Le thème de l’amour revient constamment dans la littérature, les chansons, les opéras, la musique,… Partout il est question de l’amour, parce que c’est la vie qui en dépend. Même si le thème a reparu sans cesse à travers notre histoire humaine, même si l’amour a été trop souvent trahi ou déformé, on y revient toujours, car sans amour la vie est impensable, elle n’existe plus.
L’amour toutefois est exigeant, il s’accompagne toujours de souffrance, mais essayer de vivre sans amour est encore plus terrible. L’une des souffrances que provoque l’amour, c’est le renoncement. L’amour exige qu’on sacrifie tout pour lui. Un amour ne peut se partager, autrement il se détruit. Il oriente les forces vives de la personne qui aime, sacrifiant tout ce qui se trouve en dehors du chemin de cet amour.
Le thème de l’amour éclaire l’action de Dieu à travers la création et l’histoire. Chaque page de la Bible ne se comprend qu’à la lumière de cet amour. Sans cette lumière, tout serait chaos et scandale. Au terme de la Bible, la 1ère épître de Jean propose par deux fois d’identifier Dieu à l’amour: « Dieu est amour. » (1 Jean 4,8.16)
Mais notre monde pécheur et égoïste caricature et déforme trop souvent l’amour. On pense aimer quand l’objet ou la personne aimée peut nous procurer un plaisir. Cette vue égoïste est courante, mais Jésus la dénonce comme le contraire de l’amour: « Si vous aimez seulement ceux qui vous aiment, pourquoi vous attendre à une reconnaissance particulière? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment!…Au contraire, aimez vos ennemis…Vous serez alors les fils du Dieu Très-haut. » (Luc 6,32-35) Pour appartenir à la famille de Dieu, ses enfants doivent aimer sans retour sur eux-mêmes.
Jésus nous enseigne donc que l’amour vrai ne provient pas de la personne aimée, mais de l’intérieur de celle qui aime, de son coeur qui l’incline à se donner. Dieu est le modèle suprême de cet amour. Il n’avait nul besoin de nous, ni de la création. Ce n’est pas notre néant qui pouvait attirer son attention. L’unique cause de notre existence, c’est son amour et sa vie qu’il a voulu partager. « Tu aimes tous les êtres et tu ne détestes rien de ce que tu as fait. Si tu avais haï quoi que ce soit, tu ne l’aurais pas créé. » (Sag 11,24)
Après l’ensemble de l’univers, Dieu a créé l’être humain (Gen 1,26s), puis son peuple (Ex 3,14ss) pour l’inviter à entrer dans une alliance d’amour. Mais son amour infini, le Seigneur l’a montré en donnant son propre Fils, son unique: « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique,.. afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle. » (Jn 3,16) Jésus, le Fils unique, est le signe extrême de l’amour divin et son coeur est le symbole du don de lui-même pour chacun de nous: « Le Christ s’est livré lui-même pour nous sauver de nos péchés, afin de nous arracher au pouvoir mauvais du monde présent, selon la volonté de Dieu, notre Père. » (Gal 1,4)
Au terme de sa mission de salut pour nous, le coup de lance d’un soldat ouvre le coeur du Christ, le Fils de Dieu, révélant qu’il a tout donné par amour. (Jn 19,34-37) L’insistance de l’évangéliste sur ce fait attire l’attention sur la profondeur d’un tel signe.
Trois paraboles (la brebis perdue, la pièce de monnaie égarée et l’enfant prodigue) se suivent dans ce chapitre 15 de Luc, pour illustrer que Jésus incarne l’amour de Dieu dans son accueil bienveillant des pécheurs, eux qui sont séparés ou même ennemis de Dieu.
L’introduction à ces paraboles (Lc 15,1-2) signale que Jésus est sur la défensive. Les Pharisiens et les docteurs de la loi, qui prétendent diriger le peuple, défendent tout contact avec les pécheurs. Ils attaquent donc Jésus qui les accueillent et qui mangent même avec eux, partageant la même nourriture, donc la même vie. Il faut éviter toute contamination avec ces pestiférés.
La brebis perdue représente le pécheur. Cette brebis est incapable d’initiative, elle est désespérée, car elle ne peut revenir par elle-même au bercail pour retrouver la sécurité. Le berger, qui en la garde, doit partir à la recherche de ce mouton rebelle et perdu, sinon il devra en payer le prix au propriétaire du troupeau. Jésus recourt à cette expérience courante du dévouement intéressé du berger pour l’appliquer à Dieu.
La parabole de l’enfant prodigue est certes très touchante: après l’ingratitude insigne de son fils, le père l’accueille avec joie, oubliant tout le passé. Dans le cas de la brebis perdue, la démarche de Dieu est encore plus touchante, car il prend l’initiative de partir à la recherche du pécheur égaré. La réconciliation provient entièrement du Maître de la brebis. C’est par amour pur qu’il la recherche et qu’il la ramène sur ses épaules dans sa maison. Le berger de la parabole se réjouit pour un motif égoïste et invite ses amis à se réjouir avec lui. Dans le cas du pécheur ramené à Dieu, la joie pure, désintéressée, éclate au ciel pour un seul converti, plus que pour 99 qui se prétendent « justes » et qui estiment ne pas avoir à se repentir.
Jésus, le Fils de Dieu, incarne dans sa personne l’amour infini de Dieu. Son coeur, symbole de cet amour, accueille toute personne même rebelle à Dieu. Non seulement, il l’accueille, mais il guette de loin son enfant qui revient, comme l’enfant prodigue. Il part même à sa recherche et le porte sur ses épaules pour le réintroduire dans sa maison.
L’attitude des Pharisiens, et de tous ceux qui se jugent comme les purs dans un monde dépravé, veulent se protéger contre la peste du péché, de la dégradation et de la corruption. C’est le repli égoïste sur soi-même. Jésus, au contraire, révèle l’amour conquérant de Dieu. Dans notre monde où l’amour et la vie combattent le mal et la haine, l’amour triomphera toujours.
Jean-Louis D’Aragon SJ