L’esclavage de nos jours
Une femme avouait dans une lettre publiée dans un journal anglophone de Montréal qu’elle était devenue esclave de l’internet. Ayant découvert ce moyen de distraction, qui permet d’explorer le monde, elle passait tout son temps devant le petit écran, au point de négliger sa famille, son mari et ses enfants. La catastrophe prévisible, à la fin, fut le divorce et la dispersion de sa famille.
Cet exemple montre que l’esclavage, l’emprise d’un autre sur notre personne, au point de nous dominer, n’est pas une calamité limitée à l’ancien temps. L’aliénation, l’épreuve de devenir un autre que soi-même, s’est répandue de diverses manières aujourd’hui. Ce n’est pas un maître extérieur qui nous domine, mais une force aliénante qui s’introduit en nous. Nous sommes une multitude possédée par l’argent, la boisson, la cigarette, la drogue et le sexe.
Les exorcismes de Jésus semblent à certains des phénomènes relevant de cultures primitives. Être possédé par un esprit mauvais provoque en nous un sourire sceptique. Mais si « l’esprit mauvais », extérieur à nous, semble avoir disparu, il se retrouve en nous, d’une manière plus insidieuse et plus profonde. Jésus est venu nous délivrer de tous ces esclavages, intérieurs et extérieurs, pour nous rendre libres, tels que notre Créateur l’a voulu. Être libre, c’est retrouver notre identité, être nous-mêmes.
Les nombreuses scènes d’exorcisme, qui nous surprennent dans les évangiles, manifestent la volonté du Christ de nous rendre libres. À l’opposé de la liberté, c’est le mal d’être envahi par un autre et d’être divisé. La division physique, c’est le cancer, qui introduit en nous un second système biologique, parallèle à l’autre. La division morale, c’est la schizophrénie, qui produit dans la personne humaine une double personnalité. Toute division, en nous-mêmes, dans notre famille ou dans la société, provoque la dégradation et la destruction. Notre organisme réagit en essayant de rejeter ce qui nous est étranger. De même, Jésus expulse tout esprit, qui est mauvais parce qu’étranger, incompatible avec notre nature libre d’enfant de Dieu.
Les calomniateurs du Christ
Au lieu d’admirer et de louer la mission libératrice de Jésus, ses adversaires cherchent à dénigrer son action. Notre monde perverti essaie souvent de mal interpréter et de dénigrer les actions les plus généreuses. Les détracteurs de Jésus lui opposent deux objections : 1) Jésus serait de connivence avec le chef des démons pour expulser les esprits mauvais; 2) si, au contraire, c’est par l’Esprit de Dieu que Jésus libère du démon, il doit le prouver par un signe éclatant. Jésus ne discute pas cette dernière exigence. Il refusera, plus tard, de se soumettre au défi de tenter Dieu.
Jésus répond de deux manières à la calomnie de ses ennemis. Béelzéboul, « le dieu des mouches », est un esprit malfaisant, mais intelligent. Il sait bien que s’il combat ses adeptes, il divise son royaume et va causer sa disparition. Il n’y aura bientôt plus de vie dans un royaume divisé. L’accusation est vraiment grossière et stupide. La réponse de Jésus montre l’ineptie d’une telle accusation.
Des exorcistes chez les Pharisiens pratiquaient, eux aussi, des rites pour libérer les possédés. Les adversaires de Jésus ne voudraient jamais accuser leurs partisans de recourir au chef des démons pour chasser les esprits mauvais des possédés. Pourquoi alors portent-ils une accusation de ce genre contre Jésus ?
Choisir entre la mort et la vie
Après avoir réfuté l’accusation de ses adversaires, Jésus dégage deux profondes vérités, dont la première explique la seconde. D’abord il est impossible de rester neutre devant l’interpellation du Christ. On est pour lui ou contre lui. En conséquence, la maison d’un homme libéré de l’esprit mauvais ne peut demeurer vide, neutre. Cette maison doit se remplir de la Parole et de l’Esprit de Dieu.
Si l’homme de cette maison prétend demeurer neutre et vide, sans choisir, ni s’engager, l’esprit mauvais, auquel se sont joints « sept esprits encore plus mauvais », revient occuper son ancienne demeure. C’est dire que l’état de l’homme que le Christ a libéré, mais qui retombe sous le joug du péché et de l’esclavage, est pire qu’auparavant. Quand on pense être guéri d’un cancer et qu’on jouit d’une rémission, n’est-ce pas que la rechute est plus grave que la première phase de la maladie ?
Même après une conversion, on est tenté de vivre des deux côtés, un pied du côté du Christ et l’autre du côté du monde. Cette concession à l’esprit malin est dangereuse, car le cancer tend à occuper de plus en plus de place, avec « sept autres esprits encore plus mauvais. » Une seule solution: après sa conversion et sa libération, le pécheur pardonné doit se tourner totalement vers son Sauveur et s’unir à Lui par la foi et la confiance, pour qu’il occupe toute la place.
Jean-Louis D’Aragon SJ