Dès le début de cette longue section de l’Évangile (9,51 – 19,48), Luc nous en livre clairement le thème directeur : Comme s’accomplissaient les jours où Jésus devait être enlevé de ce monde, il prit fermement la route de Jérusalem et envoya des messagers en avant de lui (Lc 9,51). Tout au long de cette longue montée vers Jérusalem, Luc rappellera cette ferme décision de Jésus. Jésus répète avec insistance sa volonté d’accomplir la mission qu’il a reçue de Dieu, la libération de l’humanité par la croix. La préoccupation centrale de Jésus est d’accomplir ce plan de Dieu. Il entrera à Jérusalem comme le roi acclamé par ses disciples (Lc 19, 37s). Selon la coutume des rois, il envoie des messagers pour annoncer son arrivée.
Avoir peur d’Hérode ?
Quelques pharisiens sympathiques à Jésus le préviennent ici des intentions homicides d’Hérode. Cette sympathie de pharisiens envers Jésus revient à trois reprises, lorsque qu’un pharisien l’invite à partager son repas (7,36 ; 11,37; 14,1). Hérode a déjà fait décapiter Jean le Baptiste. Par la suite, il manifeste une curiosité ambiguë de connaître Jésus, dont il a entendu parler. Tiraillé par la peur et le remords, il craint ce nouveau prophète qui lui rappelle Jean (Lc 9, 7-9). Les pharisiens qui abordent Jésus craignent que celui-ci subisse le même sort que Jean. Ils pensent donc lui donner un sage conseil, en lui suggérant de se cacher.
Jésus compare Hérode à un renard, le considérant comme un personnage fourbe et sournois, qui n’ose pas intervenir directement. Mais ce n’est pas la sagesse humaine des pharisiens qui doit guider Jésus, même si leur avis peut provenir d’une certaine sympathie à son égard. Seule la volonté de Dieu dirige sa mission. Celle-ci a pour seul but de libérer les possédés, esclaves qui ne se possèdent plus eux-mêmes, qui ont perdu leur identité sous l’emprise d’un envahisseur qui les domine (Lc 4,33-37). Pensons aux esclavages d’aujourd’hui, ceux de la boisson, de la drogue, du sexe, … Aujourd’hui, demain et le jour suivant, Jésus libère et guérit. Il insinue de la sorte que sa mission sera de courte durée, moins de trois ans. Il aura alors complété la mission que son Père lui a confiée.
Le plan de Dieu : le salut par la croix
Jésus conclut que cette oeuvre de libération et de guérison le conduira à la croix. Il rappellera le proverbe qu‘aucun prophète n’est bien reçu dans son pays (Lc 4,24). L’histoire juive rapporte le massacre de nombreux prophètes, à l’instigation par exemple de la reine Jézabel dans le Royaume de Samarie (1 Rois 18,4; 19,10.14). Plusieurs envoyés du Seigneur furent exécutés à Jérusalem, tel Urie, qui parla en prophète…par des paroles tout à fait semblables à celles de Jérémie. Ayant appris que le roi voulait le faire périr, Urie se réfugia en Égypte, mais un détachement se rendit dans ce pays pour s’en emparer et le ramener à Jérusalem, où le roi lui-même le tua d’un coup d’épée (Jér 26, 20-24).
Ayant évoqué sa mort à Jérusalem, à la suite de tant de prophètes envoyés par le Seigneur, Jésus montre à quel point il est membre de son peuple, solidaire avec lui, pleurant sur son aveuglement aux appels Dieu. C’est la Sagesse qui le déclare : Je leur enverrai des prophètes et des apôtres ; ils en tueront et en persécuteront, afin qu’il soit demandé compte à cette génération du sang de tous les prophètes qui a été répandu depuis la fondation du monde (Lc 11,49s). Le Seigneur, dans son Fils Jésus, pleure sur le désastre de ceux qui refusent son offre d’alliance.
Refus final ?
Jésus a voulu rassembler en un seul corps les enfants de Dieu dispersés (Jn 11,52). Mais, à cette offre de salut, on a répondu par complot meurtrier. Aussi la conséquence, c’est que votre maison vous est laissée déserte de la présence de Dieu, qui, comme au temps du prophète Ézéchiel, quittera le temple et Jérusalem (Éz 11,23). La peine consistera dans la frustration de la vie et du bonheur que l’alliance de Dieu devait leur procurer. Mais vous ne l’avez pas voulu (Lc 13, 34) : le jugement ne vient pas de Dieu, mais du pécheur qui a préféré les ténèbres à la lumière (Jn 3, 19).
Ce refus, avec sa conséquence terrible, l’absence de Dieu, est-il définitif, sans aucun espoir ? Vous ne me verrez plus (v. 36), déclare le Sauveur envoyé par Dieu. Comme à l’époque d’Ézéchiel, lorsque le Seigneur est revenu dans son temple après l’épreuve terrible de l’Exil à Babylone, de même aujourd’hui l’impossible se réalisera. Lorsque Jésus entrera à Jérusalem, le peuple reprendra l’acclamation du psaume 118, 26: Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient. L’amour du Seigneur est plus fort que les refus de son peuple.
Jean-Louis D’Aragon SJ