Nous savons tous que la réussite de notre existence dépend de notre fidélité : fidélité à l’orientation et à l’état de vie que nous avons choisi, fidélité à nos amitiés, fidélité à l’amour que nous avons juré. Notre existence humaine est trop brève pour nous permettre de nous disperser dans différentes orientations et de nous diviser dans diverses directions. La vie et le bonheur se découvrent dans l’unité de notre personne, qui se réalise dans une ascension constante vers un même but.
Tous les peuples et toutes les civilisations ont sacralisé l’amour entre un homme et une femme par un rite solennel qui engage l’avenir des conjoints devant les témoins de la société à qui ils appartiennent. Aussi la fidélité matrimoniale est partout et toujours objet d’admiration, même si elle est contredite trop souvent par une trahison. On célèbre de diverses manières les étapes de cette fidélité, noces d’argent, d’or, de diamant…
Le divorce dans le milieu juif
Comme dans presque toutes les sociétés, le divorce était accepté dans le monde contemporain de Jésus. Les autorités juives ne contestaient pas le droit de divorcer, mais elles le réservaient au mari. L’épouse ne pouvait que recourir à des moyens détournés pour obliger son mari à divorcer. Cette discrimination entre les deux sexes était l’une des injustices de cette société patriarcale.
La question de droit ne se posait donc pas, mais plutôt celle des motifs justifiant le divorce. Comme d’habitude, deux écoles s’opposaient, l’une rigoureuse et l’autre large. La première, celle de Shammaï, n’admettait le divorce que dans le cas grave de l’infidélité de l’épouse, sans envisager celle du mari. Dans l’école libérale, celle de Hillel, pratiquement n’importe quel motif était suffisant pour justifier le divorce, car la Loi était vague à ce sujet : l’épouse cesse de plaire à son mari, qui a quelque chose à lui reprocher (Dt 24,1). Mais une clause protégeait quand même l’épouse : le mari qui la répudiait devait lui donner un document attestant qu’il la libérait, qu’elle n’était plus sa propriété. Devenue libre, elle pouvait envisager un remariage.
Marc rapporte que les quelques Pharisiens qui posèrent à Jésus cette question sur le divorce voulaient lui tendre un piège. La question qu’ils posent porte sur le droit au divorce, non pas sur les motifs qui le justifient. Comment une telle question pouvait-elle constituer un piège, alors que le divorce était accepté par tous ? Moïse avait même sanctionné ce droit, et Jésus lui-même invite ses interlocuteurs à citer le commandement qui spécifie la condition à observer : le mari doit donner à la femme qu’il répudie une attestation de divorce.
Une seule explication s’impose : les Pharisiens savent déjà que Jésus défend l’indissolubilité du mariage et ils veulent le mettre en contradiction avec Moïse. L’enseignement de Jésus n’est donc pas improvisé, circonstanciel ; que le lien d’amour dans le mariage soit indissoluble, c’est un principe ferme que Jésus enseignait.
L’idéal du couple humain
Jésus remonte au-delà de Moïse et rappelle la volonté du Créateur Gn 1, 27). Dieu a voulu que l’homme et la femme découvrent le vrai bonheur dans un amour réciproque, qui ne se dément jamais. Il a voulu que le lien matrimonial soit indissoluble et que les deux conjoints soient égaux, dans le respect mutuel. Leur amour doit être tellement fort que chaque partenaire sacrifie ce qui est le plus important pour lui, son père et sa mère, qui lui ont transmis la vie. Ce sacrifice introduit les conjoints dans cette communion, dont l’intensité entre ces deux personnes réalise leur unité, au point qu’ils ne sont plus deux, mais un seul être.
Il est évident que le projet initial du Créateur a préséance sur la législation de Moïse. Mais alors, comment celui-ci, inspiré pourtant par le Seigneur, a-t-il pu aller à l’encontre de la volonté de Dieu ? C’est l’objection que posent les Pharisiens à Jésus. Dans sa réponse, Jésus distingue entre l’idéal voulu par le Créateur et la pratique humaine viciée par l’égoïsme, à cause de la dureté de votre coeur.
Les commandements de Dieu ont toujours pour but notre bonheur. Dieu est l’Amour et il désire que nous soyons heureux. Pour quelle raison alors Dieu a-t-il prescrit l’indissolubilité du lien matrimonial ? Parce que notre bonheur ne s’atteint pas dans la dispersion, dans la division de nous-mêmes, encore moins dans l’injustice. Le bonheur se construit à chaque instant, pas à pas, vers le but que le Seigneur a assigné à chacun. Changer de voie, comme dans la circulation, comporte toujours un risque. La continuité et la fidélité peuvent seules assurer la réussite de notre vie.
Conclusion
Au nom de la liberté, chacun(e) aujourd’hui a peur de s’engager pour la vie et ne veut pas d’un engagement sans condition. On s’engage, mais à la condition de changer de voiture, si le trajet n’est plus agréable. On passe d’un véhicule à l’autre, pensant que le suivant sera peut-être plus confortable. L’exemple fréquent qui illustre notre hésitation à nous engager, c’est ce qu’on nomme populairement le « zapping », allant d’un canal à l’autre de la T.V., avec l’illusion inconsciente qu’on découvrira un programme merveilleux. Quand nous sommes épuisés par cet étourdissement, nous démissionnons et nous fermons l’appareil. La démission dans la vie, c’est la tragédie du suicide !
Quand il s’agit de ce qu’il y a de plus précieux dans notre existence, l’amour, nous ne pouvons pas jouer à la « valse hésitation ». La rupture d’un engagement envers le conjoint est toujours inspirée, au moins partiellement, par l’égoïsme, le contraire de l’amour. Une rupture provoque une double blessure du coeur, dont on ne guérit pas facilement, si jamais on en guérit. Le plus tragique réside dans le conjoint qui porte la responsabilité de la rupture. Prétendre découvrir un nouveau bonheur sous un « coup de foudre », c’est nourrir son égoïsme et penser bâtir son bonheur sur le malheur d’un autre, surtout en blessant les plus faibles, les enfants.
C’est ce naufrage de l’égoïsme que Jésus veut nous éviter. Au fond, les gens montrent qu’ils comprennent bien la valeur de cet enseignement du Christ, quand ils manifestent leur admiration pour les couples profondément unis après plusieurs années de mariage. Les photos de certains couples dans les journaux de fin de semaine et les célébrations organisées par leurs proches illustrent cette admiration. Ces célébrations ravivent notre espérance que l’amour finira par triompher de l’égoïsme.
P. Jean-Louis D’Aragon SJ