets pour rencontrer les gens, mais on l’accusa d’être “un ivrogne et un glouton” (Mt 11,19).

Première réponse de Jésus

La venue du Fils de Dieu parmi nous signifie son union matrimoniale avec notre humanité. Jésus est l’époux et son Église est l’épouse (Jn 3,27s). Depuis le prophète Osée, le Seigneur de l’Alliance avait condescendu à se présenter comme le mari de son peuple, uni dans un amour mutuel. Prolongeant ce même thème, Jésus, le Fils, incarne Dieu qui se rend encore plus proche de notre humanité, en devenant l’un des nôtres, assumant la réalité de notre condition humaine et en consacrant son union avec tous ceux qui croient en lui par le symbole du mariage. La communauté de vie avec ses disciples préfigure les noces éternelles du Christ Jésus, qui unit à sa personne la multitude des élus.

Par cette déclaration, Jésus affirme que sa présence terrestre préfigure son union définitive et éternelle avec les membres de son peuple. Or un mariage se célèbre naturellement dans la joie, puisqu’une telle cérémonie est la fête de l’amour. Ce serait une contradiction de jeûner et de s’attrister au milieu de cette réjouissance. En effet, le jeûne, cette expérience de pauvreté et d’humilité, s’accompagne nécessairement d’une certaine tristesse sur soi-même.

Jésus prévoit cependant un temps où il conviendra à ses disciples de jeûner. Cette période coïncidera avec son absence, depuis son départ d’ici-bas et son retour glorieux. Pour traverser cette période de pèlerinage dans le désert de notre existence terrestre, marquée par la sécheresse et les épreuves, le jeûne devient une pratique salutaire.

Seconde réponse

Au début de sa promulgation de la loi nouvelle, qui “accomplit” celle de Moïse, Jésus énonce ce principe fondamental : “Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir” (Mt 5,17). L’histoire dirigée par Dieu se déroule dans une continuité. Jésus ne renie pas le Premier Testament ; au contraire, il assume toute la révélation ancienne et la prolonge. Le Christ unit le passé et le présent dans une nouveauté radicale. Cette nouveauté est transcendante, car elle est sans commune mesure avec ce qui a précédé. Dans la scène de la Transfiguration de Jésus, Pierre pense que son Maître prolonge simplement Moïse et Élie, c’est-à-dire l’A.T. Aussi il propose à Jésus de dresser trois tentes, comme trois révélations différentes, superposées, mais du même ordre. Dieu le corrige immédiatement : “Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Écoutez-le !” (Mt 17,5), et non pas “écoutez-les !” Le Christ est d’un ordre complètement différent de celui de Moïse et d’Élie. C’est lui seul qu’il faut écouter.

La nouveauté que Jésus affirme de lui-même doit se concrétiser dans des formes nouvelles, autrement le cadre ancien jure et contredit le nouveau contenu. L’image du vêtement est claire pour nous, mais celle des outres se comprend moins bien. Ces anciens contenants étaient faits de peaux d’animaux. Avec le temps, ces outres en peau séchaient et devenaient fragiles. Un vin nouveau, en fermentation, provoquait l’éclatement de telles outres.

La remarque finale, “C’est le vieux qui est bon”, paraît étrange. C’est l’adage des traditionalistes qui vivent dans la nostalgie du passé. Après son exposé sur la nouveauté de tout ce qu’il apporte, Jésus met en garde contre cette tentation de préférer une tradition figée dans le passé. Dans cette tentation, on ne refuse pas toute innovation, mais on voudrait qu’elle soit semblable à celle qu’on a connue.

Conclusion

Cette scène de controverse nous montre, comme ailleurs dans les évangiles, que le Christ Jésus est venu nous offrir la joie, dans la nouveauté de son message et dans le radicalisme de la présence personnelle de Dieu parmi nous. Le jeûne nous rappelle, de notre côté, notre pauvreté fondamentale et il nous instruit à devenir les pauvres béatifiés par Jésus (Mt 5,3). L’expérience de la faim et de la soif des pauvres nous dispose à la rencontre béatifiante dans l’au-delà et à la communion dans l’amour.

Jean-Louis D’Aragon SJ

2020/09/05 — L’évangile du samedi – (Lc 6, 1-5)

Un touriste américain rejoignait en taxi son hôtel à Paris. Comme c’était la nuit, la circulation était presque nulle. Parvenu à un feu rouge, le chauffeur regarda de chaque côté de l’intersection, puis continua sa route. À une nouvelle lumière rouge, il poursuivit son chemin de la même manière. La troisième fois, le touriste manifesta son étonnement : « Vous n’observez donc pas le règlement qui défend de traverser une intersection quand la lumière est rouge ? » Le chauffeur rétorqua : « Avez-vous vu une automobile venir vers nous à chacune de ces intersections ? Pensez-vous que je vais me laisser mener aveuglément par un objet comme une lumière rouge ? » Le touriste se dit que ce chauffeur avait peut-être raison, même si une telle liberté, répandue partout, pouvait provoquer le chaos.

Au fond, ce chauffeur contestait l’application rigoureuse de la loi en n’importe quelle circonstance. Le droit de propriété peut-il être absolu quand des pauvres crèvent de faim ? Était-il juste de condamner au bagne Jean Valjean, dans les Misérables de Victor Hugo, pour avoir volé un pain afin de nourrir sa petite nièce affamée ? Le cas est évidemment extrême, mais il met en relief l’opposition entre la loi rigide et une valeur fondamentale. C’est la conscience éclairée qui doit juger entre l’application de la loi et cette valeur humaine. Quelquefois, une loi édictée pour une époque, en fonction d’une situation particulière, n’a guère de signification dans des circonstances nouvelles.

L’accusation des Pharisiens

Les adversaires de Jésus admettaient qu’un voyageur affamé avait le droit de manger le grain dans le champ du voisin. Ce n’était pas un vol. Il pouvait grappiller avec la main, mais non pas avec une serpe, car ce serait alors l’équivalent de moissonner. Ce que les Pharisiens dénonçaient dans le geste des disciples, c’était le travail le jour du sabbat. La défense de tout travail le 7e jour de la semaine devait imiter le repos du Créateur (Gn 2,3). Elle rappelait également la libération de l‘esclavage en Égypte. Le Seigneur avait libéré son peuple de la servitude, pour l’appeler à la liberté et à la joie.

Les exilés revenus de Babylone (vers 540 av. J.C.), formaient un petit groupe autour de Jérusalem, dominé par les Samaritains et les païens. Menacé d’être assimilé et de perdre son identité, le peuple, dirigé par Néhémie, Esdras et les prêtres, se replia sur lui-même et coupa tout contact avec l’étranger. On multiplia les interdits : défense d’épouser des femmes étrangères, de fréquenter les païens, … Au retour d’une région païenne, on devait secouer même la poussière de ses pieds, afin de ne rien emporter de l’extérieur dans la Terre promise, un pays sacré. Les Pharisiens, par la suite, multiplièrent intentionnellement les prescriptions et les interdits, jusqu’au nombre de 613 au temps de Jésus, pour dresser une « haie », un mur, entre le peuple élu et les gens de l’extérieur, toujours dans le but d’éviter la contamination et la perte de son identité.

Qui ne voit qu’une telle série de prescriptions et d’interdits forment, selon le jugement du Christ, un « poids insupportable » (Mt 11,28), qui brime la liberté humaine et qui ramène l’homme, en quelque sorte, à l’esclavage. Le sabbat, que le Créateur a voulu comme un jour de repos et de joie, devient pénible, chargé de multiples prescriptions et de défenses. Elles se multiplient logiquement, lorsque la loi prétend prévoir les moindres actions humaines en toute circonstance. On substitue alors la loi à la conscience.

Jésus défend la liberté

Au temps de Jésus, un exemple de l’histoire sainte, surtout du roi David, est un argument déterminant. Dans le cas évoqué par Jésus, David et ses compagnons, poursuivis par le roi Saül, se rendent à Nob, chez le prêtre Ahimélek. À la demande de David, le prêtre leur donne les pains consacrés (1 Sam 21,2-7). La nécessité ressentie par ces hommes affamés l’emporte sur le caractère sacré de ces pains, que personne, sauf les prêtres, avait le droit de manger.

Jésus confirme cet exemple de l’Ancien Testament, en affirmant son autorité sur la loi. Cette autorité est celle du Fils de l’homme, qui a même le pouvoir divin de pardonner les péchés (Lc 5, 24). Une telle autorité s’étend donc encore plus sur les règles qui régissent l’observance du sabbat.

Conclusion

L’application littérale d’une loi dont on ne connaît plus le but et le sens ressemble à un navire ou à un avion qui n’a plus de gouvernail. Aussi saint Paul a raison de s’écrier : « La lettre (de la loi) tue, mais l’Esprit fait vivre » (2 Cor 3,6). Les lois explicitent en clair les besoins fondamentaux de la personne humaine. « Le sabbat a été fait pour (le bien) de l’homme ; l’homme n’a pas été fait pour (observer) le sabbat. » (Mc 2,27) En explicitant la pensée de Jésus, on peut affirmer que toute loi est faite pour le bien de l’être humain ; celui-ci n’a pas été créé pour observer la loi. Aussi toute loi qui contredirait le bien de l’homme n’aurait pas de valeur.

Jean-Louis D’Aragon SJ

2020/08/24 — L’évangile du lundi – (Mt 10, 34 – 11, 1) St Henri

Jésus déclare qu’il n’est pas venu apporter la paix sur la terre mais que sa venue est comme un glaive qui fait des divisions parfois douloureuses. Ces divisions pourront arriver même à l’intérieur de sa propre maison, c’est-à-dire à l’intérieur de sa famille. Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. Qui vous accueille m’accueille moi et Celui qui m’a envoyé. Qui accueille un prophète en sa qualité de prophète recevra une récompense de prophète; qui accueille un homme juste en sa qualité d’homme juste recevra une récompense d’homme juste. Et celui qui donnera à boire à un de ces petits, en sa qualité de disciple ne perdra pas sa récompense. Et Jésus partit de là pour enseigner et prêcher dans les villes du pays.

C’est la fin du discours missionnaire et l’évangéliste vise tout disciple. Jésus commence par dire qu’il n’est pas venu apporter la paix et pourtant il dit ailleurs:

Je vous laisse la paix; c’est ma paix que je vous donne. Je ne vous la donne pas comme le monde la donne.    (Jean 14,27)

Il y a donc deux sortes de paix. La paix dans le sens ordinaire du mot, la paix que le monde donne, consiste dans la tranquillité, l’absence d’ennemis, l’absence d’opposition. Ce que Jésus apporte est une offre, qui peut être rejetée. La conséquence est une opposition, une division. Mais le but de Jésus est d’offrir sa paix, la félicité, le vrai bonheur d’être dans une relation d’alliance avec Dieu, une alliance qui nous fait membres de sa maison. La phrase reflète la phrase de Jésus en araméen qui, comme l’hébreu, ne fait pas la différence entre le but, la fin d’une action et les effets ou la conséquence de cette action qui ne coïncide pas nécessairement avec le but qu’on poursuit.

Celui qui aime son père plus que moi… n’est pas digne de moi, dit Jésus. Le mot pour amour, ici, n’est pas le même que celui qui traduit l’amour de Dieu ou l’amour du prochain. On peut donner un équivalent en disant: Celui qui est attaché à son père plus qu’à moi… On comprend que dans une famille païenne, alors qu’un membre devient disciple du Christ et que le reste de la famille continue à vénérer des dieux protecteurs et à offrir des sacrifices, il peut y avoir des tiraillements douloureux. Dans cette situation, rester fidèle équivaut à prendre sa croix, à perdre sa vie mais c’est la seule façon de conserver sa vie authentique.

Finalement il y a le développement sur l’accueil de ceux qui sont envoyés par Dieu. Il y a d’abord la parole importante: Qui vous accueille m’accueille… Il y a une étroite proximité entre le Christ et ses envoyés. Suit une série d’accueils qui marque une progression dans la présence du Christ. Accueillir un envoyé en tant que prophète, accueillir un envoyé en tant qu’homme juste, et finalement accueillir un envoyé en sa qualité de disciple. C’est pour ce dernier accueil que la phrase, Qui vous accueille m’accueille, prend toute sa force. Ceux qui sont ainsi accueillis sont appelés des petits, qui n’ont pas le prestige d’être prophètes ou hommes sages: ils sont simplement disciples du Christ. En bref, tout chrétien porte la présence du Christ pour ceux qui l’accueillent comme disciple du Christ.

Jean Gobeil SJ 

2020/08/31 — L’évangile du lundi – (Lc 4, 16-30)

Jésus se trouve chez lui, à Nazareth. Le jour du sabbat, il entre dans la synagogue et veut faire la lecture des Écritures. On lui présente le livre d’Isaïe et il trouve un passage qui décrit sa mission prophétique. Il explique : « Cette parole de l’Écriture que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit. » Ceux qui l’écoutent se demandent : « N’est-ce pas le fils de Joseph ?»  Voyant leur manque de foi, Jésus leur déclare que la bonne nouvelle ainsi rejetée ira aux étrangers. Piqués au vif par cette provocation, ils cherchent à le faire mourir, mais il leur échappe.

Une comparaison de ce passage avec les variantes des deux autres synoptiques montre que la version de Luc est trois fois plus longue. Ici, la dramatisation est beaucoup plus élaborée que chez Marc et Matthieu. Il y a une réelle mise en scène : Jésus se lève, lit, commente la lecture, se heurte à la réticence de l’assemblée, se met en colère et provoque une riposte agressive des siens. En examinant ce que le texte de Luc ajoute à ceux des deux autres évangélistes, on découvre le message qu’il veut transmettre et qui lui est propre. Chez Luc, Jésus prend l’initiative de faire la lecture de l’Écriture. On lui donne le livre d’Isaïe où il trouve un passage qui définit sa mission et précise les bénéficiaires privilégiés de celle-ci: les pauvres, les prisonniers, les aveugles, les opprimés. Trois chapitres plus loin, on retrouve une énumération plus longue des destinataires de la bonne nouvelle : « Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés etles sourds entendent, les morts ressuscitent et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres… » (Lc 7, 23).

Dans l’évangile d’aujourd’hui, l’innovation de Luc par rapport à ce que contient le récit du même épisode chez Marc et Matthieu se trouve ensuite dans les exemples dont Jésus se sert pour rappeler que déjà, dans l’ancienne alliance, Israël n’a pas eu le monopole de l’affection de Dieu. Alors que sévissait une longue famine, il y avait beaucoup de veuves en Israël, mais Élie fut envoyé dans le pays de Sidon, à une veuve de Sarepta. Alors qu’il y avait beaucoup de lépreux en Israël, Élisée ne purifia que Naaman le Syrien. On dirait qu’il y a ici un clin d’œil à l’actualité, aux peuples qui s’affrontent encore dans cette région du monde : une Libanaise et un Syrien ont bénéficié de faveurs que n’ont pas eues les ressortissants du peuple choisi! Mais retournons au temps de Luc: dans ce texte, l’intention évidente de l’évangéliste est de mettre « les siens », c’est-à-dire les païens, sur la liste des destinataires prioritaires du salut. La miséricorde de Dieu ne va donc pas seulement à la rencontre de la misère des déshérités d’Israël, mais aussi  aux « nations » qu’une religion tribale rejetait dans les ténèbres extérieures. Comme chez Paul avant lui, il y a dans l’évangile de Luc une formidable relativisation de la notion de « peuple élu » : en Jésus-Christ, l’humanité entière peut accéder au salut. Même de nos jours, cette exigence d’inclusion ou d’universalité n’estpas caduque.

Jean Gobeil SJ